Les nouvelles images partagées de la République. Faire un selfie avec Emmanuel Macron au 100e Congrès de l’association des maires de France

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°276, lundi 27 novembre 2017

« J’ai besoin de vous. Nous avons la République en partage », a déclaré Emmanuel Macron en clôture du 100e congrès de l’association des Maires de France réuni le jeudi 23 novembre 2017 à la Porte de Versailles, à Paris. Dans un discours – qui a duré une heure et demie, et que la presse a qualifié de « discours-fleuve »  – il a fait assaut de pédagogie. Son allocution, ponctuée par quelques sifflets discrets au début, s’est imposée, désarmant (le terme est militaire) « la fronde des maires », annoncée.

Après la fin de son discours, Emmanuel MACRON est descendu de la scène. Une importante partie des congressistes se trouvant dans la salle, l’a entourée, en formant une foule compacte. Très détendu, il s’est alors prêté à une longue séance de selfies. Plus il avançait vers la sortie, plus les candidats aux selfies augmentaient. Je me trouvais sur le podium avec le presse. Un photographe professionnel m’a fait cette confidence : « Je n’ai jamais vu ça depuis qu’il est président ».

 Faire un « selfie » avec Emmanuel Macron, président de la République, 100e congrès de l’association des maires de France (AMF), Porte de Versailles, Paris, 23 novembre 2017. © Photographie CAD / Bernard Mérigot.

On remarquera sur la photographie ci-dessus deux choses :

  • la joie de la personne qui réalise un selfie avec le président de la République. Elle doit penser : « J’ai réussi à approcher le président et il a accepté. Pourvu que la photo soit réussie. Quand je vais la mettre en ligne et que tout le monde va voir que j’ai rencontré le président… »
  • le fait qu’Emmanuel Macron se prête au jeu. Se faire prendre en selfie est devenu un acte politique naturel.

LE PARADOXE POLITIQUE
DE L’INTIMITÉ PUBLIQUE

Le selfie concerne un monde paradoxal, celui du paraître, « un monde du partage où l’on ne partage rien » (1), sinon précisément « un manque à partager » qu’on rend public. C’est peut-être cela que le selfie vient combler, un manque à voir, c’est-à-dire la réalisation de cette idée fantasmée « de ce que l’on voudrait que les autres voient de nous ». Et ce, en dehors de notre part d’ombre, comme la partie visible d’un iceberg qui gommerait les fissures et les étrangetés intérieures : être avec.

Le politicien de l’ère numérique veut apporter aux électeurs la preuve qu’il ne craint pas d’entrer dans leur réalité. En partageant un selfie avec un inconnu ou une inconnue, le leader politique se frotte à sa réalité : il se colle à un parfait étranger, littéralement et physiquement, épaule contre épaule. Il ne manifeste aucune gêne à partager ce moment contradictoire d intimité publique. « Par ce geste qu’il veut parfaitement naturel, avec le sourire qui l’accompagne, il tente de prouver à tous qu’il se sent parfaitement à l’aise », écrit Jacques TIBERI (2).

Le selfie serait-il entre le sujet politique et les électeurs ce que le stade du miroir décrit par Jacques LACAN a été, et demeure encore en partie aujourd’hui, au développement de l’inconscient chez enfant ? Parce qu’aujourd’hui, on en est au stade du téléphone portable. Il n’y a plus de miroir. Lorsqu’une femme veut se remaquiller dans un train par exemple, elle prend son téléphone, met en marche l’application miroir. Elle est filmée et se voit sur l’écran de son téléphone « comme dans un miroir». Aboutissement coûteux de techniques complexes pour parvenir à exécuter une tâche.

Le selfie est-il une expérience initiatique, une « prise de conscience » – selon la formule consacrée – que tout ce que l’on voit ne possède pas la même réalité ? La réalité avec l’autre n’est pas la même réalité que la réalité tout seul. Ce n’est pas sûr, parce si le miroir est un objet réel, ce que l’on y voit n’est pas exactement réalité. Ni la photographie. C’est « une forme » de réalité. Qu’est-ce qui a le plus d’effet : l’autre qui est photographié (voire filmé), ou bien les autres, à qui on montre le selfie ? L’objet ou le réseau ?

Les selfies sont apparus trop récemment pour que l’on puisse avoir un regard anthropologique qui soit suffisamment construit sur leurs pratiques complexes, prenant en compte tant la psychologie individuelle que la sociologie collective des réseaux .

Ce qui est certain, c’est que le selfie se trouve aujourd’hui investi d’une fonction politique. Le prochain président de la République sera celui avec qui les électeurs et les électrices auront réalisé le plus grand nombre de selfies aussitôt mis en réseau : moi avec le président.

RÉFÉRENCES

1. DIDIER Vincent, « Anthropologie du selfie », 10 décembre 2014, http://www.vincentdidier.net/2014/12/anthropologie-du-selfie.html

2. TIBERI Jacques, « Le selfie, un péril pour la démocratie ? », 21 décembre 2017,  http://jai-un-pote-dans-la.com/le-selfie-un-peril-pour-la-democratie/

RÉFÉRENCES

« 100e congrès des maires au service des libertés locales », Maires de France, Le magazine des maires et des présidents d’intercommunalités, numéro hors-série, novembre 2017, 66 p. Avant-propos de François BAROIN, président de l’Association des maires de France, p. 3

« 100e Congrès des maires : un patrimoine immatériel pour construire la France de demain », Maires de France, Le magazine des maires et des présidents d’intercommunalités, numéro hors-série, novembre 2017, p. 3.

« 100e Congrès des maires. Mon maire, ce héros », La Gazette des communes, des départements, des régions, Dossier, n°44/2391, 20 novembre 2007, p. 7- 53.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°276 lundi 27 novembre, 2017

Mention du présent article : http//www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819
BNF. Dépôt légal du numérique, 2017

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