Élection municipale à Savigny-sur-Orge du 15 mars 2020 : 7 listes, 287 candidats

Pour l’élection municipale de Savigny-sur-Orge du dimanche 15 mars 2020, 7 listes ont été déposées. Elles comprennent chacune 41 candidates et candidates, ce qui totalise 287 personnes habitants la commune.
Le nombre de sièges à pourvoir est de 39.

Pour l’élection municipale de Savigny-sur-Orge du 15 mars 2020, 7 listes ont été déposées. Elles totalisent 287 candidats et candidates. Les 7 panneaux électoraux officiels devant la mairie, 47 avenue Charles de Gaulle. © Photographie Bernard Mérigot/CAD.

1.Liste « Vivons Savigny Autrement » (SE)
2.Liste « Savigny Ensemble » (UDI)
3.Liste « Bien Vivre à Savigny » (EELV)
4.Liste « L’alternative, c’est vous et nous » (SE)
5.Liste « Une ambition durable pour Savigny » (LR)
6.Liste « Saviniens, demain vous appartient » (SE)
7.Liste « Osons Savigny » (LREM)

1.Liste « Vivons Savigny Autrement » (SE)
1.Olivier VAGNEUX ; 2. Anneva HERMIDA ; 3. Jean-Marie CORBIN ; 4. Christine de RUFFRAY ; 5. Bilal BOUCHELOUCHE ; 6. Maïa HAYWARD ; 7. Nicolas MONTANARY ; 8. Lina ROMAIN ; 9. Philippe KEIFLIN ; 10. Virginie BOYER ; 11. Antoine FRONTIÈRE ; 12. Marie-Christine ALDON ; 13. Florian BOCQUENÉ ; 14. Stéphanie KANBOUI ; 15. Marc LESCHIERA ; 16. Fernanda COSTA SAMPAÏO ; 17. Pierre-Aimé JANET ; 18. Laëtitia ALEXANDRE ; 19. Domenico FLAGIELLO ; 20. Sandy ZION ; 21. Laurent ZANUTTA ; 22. Aurélie BARD ; 23. Claude SALVATORE ; 24. Brigitte PRIOT ; 25. Elies RHANNOUMI ; 26. Patricia CLAIRAY ; 27. Mikaël PICARD ; 28. Anick GABRIEL ; 29. Yazid GHANMI ; 30. Nadine HARTMANN ; 31. Laurent PORCHER ; 32. Fatima DOMINGUES ; 33. Christophe HÉZÈQUE ; 34. Sylvie TIXIDRE ; 35. Sbir BRINA ; 36. Nadine GUDIMARD ; 37. Christophe ALLYRE ; 38. Karine DEPREZ ; 39. Benoît de VIENNE ; 40. Emmanuelle VENANT ; 41. Éric MONGENIE

2.Liste « Savigny Ensemble » (UDI)
David FABRE ; 2. Lynda TAÏEB ; 3. Jean-Michel ZAMPARUTTI ; 4. Isabelle FERREIRO ; 5. Gérard MONTRELAY ; 6. Muriel THIERY ; 7. Albert BELFIORE ; 8. Inès RÉ ; 9. Mounir NASSIR ; 10. Elvira DASSI ; 11. Ahmed HADOU ; 12. Françoise GUIOT-BOURG ; 13. Mikaël PLAUT ; 14. Nesrin TASKIRAN ; 15. Djelloul SEDDIKI ; 16. Julie PLAZA ; 17. Rudy DENIAUD ; 18. Christelle SONNEVILLE ; 19. Fernando FERREIRO ; 20. Fadma OUKNA ; 21. Jean-Pierre GIN ; 22. Doris KLJECANIN ; 23. Rui TRINO ; 24. Laure BEAVOGUI ; 25. Paolo STELLITTANO ; 26. Isabelle MATEU ; 27. Mickaël FERNANDES ; 28. Vijaya MAHENDRANATHAN ; 29. Éric HUIBAN ; 30. Mabrouka BAÂROUN ; 31. Pascal INGO ; 32. Nadège DEBRUYNE ; 33. Philippe BEZER ; 34. Laëtitia MERLIER ; 35. Pascal POUIT ; 36. Sherene KARUNAHARAN : 37. Loïc FERREIRA ; 38. Maria NOGUEIRA ; 39. Jean-Pierre YONNET ; 40. Christine SAN JULIAN ; 41. Cyril GERICKE

3.Liste « Bien Vivre à Savigny » (EELV)
Jean-Marc DEFRÉMONT ; Agnès DUPART ; 3. Bruno GUILLAUMOT ; 4. Lydia BERNET ; 5. Jacques SÉNICOURT ; 6. Corinne CAMELOT-GARDELLA ; 7. Ludovic BRIEY ; 8. Fatima KADRI ; 9. Patrice KOUAMA ; 10. Nathalie GUICHARD ; 11. Patrick GARDELLA ; 12. Joëlle THEBAULT ; 13. Thomas BRONES ; 14. Michèle PLOTTU – LE CAPITAINE ; 15. Olivier GUICHARD ; 16. Claudine CHARRIER ; 17. Pierre JACQUEMARD ; 18. Mallory MALLARD ; 19. Pascal LORINÉ ; 20. Christine FAYOLLET ; 21. Ouahid BELKACEM ; 22. France FAYET ; 23. Stevenson CELESTIN ; 24. Catherine LOUVET ; 25. Cédric LESSORT ; 26. Nathalie COËTMEUR ; 27. Guy PAPELIER ; 28. Françoise GIRAUD ; 29. Hervé JUSSERAND ; 30. Géraldine CHAMARD ; 31. Dominique DAUVERGNE ; 32. Catherine HARDY ; 33. Olivier CRÉPIN ; 34. Valérie DERMAUX ; 35. Arnaud ROBERT ; 36. Christine PERNEY ; 37. Christian CHAMPAGNE ; 38. Isabelle NEVEUX ; 39. Joël MAURICE ; 40. Sylvie FAUCHOUX ; 41. Christophe BOURSE

4.Liste « L’alternative, c’est vous et nous » (SE)
Antoine CURATOLO ; 2. Éléonore MATHERON ;  3. Benoît DESCHAMPS ; 4. Solange CAILLOT ; 5. Sujeeban GNANENTHIRAN ; 6. Aurore CURATOLO ; 7. Philippe GARRITO ; 8. Françoise GARRITO ; 9. Édouard GOYO ; 10. Fatine BEN SAAD ; 11. Thierry HEURTAUX ; 12. Isabelle BEGUIN ; 13. Bruno MERLY ; 14. Corinne VAN SIMMERTIER ; 15. Emmanuel DIKIEKA ; 16. Magali VAN DYCK ; 17. Abdeslam SAYAGH ; 18. Ouidoh KOLIE ; 19. Ali HAMDIA ; 20. Patricia LOUTREUX ; 21. Hassane KANTE ; 22. Christine PAGNEUX ; 23. Yvon GARRITO ; 24. Doris MOUANGA ; 25. Brahim ASSAM ; 26. Hayat MEKHTOUB ; 27. Pragash LOGANADANE ; 28. Badra SAYAGH épouse AILET ; 29. Xavier DELANNIS ; 30. Claire RAKOTOARIJAONA ; 31. François BEAUREGARD ; 32. Monique GALANT ; 33. Steve TEXIER ; 34. Annie PAILLET ; 35. Fernando VICENTE ; 36. Léa PALERMO ; 37. Valère CATTET ; 38. Nathalie ASFAUX épouse CARON ; 39. Steve BECKLER ; 40. Michelle DAVOUST ; 41. William LIONETTI

5.Liste « Une ambition durable pour Savigny » (LR)
Éric MEHLHORN ; 2. Anne-Marie GÉRARD ; 3. Daniel GUETTO ; 4. Catherine CHEVALIER ; 5. Pascal LEGRAND ; 6. Emmanuelle da CUNHA ; 7. Alexis TEILLET ; 8. Joëlle EUGÈNE ; 9. Mathieu FLOWER ; 10. Dominique LABORIALLE ; 11. Jérôme DUEZ ; 12. Agnès DUPUIS ; 13. Daniel JAUGEAS ; 14. Sandrine VIEZZI ; 15. Fabien PROUST ; 16. Angélique DA OLIVEIRA PINTO ; 17. Nicolas FROGER ; 18. Danielle HUGUET ; 19. Samuel BAROUKH ; 20. Sylvie LAIGNEAU ; 21. Jean-Charles HENRY ; 22. Marcelle LECOURT ; 23. Georges DURAND ; 24. Isabelle AUFFRET ; 25. Stéphane TARAGON ; 26. Marie-France BELLIARD ; 27. Lambert ABATAN ; 28. Roxane NÉE ; 29. Augusto CLARA-SILVERIO ; 30. Réjane MALGUY ; 31. Armand BENSIMON ; 32. Véronique LABBÉ ; 33. Luther SARAGA-MORAÏS ; 34. Aurélie GUEGUEN ; 35. Jean-Marc ALOUMON ; 36. Claude FERREIRA ; 37. Romain PICON ; 38. Nathalie CAILLEAU ; 39. Abdelhak LARTIK ; 40. Maryse BESACE ; 41. Charles DARMON

6.Liste « Saviniens, demain vous appartient » (SE)
Bernard BLANCHAUD ; 2. Muriel VALLET ; 3. Samy LAKHDARI ; 4. Isabelle PRADELS ; 5. Thierry CADOUX ; 6. Mélanie FRAZAO ; 7. Mahmoud EL MESHAD ; 8. Véronique JAN ; 9. Thierry COURNAND ; 10. Jany POTISLAWOSKI ; 11. Nicolas BOISIER ; 12. Célia FOUCHER ; 13. Jean-Marc DESCHAMPS ; 14. Martine PRESZBURGER ; 15. Christophe GUILPAIN ; 16. Isabelle RENZANIGO ; 17. Michel COPY ; 18. Patricia VILLETTE ; 19. Cédric NASCIMENTO ; 20. Patricia RUEDAS ; 21. Serge BARBE ; 22. Chantal ANDREY ; 23. Kader MOHAMMED ; 24. Rosa MAZZAFERRO ; 25. François MATTÉ ; 26. Christelle SAVOUREUX ; 27. Filippo AGOSTA ; 28. Maria-Luisa FRAGNOLI ; 29. André PERRIER ; 30. Chloé MARTRES ; 31. Sébastien STAN ; 32. Sandrine SCARAVELLA ; 33. Patrick MOREEL ; 34. Joëlle BEAUDENUIT ; 35. Patrice ROUILLARD ; 36. Noémie FONSECA ; 37. Weize ZHANG ; 38. Béatrice BROSSE ; 39. Frédéric PREVOT ; 40. Antonia SOAVE ; 41. Abdelhak DABOUJI

7.Liste « Osons Savigny » (LREM)
Alexis IZARD ; 2. Sabine VINCIGUERRA ; 3. Christophe-Reynald MICHEL ; 4. Aude HERNANDEZ ; 5. Emmanuel DORLHIAC ; 6. Sandrine COUTÉ ; 7. Ammar SISSANI ; 8. Marie-Line FISCHER ; 9. Henri DELTOUR ; 10. Rosa DOS SANTOS BATISTA ; 11. Vincent BOURGEOIS ; 12. Mélanie HUS-CHARLES ; 13. Frédéric SCHMALTZER ; 14. Agnès GALIBERT ; 15. Franck BOKO ; 16. Mélanie CHEVALLIER ; 17. Ronan DELPORTE ; 18. Hillary BAULT ; 19. Michel HERVÉ ; 20. Chatuni KANKANIGE PERERA ; 21. Franck ACHARD-PICARD ; 22. Tyffanie AKOULI ; 23. Florent DUFRENOY ; 24. Leslie CROT ; 25. Adam ALAMI ; 26. Marie-Louise ROUYER ; 27. Boris FEUILLÂTRE ; 28. Annie LABBÉ ; 29. Gilles HARLE ; 30. Martine SOGNE ; 31. Frédéric PULGAS ; 32. Anaïta JAMES ; 33. Bertrand ALAZARD ; 34. Marie HUBERT ; 35. Brice GNENE ; 36. Nathalie CROUIN ; 37. Thierry SELLAN ; 38. Élise HOUEDE ; 39. Arezki MAMERI ; 40. Nadine NESME ; 41. Nicola GOLIA

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Linky, non merci. 1ère lettre-type de refus à adresser à ENEDIS EDF

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°387, lundi 13 janvier 2020

Comment refuser l’installation inutile, intrusive et préjudiciable d’un compteur Linky qu’ ENEDIS/ EDF essaie d’imposer aux abonnés ?
Tout simplement en manifestant son refus chaque fois qu’ ENEDIS/ EDF  (ou ses prestataires) se manifeste. Courtoisement et fermement. Dans plusieurs communes de l’Essonne, ENEDIS / EDF est en train de procéder à l’envoi de mails et/ou de courriers et de procéder à des installations.
Les refus doivent être adressés par lettre recommandée avec avis de réception (LRAR). Plusieurs lettres successives à ENEDIS / EDF seront certainement nécessaires.

Vous trouverez ci-dessous une première lettre-type de refus à adresser à ENEDIS / EDF. Vous pouvez en faire un copier-coller.

Linky, le compteur électrique que l’on refuse d’avoir chez soi.
ENEDIS  EDF prétend imposer son installation, inutile, intrusive et préjudiciable, chez tous les abonnés.
Photographie prise à Savigny-sur-Orge (Essonne) le 12 janvier 2020 © Photographie BM / CAD.

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Lettre-type

PREMIÈRE LETTRE-TYPE DE REFUS
DE L’OFFRE COMMERCIALE D’ ENEDIS / EDF
D’INSTALLER UN COMPTEUR LINKY

Date

EXPÉDITEUR

NOM
Prénom
Adresse

DESTINATAIRE

ENEDIS ILE DE FRANCE EST
Service Ile-de-France Est
TSA 91211
91021 EVRY

LETTRE RECOMMANDÉE AVEC AVIS DE RÉCEPTION
OBJET

Votre mail du :
Votre courrier en date du :
Votre Référence :          votre-conseiller@relation-clients-edf.fr
Répondre à :                   ne_pas_repondre@relation-clients-edf.fr

Monsieur, Madame,

Vous m’avez adressé un mail (ou une lettre) d’offre commerciale concernant la pose d’un compteur Linky.

Vous la justifiez par les trois arguments suivants :
•    la possibilité de changer la puissance de mon contrat à distance,
•    une facturation calculée à partir du relevé de ma consommation,
•    des conseils pour réaliser des économies d’énergie.

Aucun de ces propositions ne m’intéresse :
•    je n’ai pas envie de changer la puissance de mon contrat,
•    mes facturations ne posent aucun problème,
•    je dispose des conseils suffisants en matière d’économies d’énergie.

Je vous indique par ailleurs que je dispose d’un compteur qui fonctionne parfaitement.

En conséquence votre offre commerciale d’installation d’un nouveau compteur Linky ne m’intéresse pas et je la décline.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, Madame, l’expression de mes sentiments distingués.

 Signature

Linky , le compteur électrique que l’on refuse d’avoir chez soi.
Lettre de refus de l’offre commerciale à adresser à ENEDIS EDF. Bordereau de dépôt de lettre recommandée avec avis de réception.
N’oubliez pas de remplir à droite les lignes de la case « Expéditeur »

COMMENTAIRE du 16 janvier 2020
Avis de réception signé par ENEDIS – DR IDF SUD le 14 janvier 2020

Linky non merci.
Avis de réception signé par ENEDIS – DR IDF SUD le 14 janvier 2020.

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DOCUMENT

1er MAIL ADRESSÉ PAR ENEDIS

Linky, un compteur d’électricité inutile, intrusif et préjudiciable pour les usagers.
1er mail adressé par ENEDIS EDF en date du 2 janvier 2020 à des habitants de Savigny-sur-Orge (Essonne).

LÉGENDE DES ILLUSTRATIONS

  • Linky , le compteur électrique que l’on refuse d’avoir chez soi. ENEDIS  EDF prétend imposer son installation, inutile, intrusive et préjudiciable, chez tous les abonnés. Photographie prise à Savigny-sur-Orge (Essonne) le 12 janvier 2020 © Photographie BM / CAD.
  • Linky , le compteur électrique que l’on refuse d’avoir chez soi. Lettre de refus de l’offre commerciale à adresser à ENEDIS. Bordereau de dépôt de lettre recommandée avec avis de réception à adresser à ENEDIS (Essonne). N’oubliez pas de remplir à droite les lignes de la case « Expéditeur »
  • Linky, un compteur d’électricité inutile, intrusif et préjudiciable pour les usagers. 1er mail adressé par ENEDIS EDF en date du 2 janvier 2020 à des habitants de Savigny-sur-Orge (Essonne).
  • Linky non merci. Avis de réception signé par ENEDIS – DR IDF SUD le 14 janvier 2020.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°387, lundi 13 janvier 2020

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Voeux pour 2020 de Bernard Mérigot. La généralisation de l’éthique de la sollicitude, c’est pour cette année ? (Friedrich Nietzsche)

Qui adresse des voeux à qui ? Chacun est à la fois émetteur et destinataire de « voeux de bonne année ». Leurs échanges croisés constituent en ce début de XXIe siècle une pratique sociale qui est loin d’être évidente, comme si la continuité/rupture des deux journées du 31 décembre et du 1er janvier constituaient un « moment-pivot », unique et paradoxal, animé par une question pleine d’une incertitude savamment entretenue : l’année qui vient sera-t-elle semblable ou bien différente de celle qui s’est achevée ?

« Pas faire », bombage à la penture jaune sur un trottoir de Paris Ve,
place Maubert, entre la rue des Carmes et la rue Sainte Geneviève, 2 décembre 2019.
© Photographie de Bernard Mérigot.

Commentaire de l’illustration.  « Pas faire… » : c’est peint à la bombe de peinture sur le goudron du trottoir sur lequel nous posons les pieds. Nous marchons, et les trottoirs nous parlent. A qui s’adresse ce message ? A quelqu’un, forcément, quelqu’un qui va passer on ne sait pas quand, et qui devrait faire quelque chose, et qui ne doit pas le faire. Que devons-nous faire ? Que devons-nous ne « pas faire » ?

LES VOEUX DE BONNE ANNÉE DE FRIEDRICH NIETZSCHE

« Aujourd’hui, chacun ose exprimer son vœu et sa pensée la plus chère, soit ! Je veux donc dire moi aussi ce qu’aujourd’hui je me suis souhaité à moi-même et quelle pensée a été la première à traverser mon cœur cette année (…) ». C’est ainsi que Friedrich NIETZSCHE évoque en ce 1er janvier 1882 ce moment particulier, qui se répète tous les douze mois : celui de la nouvelle année. (1)

Après tout « on change de jour tous les jours », comme nous le rappelle le philosophe Nicolas GRIMALDI. Mais une fois par an, un jour advient avec « quelque chose de plus », comme si « l’existence se réinventait et se projetait hors d’elle-même » (2)

La vie sociale semble suspendue à une promesse de renouveau. « Chacun y accroche pêle-mêle son pesant d’espérances, de craintes secrètes et d’aspirations intimes », commente Stéphane FLOCCARI. (3)

CE QUI A PRÉCÉDÉ N’EST JAMAIS
CE QUI VA SUIVRE…

Mais d’où vient ce sentiment d’inquiétante étrangeté à l’égard de l’annonce de cette coupure radicale qui sépare ce qui nous a précédé de ce qui nous suivra, expression d’une double crainte de perdre ce que l’on a vécu et ne pas obtenir ce à quoi on aspire.

Il y a un an, le 1er janvier 2019, nous écrivions ici même que lannée 2018 demeurait pour les Français et les Françaises celle d’un moment de « décrochage » durant lequel « une majorité de citoyens a manifesté son sentiment de perte de confiance à l’égard de la parole de l’État, du gouvernement, de son administration, de ses juges. Le mythe de l’État bienveillant, impartial et protecteur, fantasme qu’une majorité de médias en place veut nous imposer d’une façon compulsive comme comme une vérité permanente, s’est soudain fissuré. » (4) Chaque jour, de nouveaux exemples sont apportés qu’il arrive à l’État – même s’il le nie – d’être cachotier, désinvolte, malveillant, partial, diviseur, agressif… Situation confirmée aujourd’hui, en janvier 2020, au plus fort des grèves et des manifestations contre le projet de réforme de retraite par points soutenu par le président de la République Emmanuel MACRON et par son Premier ministre Édouard PHILIPPE.

POURQUOI LA VIOLENCE ÉMEUTIÈRE ?

Un témoignage intéressant est apporté par Romain HUËT avec son livre Le vertige de l’émeute. De la ZAD aux Gilets jaunes. Il écrit que la violence émeutière (qu’il s’agisse de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, de la Loi Travail, de Parcoursup, des Gilets jaunes…) est à la fois « fascinante et inquiétante, un mode d’expression, de jeu, de simulacre et d’agressivité », et qu’elle suscite toujours les mêmes sentiments de peur, de joie, d’ivresse, de vertige et d’angoisse. Elle demeure « une expérience charnelle du politique » qui témoigne à sa façon, que notre monde commun se construit dans les oppositions, dans les tensions, dans la douleur. (5)

LE RESPECT DES CITOYENS

L’éthique de la sollicitude, ou encore l’éthique du care (de l’anglais Ethics of Care) est une notion récente qui a pris naissance dans les pays anglophones. Le mot de sollicitude employé pour le traduire regroupe un vaste ensemble de sens comprenant ceux d’attention, de soin, de responsabilité, de prévenance, d’entraide… Nous y ajouterons ceux de respect de la part de ceux qui sont en position d’exercer un pouvoir, c’est-à-dire de prendre des décisions qui ont des conséquences sur les autres : qu’il s’agisse de faire ou de ne pas faire, de faire bien ou de faire mal, ou encore – art d’excellence de l’État et des pouvoirs – de faire croire que l’on fait ou que l’on annoncé faire, alors que l’on n’a rien fait et que l’on ne fera rien. Où bien, encore mieux : faire « en général » en créant de nouveaux problèmes « particuliers »qui seront à résoudre ultérieurement. Nous retrouvons le développement d’Emmanuel KANT dans son essai de 1793 intitulé « Sur l’expression courante. Il se peut que cela soit juste en théorie, mais en pratique cela ne vaut rien ». On passe ainsi du « faire / ne pas faire », au « résoudre / ne pas résoudre », puis au « ça marche / ça marche pas ».

L’une de ses manifestations concrète, dans le cadre d’une libre république, est celui du « respect citoyen », c’est-à-dire de l’égale sollicitude qui est due à l’égard de tout citoyen de la part des élus, des administrations, des services publics, des acteurs économiques… Si le respect est réciproque, les organisations collectives de pouvoir oublient la plupart du temps que leur légitimité n’est en rien une donnée première. Ce qui rend leur constitution légitime, c’est d’abord d’être au service de tous les individus qui la composent, ou à l’égard desquels elle gère par délégation les mêmes communs ( « commons »).

Comme le note Éloïse GIRAULT, la philosophie politique définit le care d’une façon globale comme « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre monde de sorte que nous-mêmes, ainsi que tous ses habitants, puissent y vivre le mieux possible ». (6)

« JE » SUIS « UN AUTRE »

L’éthique de la sollicitude consiste tout simplement à « prendre soin de la vie des autres », pour eux et pour moi-même, puisque chaque être humain est aussi « un autre ». Comment se fait-il que l’on oublie si souvent l’un des deux termes de cette réciprocité ? « Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous les éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie. » (7)

CONCLUSION

Vœux pour soi ou vœux pour les autres ? Ou bien vœux de soi-même à soi-même, vœux des autres à soi-même. Ou encore, voeux de soi-même aux autres ? Un vœu ne peut pas être une parole sans action. L’éthique de la sollicitude répond à ces questions puisqu’elle s’est développée au point de constituer une des vertus essentielles de la vie démocratique. Elle concerne tout le corps social en même temps que tous les corps qui le composent. Elle est multiforme, portant une égale attention aux dignités bafouées, aux besoins timides, aux désirs cachés, aux signaux faibles, à toutes les détresses humaines comme aux détresses environnementales, sanitaires, économiques, culturelles, spirituelles… Autant de détresses fragmentées exprimées tout au long de l’année 2019 (des Gilets jaunes aux manifestations contre la réforme des retraites), prémisses des détresses totales que nous savons être de notre monde. (8)

Revenons à ce qu’écrivait Friedrich NIETZSCHE dans ses vœux pour le 1er janvier 1882. Il en formulait un très beau : « apprendre toujours plus à voir le beau dans la nécessité des choses », ce que Michaël FOESSEL traduit comme « une façon de réorienter son regard », en privilégiant le beau dans le quotidien, « ce monde (qui) comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous les éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie. » (9)

Alors, la généralisation de l’éthique de la sollicitude, par tous et pour tous, c’est pour 2020 ? Ce qui reviendrait à mettre en pratique la devise de Christophe de Savigny (1530-1587) : « Tost ou tard, près ou loing, a le fort du faible besoing ».

Bernard MÉRIGOT

Piéton en marche : on ne passe pas par ici, mais par là.
Panneau invitant les piétons à contourner le chantier de construction du Tram-Train entre Évry et Massy-Palaiseau apposé sur une passerelle enjambant la rivière Orge dans le Parc de Morsang-sur-Orge / Savigny-sur-Orge, 24 décembre 2019.
© Photographie de Bernard MERIGOT/CAD.

Commentaire de l’illustration. La ligne du Tram-Train desservira onze stations entre Évry et Massy Palaiseau. Elle traverse notamment trois communes limitrophes, : Morsang-sur-Orge, Savigny-sur-Orge et Épinay-sur-Orge,.
   •   La commune de Morsang-sur-Orge comporte une station.
   •   La commune d’Épinay-sur-Orge comporte une station.
   •   En revanche, le Tram-Train traverse bien la commune de Savigny-sur-Orge, mais aucune station n’a été prévue.
Ce qui fait que les habitants de Savigny-sur-Orge,verront passer le Tram-Train, mais il ne s’arrêtera pas,. C’est comme dans le sketch des humoristes Chevalier et Laspales : ceux qui voudraient l’emprunter « auront des problèmes ». Ils devront aller soit à Morsang-sur-Orge, soit à Épinay-sur-Orge. Après tout, la marche à pied est peut-être l’avenir paradoxal des transports en commun…

DOCUMENT

VOEUX DE 1er JANVIER DE LA DÉCENNIE EN COURS
2020 – 2029

  • 2020. « La généralisation de l’éthique de la sollicitude, c’est pour cette année ? (Fredrich Nietzsche)

VOEUX DE 1er JANVIER DE LA DÉCENNIE
2010-2019

  • 2019.  « L’anthropologie politique doit avoir sa place dans l’espace public » (Friedrich Nietzsche)
  • 2018.  « Contre la fin du monde »  (Paul Valéry et Jean-Claude Schmitt).
  • 2017. « Qui s’y frotte, s’y pique » (Ne toquès mi, je poins)
  • 2016. « L ‘événement n’est pas ce qu’on peut voir, mais ce qu’il devient ».
  • 2015. « Paix, solidarités et espérances durables ».
  • 2014. « Les nouvelles exigences du bonheur citoyen » (John Dewey)
  • 2013. « La démocratie, c’est partout, et tout le temps » (Pierre Mendès-France)
  • 2012. « Que nos pratiques correspondent à nos idéaux »
  • 2011. « En finir avec l’exploitation des peurs et des humiliations »
  • 2010. « Regarder l’année passée aussi bien que celle à venir »

VOEUX EN LIGNE SUR  http://savigny-avenir.info

RÉFÉRENCES

1. NIETZSCHE Friedrich, Le Gai Savoir, Livre quatrième, § 276, in Œuvres philosophiques complètes (OPC), volume V, Gallimard, p. 189. Traduction modifiée de Pierre Klossowski, revue, corrigée et augmentée par Marc B. de Launay.
2.
GRIMALDI Nicolas, L’Homme disloqué, Paris, PUF, 2001, p. 1.
3.
FLOCCARI Stéphane,
Nietzsche et le nouvel an, Les Belles Lettres, 2017, 256 p. ISBN 978-2-35088-124-9 https://www.decitre.fr/livres/nietzsche-et-le-nouvel-an-9782350881249.html
4.
Contre la fin du monde. Voeux 2018 de Bernard Mérigot.
5.
HUËT Romain, Le vertige de l’émeute. De la Zad aux Gilets jaunes, 2019. 176 p. ISBN 978-2-13-081909-7
Romain Huët est maître de conférences en sciences de la communication à l’université Rennes 2. Auteur de plusieurs recherches sur les guérillas et les émeutes urbaines (2012-2018). Il a coréalisé le film documentaire Après le Printemps. Vie ordinaire de combattants syriens (2017) à la suite d’une ethnographie de plusieurs mois au sein de groupes rebelles syriens,
6. GIRAULT Éloïse, « Joan Tronto, Un monde vulnérable. Pour une politique du care », La Découverte, 2009, in Revue Sociétés et Jeunesses en Difficulté, Revue pluridisciplinaire de recherche, n° 9, printemps 2010, §.3 http://sejed.revues.org/6724
7. PERREAU Bruno, TRONTO Joean, «Un monde vulnérable – Pour une politique du care », La Découverte, 2009, in Genre Sexualité & Société.  http://gss.revues.org/1699?lang=en, §.
8. Les incendies qui ont éclaté en Amazonie et en Australie durant l’année 2019 sont un malheureux exemple de l’accumulation d’une partie de ces malheurs. En Australie, et au jour ou ces lignes sont écrites, de septembre à janvier 2020 : 10 millions d’hectares brulés, 26 morts, 1 milliard d’animaux morts, 10 mille dromadaires morts…
9. FOESSEL Michaël, « Les voeux de Nietzsche », Libération, 9 janvier 2015. https://www.liberation.fr/chroniques/2015/01/09/les-voeux-de-nietzsche_1177185

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • « Pas faire », bombage jaune sur un trottoir de Paris Ve, place Maubert, entre la rue des Carmes et la rue Sainte Geneviève, 2 décembre 2019. © Photographie de Bernard Mérigot.
  • Piéton en marche : on ne passe pas par ici, mais par là. Panneau invitant les piétons à contourner le chantier de construction du Tram-Train T7 entre Évry et Massy-Palaiseau apposé sur une passerelle enjambant la rivière Orge dans le Parc de Morsang-sur-Orge / Savigny-sur-Orge, 24 décembre 2019. © Photographie de Bernard MERIGOT/CAD.
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COMMENTAIRE du 16 janvier 2020
Sur la désobéissance épistémique

« Pour prendre une distance avec le conditionnement matriciel d’un mode de pensée historiquement dominant, la production d’un écart avec la croyance qui l’accompagne est nécessaire. Il faut désobéir aux lois d’organisation imposées par cette croyance, oser transgresser pour tester un point de départ différent, adopter une perspective différente. Celle-ci doit d’abord être apprise et construite pour sortir de la répétition. »

MAESSCHALCK Marc, « La désobéissance épistémique comme « contre-poétique » décoloniale » in MIGNOLO Walter D., La désobéissance épistémique. Rhéthorique de la modernité, logique de la colonialité et grammaire de la décolonialité, 2015 .

MIGNOLO Walter, Epistemic disobedience : rhetoric of modernity, logic of coloniality and decolonial grammar.
MIGNOLO Walter,
La désobéissance épistémique : rhétorique de la modernité, logique de la colonialité et grammaire de la décolonialité, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2015, p. 185. Traduction de Yasmine JOUHARI et Marc MAESSCHALCK. ISBN 978-2-87574-235-3

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Territoires et Démocratie numérique locale (TDNL) est un media numérique mis en ligne sur le site http://savigny-avenir.info.
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Référence du présent article : http://www.savigny-avenir.fr/2020/01/01/voeux-pour-2020-de-bernard-merigot-la-generalisation-de-lethique-de-la-sollicitude-cest-pour-cette-annee-friedrich-nietzsche/
Posted in Éthique de la sollicitude, FOESSEL Michaël, Je suis un autre, Nécessité des choses, NIETZSCHE Friedrich, Violence émeutière, Voeux de nouvel an, Voir le beau | Commentaires fermés sur Voeux pour 2020 de Bernard Mérigot. La généralisation de l’éthique de la sollicitude, c’est pour cette année ? (Friedrich Nietzsche)

Projet de Loi sur les retraites 2019. La Recherche universitaire française est en grève

Comme étudiant, comme chercheur, comme enseignant, comme journaliste, j’ai passé de nombreuses heures, de nombreuses journées, dans des bibliothèques universitaires et dans des centres de documentation. J’y ai toujours rencontré un personnel disponible et compétent qui a toujours su écouter mes demandes et m’aider pour trouver articles et documents. L’une des bibliothèques que je fréquente le plus actuellement est celle des Grands Moulins (1) de l’Université Paris Diderot/Paris 7, dans le 13e arrondissement de Paris, à deux pas de la Bibliothèque Nationale de France, et j’ai une pensée de reconnaissance pour tous ceux qui y ont employés.

En ce mois de décembre 2019 notre média numérique apporte son soutien à tous les personnels des services d’enseignement, de recherche et de culture dans leur opposition au projet de Loi sur les retraites présenté. Il s’associe à leurs justes revendications.

Bernard MÉRIGOT
Rédacteur en chef de Territoires et Démocratie Numérique Locale (TDNL)
17 décembre 2019

Le projet de Loi sur les Retraites 2019. Un exemple parmi tant d’autres qui le rend inacceptable et explique le vaste mouvement de grève, notamment des universitaires .
Source : http://www.sauvonsluniversite.com/IMG/pdf/sortez-vos-calculettes.pdf

LA RECHERCHE UNIVERSITAIRE EST EN GRÈVE

Pour le retrait du projet de loi sur les retraites, les plateformes d’OpenEdition sont inaccessibles

Le 16 décembre 2019, les personnels d’OpenEdition, infrastructure de recherche publique française, réunis en assemblée générale, ont voté (81 % des votes exprimés) l’inaccessibilité aux plateformes OpenEdition Journals, OpenEdition Books, Calenda et Hypothèses… pour une durée de 24 heures à partir du 17 décembre, minuit, heure française.
Nous nous associons aux travailleurs et travailleuses des secteurs public et privé en lutte et nous demandons le retrait du projet de loi de réforme des retraites actuellement défendu par le gouvernement français.

https://www.openedition.org/mouvement17decembre.html

« Demain 17 décembre 2019 ». Montage de 32 affiches appelant à la grève et aux manifestations contre le projet de Loi sur la réforme des retraites.
Source : http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article8575

FERMETURE
DE l’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES (EHESS)
DE PARIS

« Mouvement social : fermeture de l’EHESS et suspension des séminaires.
« La poursuite du mouvement social en cours et son impact sur les transports, en particulier en région parisienne, ne permettent pas à l’EHESS d’assurer le bon fonctionnement de l’établissement et un niveau de sécurité satisfaisant pour les personnels et les étudiantes et étudiants, comme pour les usagères et usagers des trois sites du boulevard Raspail à Paris.
Dans ces conditions, l’EHESS maintient la fermeture de ses bâtiments du 54, du 96 et du 105 boulevard Raspail, à Paris, jusqu’au mardi 24 décembre 2019 inclus.
Les séminaires de l’EHESS demeurent suspendus sur le site Raspail ainsi que sur le campus Condorcet, à Aubervilliers. »

17 décembre 2019

SOURCE DU DOCUMENT
https://www.ehess.fr/fr/communiqu%C3%A9/mouvement-social-fermeture-lehess-et-suspension-s%C3%A9minaires
. Consulté le mardi 17 décembre 2019.

RÉFÉRENCES DE L’ARTICLE
1.
La Bibliothèque des Grands Moulins occupe 8000 m² sur 5 niveaux et propose 1400 places, 9 salles de travail en groupe, 2 salles de formation, et 100 postes informatiques. Elle abrite des collections en lettres, sciences humaines et sociales, sciences et techniques. Soit 250 000 documents en libre accès pour la plupart, dont 414 revues papier, 3150 DVD, des cartes géologiques et géographiques, et les thèses soutenues à l’Université Paris Diderot.

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

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Référence du présent article : http://www.savigny-avenir.fr/2019/12/17/projet-de-loi-sur-les-retraites-2019-la-recherche-universitaire-francaise-est-en-greve/
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3 décembre 1969. Il y a cinquante ans se tenait l’ « Impromptu sur la psychanalyse » de Jacques Lacan à Vincennes

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°381, lundi 2 décembre 2019

Ce matin du mercredi 3 décembre 1969, un peu avant 12 heures 30, Jacques LACAN pénètre dans l’Amphithéâtre de l’Université de Vincennes. Il a annoncé un « Impromptu sur la Psychanalyse ». Le déroulement de la séance se révélera plutôt être un « Inattendu », comme l’atteste la transcription qui a été faite, imprimée et diffusée à l’époque, et dont on peut prendre connaissance en ligne http://www.savigny-avenir.fr/wp-content/uploads/1981/09/LACAN-Impromptu-Vincennes-3-decembre-19691.pdf

On se souvient de plusieurs interventions d’étudiants comme « Et, ça va pas ? Il nous parle de son chien ! » ou bien « Oh ! Lacan, ne te moques pas des gens, hein ! ». On ne saurait s’arrêter uniquement à ces citations qui désormais appartiennent à l’histoire de l’enseignement de la psychanalyse. Elles demeurent la surface visible d’objets plus difficiles à appréhender.

Faire l’histoire d’un événement, que celui-ci soit individuel ou collectif, relève par nature d’une construction/reconstruction psychologique et sociale. Généralement les explications uniques y sont dominantes, laissant de côté la complexité des explications multiples, du non-dit, de l’oublié, du caché.

Aujourd’hui, cinquante ans après cet événement du 3 décembre 1969, que ce soit sur le fond ou sur la forme de cette séance, de nombreuses questions demeurent ouvertes. Elles imposent de tenter de les remettre en perspective et de restituer la pluralité des « raisons explicatives » qu’elles doivent ouvrir. (1)

Casse-noisette, ballet-féérie de TCHAÏKOVSKI (1892),
adaptation du conte Casse-noisette et le Roi des souris d’Ernst Theodor Amadeus HOFFMANN (1816).
© Photographie Bernard Mérigot / CAD 2 décembre 2019.

LE « SÉMINAIRE » DE JACQUES LACAN

La semaine précédente, le mercredi 26 novembre 1969, à cette même heure de 12 heures 30, Jacques LACAN a tenu ce qu’il nomme depuis 1953, son « séminaire ». Il a pris comme sujet de l’année universitaire 1969-1970 : « L’envers de la Psychanalyse ». Durant environ deux heures, Jacques LACAN s’est adressé au nombreux public qui remplissait l’amphithéâtre que lui prête la Faculté de Droit du Panthéon à Paris. Il a été le seul à parler.

Une remarque s’impose : le « dispositif » que constitue ce type de séance n’a rien à voir avec ce que l’université ou l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), par exemple, désigne sous le nom de « séminaire » et qui a pour caractéristique générale, selon des modalités diverses de mise en œuvre, de toujours permettre aux participants d’exposer leurs questions, de préférence courtes et pertinentes, évidemment. A ce sujet, la réalité du « séminaire » de Jacques LACAN correspond à un cours durant lequel « un seul » parle. C’est un cours magistral, une conférence sans débat, sinon selon un certain nombre de témoignages, un « débat intérieur » suscité par les propos de Jacques LACAN chez les assistants à son séminaire. « Il parlait en public, et il arrivait qu’à l’écouter, tu aies l’impression  d’entendre ce que tu lui avais dit, mais repris théoriquement, ce qui lui donnait une toute autre portée », (2) déclare René TOSTAIN, médecin, psychanalyste, élève de Jacques LACAN et ancien enseignant au Département de Psychanalyse de Vincennes fondé par Serge LECLAIRE en 1968.

LES EFFETS DU DÉPLACEMENT
DE JACQUES LACAN A VINCENNES

En cette début d’année universitaire 1969-1970, Jacques LACAN « tient » successivement son séminaire le mercredi 26 novembre 1969 à la Faculté de Droit du Panthéon, puis le mercredi 3 décembre 1969 à l’Université de Vincennes, et à nouveau le mercredi 10 décembre 1969 à la Faculté de Droit du Panthéon. En ce début d’année, c’est un séminaire itinérant. Le déplacement du 3 décembre 1969 à Vincennes est porteur d’effets, notamment parce que le déplacement implique également celui du public. Il amène une question : Jacques LACAN se rend-il compte qu’à Vincennes, il n’est pas en présence du même public qu’au Quartier latin ?

On peut faire l’hypothèse que la composition de son public ne le préoccupe pas. Il est né en 1901, il a soixante-huit ans, il pense que c’est au public de s’adapter à ce qu’il dit, et non pas lui à s’adapter à son public. Mais sait-t-il que Serge LECLAIRE, qui tient son séminaire dans cette même université de Vincennes depuis 1968, le mercredi de 19 heures à 22 heures, à l’Amphi 3 exactement, est toujours suivi – et parfois interrompu – par des prises de parole de membres de l’assistance. Serge LECLAIRE les admet et les respecte dans la mesure ou la pratique universitaire impose précisément le respect d’espaces de libre parole. Pourquoi les étudiants de Vincennes traiteraient Jacques LACAN différemment qu’ils ne traitent  Serge LECLAIRE ?

« Analyticon. Impromptu sur la psychanalyse. Séminaire de Jacques LACAN du 3 décembre 1969 fait au Centre universitaire expérimental de Vincennes, page 1.
Publication du Département de Psychanalyse », ronéotypé, 8 p. Notes de Bernard Mérigot.
Texte en pdf :
http://www.savigny-avenir.fr/wp-content/uploads/1981/09/LACAN-Impromptu-Vincennes-3-decembre-19691.pdf

HISTOIRE DE L’ENSEIGNEMENT DE LA PSYCHANALYSE :
UN ÉGAL SUSPENS

La séance est peu commentée dans les années 1970. C’est depuis le début du XXIe siècle que l’on constate que l’échange entre Jacques LACAN et des étudiants fait l’objet d’un intérêt nouveau. On peut observer que les faits eux-mêmes qui sont à son origine, ainsi que les conditions du déroulement de la « séance », ont peu à peu constitué une réalité que l’on est tenté de qualifier par le terme anglais de « floating » : flottante. Des explications livrées par des commentateurs, rarement fondées sur des témoignages attestés ou sur des documents identifiés, en étant sans cesse reprises par les uns et par les autres, constituent une sorte de fiction rarement interrogée, porteuse d’effets de la nature de la rumeur.

Il est permis de se demander aujourd’hui, cinquante ans après 1969, quel regard critique nous sommes en mesure de porter à l’égard de la reconstruction sociale qui s’opère autour de cette « séance ». Peut-on adopter ce que Freud a qualifié de « Gleichschwebende Aufmerksamkeit », c’est à dire « une attention en libre suspens », ou « une attention en égal suspens » (4) que les psychanalystes anglais ont notamment traduit par « free-floating attention ».

Il ne suffit pas que « ça flotte », encore faut-il qu’une attention égale soit portée tout à la fois sur de ce que l’on sait, sur ce que l’on ignore, sur ce que l’on suppose… Et de façon rétrospective, sur ce qui a été oublié comme sur ce qui a été inventé par les uns et les autres. Il n’y a rien d’étonnant à appliquer une exigence freudienne à tous ceux qui s’inscrivent dans une relation à la « chose » psychanalytique : à interroger le désir – leur désir – de donner sens à cette séance du 3 décembre 1969.

CINQUANTE ANS  APRÈS
1969 – 2019

Sigmund FREUD, dans un texte de 1933, associe dans une même phrase, la place conquise par de la psychanalyse à l’université et les combats engagés autour d’elle. Il écrit :

« Bien que la psychanalyse soit actuellement considérée comme une science, bien qu’elle ait conquis sa place à l’université, les combats engagés autour d’elle ne sont pas encore terminés, mais, c’est avec moins d’âpreté qu’ils se poursuivent. »

FREUD Sigmund,« Éclaircissements, applications, orientations, VIe Conférence », Nouvelles conférences sur la Psychanalyse, Gallimard, 1936, p. 189. Traduction de Anne Berman. Avant-propos de Sigmund Freud, « Vienne, été 1932 ».

« Nun erwarten Sie aber nicht, die frohe Botschaft zu hören, der Kampf um die Analyse sei zu Ende und habe mit ihrer Anerkennung als Wissenschaft, ihrer Zulassung als Lehrstoff zur Universität geendet. Es ist keine Rede davon, er setzt sich fort, nur in mehr gesitteten Formen. » (GW XV, p. 149)

FREUD Sigmund, « Aufklärungen, Anwendungen, Orientierungen, XXXIII. Vorlesung », Neue Folge des Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, Gesammelte Werke, XV, p. 149.

Sigmund FREUD rappelle que la psychanalyse est une science. Aujourd’hui, presque un siècle après, on peut toujours affirmer que la psychanalyse est bel et bien une science, à la fois une Science médicale et une Science humaine et sociale (SHS), expression qui désigne l’ensemble des disciplines qui étudient les différents aspects de la réalité humaine, tant sur le plan de l’individu que sur le plan de la collectivité. Ceux qui se recommandent de la psychanalyse et ceux qui la pratiquent possèdent dans ce domaine une véritable expertise.

Il use de prudence en précisant « actuellement ». C’est l’occasion d’évoquer l’actualité de cette année 2019. Croire que le débat concernant la reconnaissance de la psychanalyse est un débat achevé, propre aux années de la première moitié du XXe siècle, est une idée fausse. Il suffit de considérer en la présente année 2019 les débats réclamant l’exclusion de l’approche psychanalytique de l’autisme, de l’enseignement psychiatrique ou bien de l’expertise familiale. La pétition « La psychanalyse ou l’exercice illégal de la médecine », dont le texte est d’une grande violence, a recueilli à la date du 5 décembre 2019 plus de mille signatures (1 019 signatures exactement) de professionnels de santé et d’avocats. Ceux-ci affirment que la psychanalyse n’apporte pas « des preuves et des données acquises de la science » et qu’elle est fondée « sur des postulats obscurantistes et discriminants sans aucune validation scientifique ». Ils réclament son exclusion des universités et des prétoires.

« La psychanalyse ou l’exercice illégal de la médecine, 5 décembre 2019 ». https://www.justicesanspsychanalyse.com/

Combat de Sigmund FREUD en 1933, combat de Serge LECLAIRE en 1968-1969, combat de Jacques LACAN … Qu’est-ce qui permet de dire que l’on est en présence d’un événement ? Existe-t-il des événements individuels et ponctuels ? Ou bien n’existent ils que comme des pièces appartenant à des mécanismes collectifs, qui se développent de façon continue ?

Au regard de l’enseignement de la psychanalyse dans l’université, ce mercredi 3 décembre 1969, qui a produit un effet de vérité, c’est-à-dire, qui a fait passer quelque chose dans le réel ? Jacques LACAN ou les étudiants ?

Bernard MÉRIGOT

RÉFÉRENCES
1. La première version de ce bref article n’a pas la prétention d’être complète. L’auteur remercie par avance ceux et celles qui lui signaleront erreurs et oublis. Le mail de la publication figure sur la page d’accueil du site.

2. « Entretien avec René Tostain , in DIDIER-WEILL Alain, WEISS Emil et GRAVAS Florence, Quartier Lacan, Témoignages sur Jacques Lacan, Denoël, 2001, p. 212.

3. LACAN Jacques, « Analyticon, Impromptu sur la psychanalyse, Séminaire du 3 décembre 1969 fait au Centre universitaire expérimental de Vincennes (C.U.E.V.) ». Titre des « Notes de Bernard Mérigot », p. 1. Fonds BM/CAD. http://www.savigny-avenir.fr/wp-content/uploads/1981/09/LACAN-Impromptu-Vincennes-3-decembre-19691.pdf

4. FREUD Sigmund, L’interprétation des rêves, PUF, 1967.

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • Casse-noisette, Ballet-féérie de TCHAÏKOVSKI (1892), adaptation du conte Casse-noisette et le Roi des souris d’Ernst Theodor Amadeus HOFFMANN (1816). © Photographie Bernard Mérigot / CAD 2 décembre 2019.
  • « Analyticon. Impromptu sur la psychanalyse. Séminaire de Jacques LACAN du 3 décembre 1969 fait au Centre universitaire expérimental de Vincennes, page 1. Publication du Département de Psychanalyse », ronéotypé, 8 p. Notes de Bernard Mérigot. Texte en pdf : http://www.savigny-avenir.fr/wp-content/uploads/1981/09/LACAN-Impromptu-Vincennes-3-decembre-19691.pdf

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°381, lundi 2 décembre 2019

Territoires et Démocratie numérique locale (TDNL) est un media numérique mis en ligne sur le site http://savigny-avenir.info.
ISSN 2261-1819 BNF. Dépôt légal du numérique

Le site est supporté par une structure associative et collaborative, indépendante, sans publicités et sans but lucratif, le Groupe Mieux Aborder L’Avenir (MALA).
Vous pouvez nous aider par vos dons.
Tous les articles en ligne sont consultables gratuitement dans leur totalité. Un article peut être reproduit à la condition de citer sa provenance et en faisant figurer son lien http://.
Référence du présent article : http://www.savigny-avenir.fr/2019/12/02/3-decembre-1969-il-y-a-cinquante-ans-se-tenait-l-impromptu-sur-la-psychanalyse-de-jacques-lacan-a-vincennes/
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Réflexions anthropologiques. Qu’est-ce qu’une « société de vigilance » ? (Emmanuel Macron)

« Une société de vigilance voilà ce qu’il nous revient de bâtir ». Ainsi s’est exprimé le président de la République Emmanuel MACRON lors de l’allocution qu’il a prononcée dans la cour de la Préfecture de Police de Paris en rendant hommage aux quatre policiers tués à coup de couteau le 3 octobre 2019 par Mickael HARPON, lui-même fonctionnaire de police. Emmanuel MACRON a annoncé que « Face au terrorisme islamiste nous mènerons le combat sans relâche ». Comment l’anthropologie peut-elle aborder la notion de « société de vigilance » ?

« Cérémonie d’hommage aux victimes de l’attaque à la Préfecture de Police de Paris du 3 octobre 2019 »,
C News, Chaîne de télévision d’information continue, 8 octobre 2019, 11 : 28.

LE CONCEPT PARADOXAL DE VIGILANCE D’ÉTAT

« Une société de vigilance voilà ce qu’il nous revient de bâtir. La vigilance, et non le soupçon qui corrompt. La vigilance : l’écoute attentive de l’autre, l’éveil raisonnable des consciences. C’est tout simplement savoir repérer à l’école, au travail, dans les lieux de culte, près de chez soi les relâchements, les déviations, ces petits gestes qui signalent un éloignement avec les lois et les valeurs de la République. Une séparation. Cela commence par vous – forces de l’ordre, fonctionnaires, serviteurs de l’Etat. Je sais combien vous saurez vous engager pour repérer ces petits riens qui deviennent de grandes tragédies. L’Etat se doit d’être exemplaire, de se réarmer aussi moralement partout, de mieux former chacun pour ainsi agir. » (1)

La vigilance, la « vigilia » des Romains est à la fois la veille, l’insomnie et la garde nocturne. Elle est incarnée par le « vigil », ce garde de nuit, ce veilleur institué par l’empereur Auguste pour assurer la police nocturne de Rome sous le commandement d’un « Préfet des vigiles ». A cette fonction est associée un imaginaire moderne : celle des sentinelles, des gardes et des gardiens que les films et les feuilletons télévisés mettent en scène en leur faisant jouer un rôle récurent : être neutralisés, désarmés, assommés, voire tués, sans pouvoir empêcher, ni les prisonniers de sortir, ni les cambrioleurs ou les opposants d’entrer dans les locaux dont ils empêchent l’entrée. Ces innombrables scènes illustrent une constante : les vigiles et les gardiens remplissent une fonction illusoire.

« FAIRE BONNE GARDE »

TACITE emploie l’expression de « passer une nuit vigilante en faisant une bonne garde » (« vigilem noctem capessere », Annales, 4, 48). La nuit peut donc être habitée par une qualité particulière que constitue la vigilance. Mais qu’est-ce qu’une « nuit vigilante » ? Et qu’est-ce qu’une « bonne garde » ? L’une irait donc avec l’autre : « la nuit vigilante » permet de déduire la « bonne garde ». Il peut s’agir de deux choses :

  • une nuit passive durant laquelle il ne se passe rien, sinon un long ennui, ou bien à l’inverse,
  • une nuit active, qu’elle soit dissuasive du fait de la simple existence et la présence de vigiles qui empêchent que rien n’advienne, ou bien répressive du fait de l’action des vigiles qui s’opposent à des intrusions, à des forces hostiles, à des actes malveillants.

DE LA VIGILANCE AU VIGILANTISME

Le vigilantisme peut se définir comme une pratique d’auto-justice qui repose sur un paradoxe fondamental en s’arrogeant le droit d’ignorer la loi, de se substituer à elle, voire de la violer, et ce, au nom du maintien de l’ordre. Le pouvoir de l’ordre se substitue à l’ordre du pouvoir. Ordres ou contre-ordres ? Pouvoirs ou contre-pouvoirs ? Pour Gilles FAVEREL GARRIGUES, Laurent GAVIER et Laurent FOUCHARD, « le vigilantisme recouvre toute une gamme de mobilisations collectives, souvent violentes et généralement illégales, dont la vocation proclamée est de rendre justice aux honnêtes citoyens, et par-là même, de défendre l’ordre social. ». (2)

  • Le vigilantisme est lié à histoire du néo-libéralisme. Certaines de ses mobilisations ont pris une ampleur particulière aux États-Unis au XIXe siècle mais l’on en trouve des équivalents historiques dans de nombreuses régions du monde. « A l’heure de la mondialisation néo-libérale, le vigilantisme est un phénomène global. Sa signification sociale s’est cependant déplacée : il n’est plus l’expression privilégiée d’une demande de justice sur les fronts pionniers des États et empires mais participe à la gouvernance néo-libérale des sociétés en sous-traitant à moindre coût certaines tâches de maintien de l’ordre. »
  • Le vigilantisme est une forme de gouvernement indirect. Il appartient au syndrome du « retrait de l’État », voire de la « faillite de l’Etat ». Le vigilantisme est l’une des manifestations de la résurgence du gouvernement indirect. Gilles FAVEREL GARRIGUES, Laurent GAVIER et Laurent FOUCHARD notent : « La globalisation des pratiques du vigilantisme témoigne d’une ambivalence qui culminent dans les sociétés postcoloniales confrontées à des violences politiques et criminelles endémiques ».

Ses caractéristiques sont connues :

  • la coexistence d’une pluralité d’états de désordres chroniques,
  • l’aveu des limites de l’intervention publique,
  • le fétichisme de la loi,
  • le déplacement des conflits politiques et sociaux vers les tribunaux officiels,
  • la prolifération des légalités officieuses.
  • La confrontation entre « vigilantisme vu-d’en-bas » et « vigilantisme d’État ». Elle s’inscrit dans des trajectoires historiques et des répertoires culturels spécifiques, en oscillant entre :
  • l’invocation de la légalité officielle,
  • des pratiques extrajudiciaires adossées à des valeurs et des normes extérieures ou antérieures à l’État,
  • Un appel aux initiatives citoyennes pour que « les petits riens » ne deviennent pas « de grandes tragédies ».

LA TERREUR DE N’ÊTRE RIEN

Le fondement de la vigilance d’État, prônée à son plus haut niveau, prétend concerner uniquement le radicalisme religieux. Mais peut-on limiter la vision et l’attention au seul exemple islamiste ? La réflexion anthropologique globale du présent ne peut s’en satisfaire. Pour Monique SELIM, qu’il s’agisse des suprémacistes blancs aux USA, en Australie ou en Nouvelle Zélande, des bouddhistes birmans qui massacrent les musulmans arakanais, des djihadistes, ou de bien d’autres groupes terroristes encore… tous possèdent un trait commun : celui d’être animés par des hommes et des femmes, qui au fond d’eux-mêmes ou dans leurs expressions collectives, sont porteurs de « la terreur de n’être rien ».

Cette formule constitue le titre du chapitre que Monique SELIM consacre à ce sujet dans son livre Anthropologie de présent. Évoquant tous ceux qui répandent la terreur, que ce soit dans le cadre d’ « une visibilité médiatique extraordinaire », ou dans celui d’ «  un silence étourdissant », elle écrit :

« Groupes organisés, micro-collectifs ponctuels et individus esseulés, donnent l’impression de faire de la surenchère pour mettre en œuvre des actions d’éclat meurtrières qui les feront accéder à leurs yeux à une existence reconnue ici-bas ou dans un ailleurs imaginaire de leur choix. » (4)

Le début du XXIe siècle a engendré un type très particulier de terroriste « en quête d’une identité publicisée » lui conférant un statut social élevé. Elle rappelle que « le capitalisme financiarisé a inscrit le libre arbitre, la volonté et le droit d’être soi comme étant un fondement absolu de l’accomplissement de la vie ». Dès lors, « les terroristes prennent au pied de la lettre la base de légitimation de soi et de l’acte terroriste en recherchant dans la terreur une ultime consécration. »

Aboutissement d’un cheminement radicalisé, l’acte terroriste consiste à abandonner le « rien » pour s’accomplir dans « quelque chose » de terrible. La vigilanciation, en annonçant la chasse aux « petits gestes » et aux « petits riens », constitue-t-elle le pendant à la radicalisation ou bien l’annonce précipitée d’une technique de gouvernement classique ? Avec les les moyens numériques soit existants, soit en développement, et leurs puissances, leurs ratages et leurs détournements.

CONCLUSION

La confrontation entre le « vigilantisme vu-d’en-bas » et du « vigilantisme d’État » est un effet des transformations de souveraineté du pouvoir à l’heure de la globalisation. Elle procède à  la  (re)construction d’ordres moraux ancrés dans des territoires spécifiques en instaurant de nouvelles pratiques de « police culturelle ». Quelles en sont aujourd’hui les limites au regard des libertés individuelles ? Quelles en seront les limites demain ?

Bernard MÉRIGOT

RÉFÉRENCES

1. MACRON Emmanuel, « Discours du président de la République en hommage aux victimes de l’attaque à la Préfecture de police de Paris », 8 octobre 2019, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/10/07/ceremonie-nationale-dhommage-aux-victimes-de-lattaque-du-3-octobre-2019-a-la-prefecture-de-police-de-paris

NB. Le lien qui figure ci-dessus est celui du texte du site officiel de la Présidence de la République. On remarquera qu’il porte la date du « 2019/10/07 ». La cérémonie et le discours ont bien eu lieu le mardi 8 octobre 2019.

2. FAVEREL GARRIGUES Gilles, GAVIER Laurent et FOUCHARD Laurent, « Pôle de recherche sur l’analyse du vigilantisme », Sciences Po, Centre de Recherches internationales, http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/pole-de-recherche-sur-lanalyse-du-vigilantisme

3. Le vigilantisme reste peu étudié en France. Le terme continue de passer pour un anglicisme (alors même qu’il trouve son origine dans l’espagnol « vigilante »). Les phénomènes variés que recouvre ce concept émergent ont fait l’objet d’un plus grand nombre de travaux à l’étranger (Grande-Bretagne, Allemagne) de la part d’historiens et d’anthropologues. La science politique ne s’est jusqu’à présent guère intéressée à cette problématique.

4. SELIM Monique, Anthropologie globale du présent, L’Harmattan, 2019, p. 166.

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Référence du présent article : http://www.savigny-avenir.fr/2019/10/09/reflexions-anthropologiques-quest-ce-quune-societe-de-vigilance-emmanuel-macron/
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Transition écologique et révolution intérieure : vers une écopsychologie de l’engagement personnel (Centre Sèvres de Paris/Facultés jésuites)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°369, lundi 9 septembre, 2019

La transition écologique et sociale, la révolution intérieure et l’engagement individuel constituent le thème de l’une des trois « sessions de premier cycle », commune à tous les étudiants de 1ère année de philosophie et de théologie du Centre Sèvres Facultés jésuites de Paris pour l’année universitaire 2019-2020. (1) Il est intéressant de noter que pour les facultés jésuites, contrairement à une vision superficielle répandue par les médias sur ces questions, l’humanité n’est plus dans l’incertitude d’un débat dont la conclusion serait encore à venir, mais bien dans la certitude d’une réalité « déjà là ».

L’écologie doit être une recherche permanente d’un équilibre.
23 octobre 2018.
© Photographie Bernard Mérigot / CAD

LA DÉGRADATION IRRÉVERSIBLE DES ÉCOSYSTÈMES

« Les signaux de la dégradation irréversible des écosystèmes et du climat se multiplient, les émissions de gaz à effet de serre continuent à augmenter à l’échelle mondiale alors qu’il faudrait les réduire drastiquement pour espérer s’approcher des objectifs fixés par l’accord de Paris en 2015. » Ce constat réaliste et déterminé constitue le point de départ de la formation de quatre jours qui est proposée par le Centre Sèvres à ses étudiants sous le titre explicite de « Pour la transition écologique et sociale : de la révolution intérieure à l’engagement ».

Pour les trois professeurs responsables de cet enseignement, Cécile RENOUARD, Xavier de BENAZÉ et Michel-Maxime EGGER, « l’urgence écologique est aussi sociale, elle concerne l’aggravation de la situation des plus vulnérables, aujourd’hui et demain. Pour changer de cap et dessiner les chemins d’une prospérité sans croissance, la rationalité techno-scientifique est nécessaire et insuffisante. » (2)

LA DIMENSION ÉCOPSYCHOLOGIQUE

La bibliographie de cet enseignement est significative : Encyclique Laudato si’ du Pape François (2015), Pour une nouvelle terre (2018) de Dominique BOURG (2018), Soigner l’esprit, guérir la Terre. Introduction à l’éco-psychologie (2016) et La Terre comme soi-même. Repères pour une écospiritualité (2013) de Michel-Maxime EGGER, « Écologie et vie spirituelle » de Cécile RENOUARD (2016) .

Qu’est-ce que l’écopsychologie ? L’invention du terme est attribuée à Theodore ROSZAK (1933-2011), historien, sociologue et écrivain américain, professeur à l’Université de Californie, dans son livre The Voice of the Earth (1992), qui lui ajouta lors de sa réédition le sous-titre An Exploration of Ecopsychology (2011). Il est l’auteur, avec Mary GOMES et Allen KANNER, d’un ouvrage collectif, Ecopsychology: Restoring the Earth, Healing the Mind (1995).

Le domaine de l’écopsychologie se situe au-delà du domaine « conventionnel » de la psychologie. Elle examine notamment les raisons pour lesquelles des individus continuent d’adopter des comportements nuisibles à l’environnement alors que d’autres sont motivés de façon positive, et adoptent des pratiques respectueuses et durables.

LES SOURCES SPIRITUELLES
DE LA SOBRIÉTÉ HEUREUSE ET SOLIDAIRE

La « ligne éditoriale » de cet enseignement est résumée de la façon suivante par ses responsables  : « La session se propose d’approfondir les racines anthropologiques et culturelles des maux actuels et de puiser à des sources spirituelles pour favoriser un discernement personnel et collectif sur les attitudes, les processus et les actions en vue d’une sobriété heureuse et solidaire. »

On le voit, il appartient à chacun de se déterminer, individuellement. Avec toutes les conséquences collectives qui en découlent.

RÉFÉRENCES

1. CENTRE SÈVRES PARIS /FACULTÉS JÉSUITES, Programme 2019-2020, 256 p. https://centresevres.com

  • Pour la transition écologique et sociale de la révolution intérieure à l’engagement (Cécile RENOUARD, Xavier BENAZÉ, Michel-Marie EGGER), p. 77-78.
  • Le participation. Effet de mode ou révolution ? (Marcel RÉMON), p. 78.
  • L’Institution, obstacle et chemin vers Dieu (Jean-Paul LAMY, Sylvie ROBERT, Étienne GRIEU), p. 164

2. RENOUARD Cécile, BENAZÉ Xavier, EGGER Michel-Maxime, « Pour la transition écologique et sociale : de la révolution intérieure à l’engagement », Session de 1er cycle, lundi 27 janvier 2020-jeudi 30 janvier 2020, in Centre Sèvres Paris, Facultés jésuites, Programmes 2019-2020, p. 77-78.

« Nous vivons un combat écologique, économique, politique ; les penseurs spirituels juifs, musulmans, bouddhistes et chrétiens se rejoignent pour dire que la première façon de contribuer à un monde meilleur est de faire la paix en nous-mêmes, de mener le combat intérieur pour nous désarmer, pour nous déposséder de nous-mêmes, et nous rendre davantage disponibles pour les autres, en même temps que présents à nous-mêmes, et heureux de vivre. C’est cette attitude que sainte Marie-Eugénie, fondatrice de l’Assomption, appelle le dégagement joyeux : apprendre à regarder les choses du côté de Dieu, du côté de la vie, de ce qui nous donne du souffle, de l’élan intérieur, du discernement pour ne pas nous enliser dans nos réflexes étriqués, nos préjugés et nos peurs, pour réfléchir et agir. »
RENOUARD Cécile, « Allocution lors de la remise des insignes de Chevalier de la Légion d’honneur », 4 mars 2016. https://www.assumpta.org/Paris-Remise-de-la-Legion-d

LÉGENDE DES ILLUSTRATIONS

  • L’écologie est une recherche permanente d’un équilibre. 23 octobre 2018. © Photographie Bernard Mérigot / CAD

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°369, lundi 9 septembre 2019

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Comment aborder la spécialité « Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques » ? Les nouveaux programmes 2019 des classes Terminales des lycées

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°366, lundi 19 août, 2019

C’est en pleines vacances scolaires que les nouveaux programmes des classes terminales des lycées ont été publiés au Journal officiel du 23 juillet 2019. Il s’agit d’un ensemble de 27 arrêtés applicables en septembre 2020 pour l’année scolaire 2020-2021. (1) 
On y voit apparaître de nouvelles dénominations pour les enseignements spécialisés proposés aux candidats à la session du Baccalauréat de juin 2021, comme « Humanités littérature et philosophie », « Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques », « Mathématiques et sciences informatiques ».
Chacun de ces enseignements de spécialité se décline en plusieurs « Thèmes ». Ils comprennent eux-mêmes une « Introduction », des « Axes », un « Objet de travail conclusif » et des « Jalons ». Ces différents niveaux de lecture rendent complexe la compréhension des instructions données. Nous prendrons l’exemple de l’ « Enseignement de la spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques » en nous interrogeant sur ses présupposés, sur ses non-dits, sur ses effets cachés.

Les livres soutiennent le monde. Un ange retient le monde et s’appuie sur deux livres. On se demandera de quels livres il peut s’agir. Ce qui est certain, c’est que le monde repose en partie sur les livres, c’est-à-dire sur la connaissance. Sculpture, École militaire, Paris, 4 juillet 2017. © Photographie Bernard Mérigot.

Commentaire de la photographie. D’une part, on notera que l’ange a l’air songeur. Peut-être est-il fatigué ? D’autre part, on peut se demander s’il n’est pas en train de glisser, poussé par le poids du monde. Pourvu qu’il ne tombe pas. Et les livres ? Ils semblent en équilibre instable. Pourvu que tout cela ne s’écroule pas.

SOMMAIRE
•   Les paradoxes des programmes scolaires
•   Les disciplines enseignées deviennent hybrides
•   La bande des quatre sciences sociales
•   La dernière classe

•   CONCLUSION
RÉFÉRENCES
LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS
Commentaire du 27 octobre 2019. Pour une histoire de l’enseignement des disciplines scolaires
Commentaire du 19 décembre 2019. Le « choix vertical » des programmes scolaires
Commentaire du 15 janvier 2020. Comment enseigner la géopolitique au lycée ?

LES PARADOXES DES PROGRAMMES SCOLAIRES

Dans une étude publiée en 2013 portant sur les nouveaux programmes scolaires de Science économique, qui constituaient alors l’actualité du moment, Coralie MURATI écrit :

« L’écriture des contenus d’enseignement résulterait, d’une part d’un processus de confrontation entre différentes logiques, et d’autre part de négociations permanentes au sein d’un espace pluriel de groupes d’acteurs, à l’instar d’une arène de lutte sociale. Les négociations portent sur ce qui fait débat au sein de la discipline scolaire, mais également au sein des disciplines universitaires qu’elle prend pour référence, et enfin au sein même de la société. Ce qui traduit l’existence d’un espace complexe en tension entre les divers groupes sociaux qui l’investissent de manière différenciée pour la production d’un modèle pédagogique. » (2)

1. Les programmes scolaires constituent une prérogative d’intervention du pouvoir politique. Il use et abuse de ce pouvoir en multipliant à une fréquence élevée :

  • d’une part les modifications qui affectent leur terminologie, leurs contenus et les méthodes,
  • d’autre part les effets d’annonce qui précèdent la publication des textes et leur mise en oeuvre, supposée ou réelle.

Tout cela se produit dans un contexte de réformes successives, en définitive peu visibles – et souvent peu compréhensibles – pour ses acteurs (élèves, parents, enseignants, administration, syndicats… auxquels il convient d’ajouter les corps d’inspection qui souvent livrent, à un même moment, des interprétations contradictoires à l’égard des textes), mis généralement devant des « faits accomplis », sans aucune réelle concertation préalable, comme en témoignent les syndicats et les associations disciplinaires d’enseignants.

2. Les programmes sont devenus des sujets d’actualité périodiques pour les médias, matières à des polémiques – brèves et passionnées – qui apportent peu de lumière à des débats intermittents, peu connectés avec le développement présent des sciences humaines et sociales et de la vie culturelle, sociale et économique. La génération des parents comprend de moins en moins ce que leurs enfants sont censés étudier (ni les contenus, ni les méthodes, ni les évaluations).
Les enseignants, dès qu’ils ont quelques années d’ancienneté, sont en décalage avec les formations qu’ils ont reçues. Ils sont confrontés à une terminologie incompréhensible. On se souvient de la polémique sur la notion de « prédicat » en grammaire et de l’ahurissant communiqué de presse que le Comité national des programmes publia en 2017 (3). Les enseignants doivent s’adapter dans la plus grande urgence à ce que l’on attend d’eux. Seuls résistent les élèves aidés par leurs réseaux sociaux d’échanges, dans la limite du temps résiduel qu’ils consacrent réellement au contenu spécifique de leurs études.

3. L’évolution des programmes scolaires a des causes liées à l’évolution des idées. Ils dépendent du niveau de réponse que le pouvoir politique entend apporter aux multiples « demandes sociales » des groupes de pression. Les décisions une fois prises par l’administration et le gouvernement, entraînent – avec retard –  toute une série d’effets en chaîne, peu visibles, et dont la manifestation est rarement rattachée à leur cause première, oubliant que tout programme scolaire possède une nature référentielle et structurante.

  • Effets, à la fois individuels et collectifs, sur des élèves appartenant aux classes d’âge quittant le système scolaire pour entrer dans la vie active.
  • Effets sur le niveau d’exigence des inspecteurs, donc sur l’appréciation qu’ils portent sur les carrières des enseignants (et sur la dépendance entretenue entre inspection/notation/carrière).
  • Effets sur les modalités de recrutement des nouveaux enseignants selon les deux voies parallèles (titulaires/contractuels) qui sont en concurrence, la voie empruntée par les contractuels venant suppléer de plus en plus, avec des niveaux de rémunération plus faibles, le manque de titulaires.
  • Effets sur le contenu des opinions citoyennes et sur la production des idées : tous les thèmes et sujets abordés (la mondialisation, les pays en voie de développement…) étant à la fois des reflets des préoccupations politiques du moment, mais également des modes d’incitation, de conception, de fabrication (un programme d’enseignement est une « fabrique d’idées »), de production, de diffusion.

En un mot : changer des programmes scolaires revient à changer, selon un mode incrémental (petit à petit, par ajouts successifs), non pas directement les idées du temps, mais les connaissances et les opinions sur les idées du temps, et donc sur leur mode de construction, aussi bien celles qui sont en-train-de-se-faire, que celles qui sont à-venir.

Abrogation de programmes d’enseignement de la classe terminale des voies générale et technologique, Bulletin officiel de l’Éducation nationale (BOEN), Arrêté du 19 juillet 2019, J.O. du 23 juillet 2019. n°8, 25 juillet 2019.

LA BANDE DES QUATRE SCIENCES SOCIALES

A quelle catégorie les textes des programmes scolaires établis par le ministère de l’Éducation nationale pour les collèges et des lycées – pour ne citer qu’eux ici – appartiennent-ils ? Un programme d’enseignement d’histoire fait-il partie du savoir universitaire de la discipline « Histoire » ? Autrement dit, est-il en prise avec l’état de ses recherches, de ses concepts, de ses « problématiques », de ses sujets de recherche, de ses publications ? Ou bien constitue-t-il un domaine « à part », qui occuperait une place secondaire, relevant de son application, de sa transmission ? En un mot : une « initiation » à l’histoire universitaire, formant un enseignement constituant un domaine discret des pratiques et des évolutions, sortes de « connaissances circulantes » au sein de la société. Est-on en présence d’un enseignement-application ou bien un enseignement-recherche ?

L’enseignement de la spécialité est présenté en se fondant sur la « complémentarité » de quatre disciplines : l’histoire, la géographie, la science politique, la géopolitique. Une addition en quelque sorte.

« L’enseignement de spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques développe une approche pluridisciplinaire qui, pour analyser et élucider la complexité du monde, mobilise plusieurs points de vue, des concepts et des méthodes variés.
Cette spécialité permet aux lycéens de mieux maîtriser les spécificités des approches disciplinaires et de mesurer, à l’occasion du traitement d’un thème, leur féconde complémentarité.

  • L’histoire saisit chaque question dans son épaisseur temporelle. Le recours à la longue durée, la mise en perspective d’événements et de contextes appartenant à différentes périodes rendent attentif aux continuités et aux ruptures, aux écarts et aux similitudes. L’histoire éclaire et contextualise le rôle des acteurs.
  • La géographie permet ici d’identifier et de comprendre les logiques d’organisation de l’espace ainsi que l’influence des acteurs sur les territoires. Par la pratique continue du changement d’échelle, par la réalisation et l’analyse de cartes, par l’intérêt porté aux territoires proches ou éloignés, elle autorise les comparaisons et la réflexion critique.
  • La science politique étudie les phénomènes dans leur spécificité politique. Elle est ici abordée à partir de ses principaux domaines : l’étude des relations internationales, des concepts, des régimes et des acteurs politiques (dont les organisations internationales) dans une démarche comparative.
  • La géopolitique envisage les rivalités et les enjeux de pouvoir sur des territoires considérés dans leur profondeur historique, ainsi que les représentations qui les accompagnent. (3)

Le programme définit chaque discipline par un critère distinctif :

  • Histoire : l’ « épaisseur temporelle »,
  • Géographie : l’ « organisation de l’espace »,
  • Science politique : la « spécificité politique »,
  • Géopolitique : les « rivalités et enjeux de pouvoir ».

Arrêtons-nous un instant sur chacune de ces quatre présentations. Nos questions ne sont pas secondaires mais tentent de se situer au niveau de l’ambition (le terme est propre au langage des programmes d’enseignement) qui vise à créer un cadre disciplinaire à un enseignement conduisant au terme de l’année scolaire 2020-2021, à la délivrance du baccalauréat.

HISTOIRE. La définition de l’histoire qui est donnée comprend à l’évidence une « dissonance logique ». Il est écrit qu’il est question d’être attentif « aux continuités et aux ruptures, aux écarts et aux similitudes ». Autant les continuités sont le contraire des ruptures, autant les écarts ne sauraient s’opposer – sticto sensu et au même niveau – aux similitudes. On attend à la place du mot « écarts » (interruption, espace) celui de « différences » qui en constitue l’antonyme, ou bien à la place de « similitudes », celui de « différences ». Ne sommes-nous pas en présence d’un condensé bancal qui tente d’établir en deux phases ce qui en fait devrait être développé en trois phases  :
•   continuités/ruptures,
•   écarts/continuité,
•   différences/similitudes ?

  • Concepts : Épaisseur temporelle, longue durée, Événements, périodes, Continuités, Ruptures, Écarts, Similitudes, Contextualisation, Acteurs historiques.

GÉOGRAPHIE. Deux objectifs sont mentionnés : les logiques d’organisation de l’espace ainsi que l’influence des acteurs sur les territoires. Pourquoi ne pas mentionner, pour être complet, l’effet inverse qui explique bien des situations politiques et économiques : l’influence des territoires sur les acteurs ?

  • Concepts : Organisation de l’espace, Territoires, Influence des acteurs, Changement d’échelle, Cartes, Proche/éloigné,

SCIENCE POLITIQUE. La définition – évidente – qui en est donnée («La science politique étudie les phénomènes dans leurs spécificité politique ») ne peut que faire l’unanimité. Après tout, chaque science humaine et sociale possède bien une spécificité. Encore convient-il d’indiquer à quels phénomènes elle applique son étude. Quatre principaux domaines étudiés sont énumérés, à savoir : les relations internationales, les concepts, les régimes, les acteurs politiques.

  • Concepts. Spécificité politique, Relations internationales, Régimes politiques, Acteurs politiques, Organisations internationales.

GÉOPOLITIQUE. Il est à noter que la définition reprend « les rivalités et les enjeux de pouvoir sur les territoires » en y ajoutant la précision « dans leur profondeur historique ». S’agit-il d’un pendant à l’ « épaisseur temporelle » de la définition donnée pour l’histoire ? On aurait donc d’un côté l’ « épaisseur temporelle » et de l’autre la « profondeur historique », et donc une mise à distance entre l’épaisseur et la profondeur ?
Cette question, pourrait sembler secondaire si elle n’était pas associée à l’introduction du concept de représentations qui accompagnent « les rivalités et les enjeux de pouvoir ». On doit donc considérer que toutes les rivalités et tous les enjeux de pouvoir sur les territoires seraient « accompagnés » par des représentations. Il ne s’agit pas directement des rivalités et des enjeux de pouvoir, en tant qu’objets saisis en eux-mêmes, mais de représentations accompagnantes selon un système unitaire (un objet représenté), mais système dual (un objet + une représentation). Une théorie de l’accompagnement conceptuel est ici sous-jacente. Il serait intéressant que le Comité national des programmes la développe.

  • Concepts. Rivalités de pouvoir. Enjeux de pouvoir. Territoires. Profondeur historique. Représentations accompagnantes.
La palette des nouveaux programmes d’enseignement de spécialité des classes terminales 2019 : une latte pour l’histoire, une latte pour la géographie, une latte pour la géopolitique, une latte pour les sciences politiques… 16 août 2019.
© Photographie Bernard Mérigot.

LES DISCIPLINES DEVIENDRAIENT-ELLES HYBRIDES
SANS LE DIRE ?

Quatre disciplines (histoire, géographie, géopolitique, sciences politiques) se trouvent associées pour former une sorte de pluridisciplinarité, ou d’interdisciplinarité. Notons qu’aucun de ces deux termes n’est employé. Seraient-ils passés de mode ?

Mais pourquoi se limiter à quatre disciplines ? On ne peut que regretter l’absence d’autres sciences humaines et sociales, comme la sociologie et l’anthropologie. En ce qui concerne cette dernière, les développements actuels de l’anthropologie globale du présent telle que la développe Monique SELIM (4) seraient les bienvenus.

Pourquoi la théorisation des programmes d’enseignement s’arrêtent-ils en chemin ? Ils ébranlent mais ne bousculent pas. Pourquoi n’osent-ils pas s’engager clairement dans les voies de l’hybridité ? Peut-être parce que, comme le note Sami AYOUCH, « La revendication de l’hybridité comme outil épistémologique a des effets politiques ». Celle-ci met en jeu des relations de pouvoir qui convoquent l’identité et la stabilité des normes ainsi que des résistances. « Elle s’inscrit dans la polis, accompagne des modes de subjectivation contemporains, pointe les noeuds d’aliénation ». (5)

TOUT PROGRAMME SCOLAIRE PRODUIT
UNE INVISIBILISATION

Pour Laurence DE COCQ, les nouveaux programmes d’histoire-géographie de classe terminale (publiés en 2019) « tant pour le tronc commun que pour la spécialité, poursuivent leur lente invisibilisation de l’histoire économique et sociale au profit d’indigestes et ressassés poncifs ». (6) Il est évident que le propre de tout programme, de tout « discours programmatique » – qu’il s’agisse d’un programme scolaire, d’un programme électoral, voire d’un programme de concert de musique classique… – produisent deux opérations qui :

  • sont par nature conjointes, inséparables, indissociables,
  • consistent, en même temps, à dire et à pas dire, à inclure et à exclure, à ordonner et à interdire.

Cette indissociabilité porte sur « une présence qui porte en elle-même une absence ». Elle constitue un piège constitutif qui est de ne laisser qu’une seule voie à l’analyse, et donc aux reproches éventuels formulés, celle d’une double liste : d’une part, ce qui est dit dans le programme (Pourquoi ce thème est-il retenu ?), et d’autre part, ce qui n’est pas dit dans le programme (Pourquoi ce thème n’est-il pas retenu ?). Le concept à utiliser est celui d’invisibilisation. Appliqué au discours, on peut le définir comme une opération de prestidigitation, consistant à créer des illusions : ce que les programmes « mettent en avant » pourrait également être dit – en substituant une lettre – comme ce que les programmes « mentent en avant ». Ils ne disent pas la vérité. Ils induisent en erreur. Ils créent de l’impensé, c’est-à-dire qu’ils empêchent toute possibilité de penser autre chose que ce qui est énoncé.

La négation de l’esprit critique serait-elle la conséquence ultime de tout processus programmatique d’enseignement ? Florence DE COCQ écrit : « (…) les précédents programmes étaient indigents et dangereux pour des disciplines dont les finalités intellectuelles et éducatives ne sont pourtant plus à rappeler. Nous insistions alors sur le fait que ces programmes, extrêmement lourds, rendaient impossible la consolidation des apprentissages et la construction du fameux “esprit critique”. »

Un esprit critique qui n’est guère mobilisé auprès des enseignants, des élèves et des parents. « Nous avions aussi déjà fait part de notre colère devant la procédure opaque et antidémocratique de rédaction des programmes, symptomatique d’un autoritarisme et d’une verticalité inédits, par ailleurs en totale contradiction avec la communication officielle du Ministère, depuis que l’écriture des programmes avait été décrétée entreprise collective et ouverte aux demandes de la société. » 

Dès lors comment distinguer le « vrai nouveau » du « faux ancien » ? Entre l’ « invisibilisation de l’histoire économique et sociale » et son remplacement par des « poncifs ressassés », tout nouveau programme d’enseignement est menacé par le syndrome du « retour vers le futur ». Florence DECOCQ, balayant les quarante dernières années, écrit en 2019 : « Pourquoi se priver de la joie de retrouver nos vieux manuels des années 1980 ? Les plus anciens d’entre nous gagneront du temps : ils pourront ressortir leurs cours tels quels. »

LA DERNIÈRE CLASSE

« Mes enfants, c’est la dernière fois que je vous fais la classe. L’ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l’allemand dans les écoles de l’Alsace et de la Lorraine… Le nouveau maître arrive demain. Aujourd’hui, c’est votre dernière leçon de français. » (7)

La dernière classe. « Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu’il put « Vive la France ! ». « La Dernière classe. Récit d’un petit Alsacien » d’Alphonse DAUDET, in Contes du Lundi. Extrait de La Vie littéraire à l’École, Cours élémentaire, de E. HULEUX, 1915, p. 237. Collection CAD.

L’illustration et le texte sont extraits d’un manuel scolaire La vie littéraire à l’École, Cours élémentaire de E. HULEUX publié en 1915. Ils reproduisent le texte d’ Alphonse DAUDET « La Dernière classe » publié dans ses Contes du Lundi en 1873. (8) Il s’agit d’un épisode qui demeure émouvant pour les Alsaciens et les Lorrains, ici dramatisé, sur les effets de l’annexion par la Prusse en 1870. L’histoire rappelle qu’en matière d’école, on n’enseigne pas ce que l’on a envie d’enseigner, et on n’étudie pas ce qu’on a envie d’étudier. Le titre de la nouvelle est-il porteur d’une obsolescence programmée de l’école, autrement dit, qu’elle est porteuse de sa propre fin ? Une fin de la langue choisie, une fin de l’identité vécue. Le pouvoir politique, ici représenté par une armée d’occupation, commande ce qui doit être enseigné, et par qui.

CONCLUSION

Qu’appelle-t-on un « programme d’enseignement » ? Le Conseil supérieur des programmes du ministère de l’Éducation nationale a élaboré en 2014 une Charte des programmes. Il donne la définition suivante : « On appelle « programme », aux termes de la présente charte, toute prescription qui définit ce qui doit être enseigné dans les écoles et établissements publics et privés sous contrat. Les programmes d’enseignement définissent une norme nationale qui est à ce titre la référence centrale de l’éducation et la garantie d’une ambition et d’une culture communes. » (9)

« Ambition et culture communes » sont ici étonnamment liées : « Culture de l’ambition »  ou bien « Ambition de la culture » ? On le voit, les programmes d’enseignement posent un problème d’ordre épistémique, c’est-à-dire qu’ils concernent ce que l’on désigne en grec comme l’épistémé, la science, la connaissance en général.
C’est ainsi que Michel FOUCAULT désignait dans Les Mots et les choses l’ensemble des catégories linguistiques qui servent à appréhender la culture et le savoir d’une époque. (10)
C’est ainsi que se définit une perspective épistémique qui considère le point de vue de l’acquisition et de la formation des connaissances (11), « en particulier dans le domaine de la psychologie de l’enfant. » est-il précisé par la définition.

Stanislas KOWALSKI écrivait en 2018 : « On a tout demandé aux programmes scolaires : le patriotisme, la paix sociale, la croissance économique ou l’égalité des sexes. Et on n’en est jamais satisfait. » (12)
Les programmes sont des symptômes politiques de demandes sociales contradictoires. Au moment où ils sont attirés par les chants de l’hybridité, ceux qui organisent leur réforme refusent de reconnaître qu’ils sont attirés par un tropisme qui modifie la nature originelle des disciplines annoncées comme étant enseignées.

L’opération qui consiste à poser « la géographie + l’histoire + la géopolitique + les sciences politiques » constitue tout autre chose qu’une addition puisqu’elle produit un objet nouveau, qui a pour fondement que chacun des composants, du fait même d’être mélangé à d’autres, a changé de nature. La géographie mêlée à la géopolitique n’est plus tout à fait de la géographie, mais « presque », et réciproquement.  De même pour l’histoire et les sciences politiques. On ne sait plus très bien à quoi on a affaire, c’est-à-dire quelles sont les objets de cette nouvelle discipline, quels en sont les concepts, quels en sont les théoriciens. A moins que cette errance soit précisément la marque de fabrique  d’une indéfinissable « problématique ». Dans ce cas, tout serait plus clair d’en faire l’aveu.

Il n’existe pas, à notre connaissance et en l’état présent, de réflexion épistémique qui ait précédé ces nouveaux programmes. Ceux ci ne sauraient se satisfaire de la sympathique et confuse devise qui serait « De tout, un peu ». Quels en sont les nouveaux objets? Quels en sont les concepts constitutifs ? Quels en sont les fondements théoriques ? Quelles en sont les implications, que ce soit dans le cadre  particulier de l’enseignement scolaire et de la recherche universitaire, ou dans le cadre a priori extérieur à toute école, des « connaissances circulantes » qui fondent au travers de ses générations successives, le savoir commun d’une société.

Autant de questions préalables qui n’ont pas été posées par le Comité national des programmes. Autant de non-dits et de silences qui nuisent à la visibilité de cette nouvelle Res educatio : elle interroge l’avenir incertain des constructions poly-disciplinaires, mouvantes et évolutives, qui doivent être enseignées et faire l’objet de notations et d’épreuves d’examen, aussi bien pour les élèves que pour les enseignants.

Bernard MÉRIGOT

Prochain article :
Comment se repérer dans le Thème n°1 : « De nouveaux espaces de conquête ».  Programme de classe Terminale 2019 d’histoire géographie, géopolitique et sciences politiques.

RÉFÉRENCES DE L’ARTICLE

1. MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE, « Programme de l’enseignement de spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques de la classe terminale de la voie générale, arrêté du 19-7-2019, J.O. du 23-7-2019 (NOR MENE1921254A) ». https://cache.media.education.gouv.fr/file/SPE8_MENJ_25_7_2019/18/0/spe254_annexe_1159180.pdf

2.  MURATI Coralie, « L’écriture des programmes scolaires et ses enjeux en France. L’exemple des sciences économiques et sociales », Les dossiers des sciences de l’éducation, n°29, 2013. http://dse.revues.org/153

3. MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE, « Communiqué du Conseil supérieur des programmes (« Le prédicat » ) », 23 janvier 2017. https://cache.media.education.gouv.fr/file/CSP/78/7/Communique_du_CSP_sur_le_predicat_701787.pdf

Les 6 « Thèmes » de l’enseignement de spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques de terminale générale sont regroupés sous le titre « Analyser les grands enjeux du monde contemporain » :

  • Thème 1. De nouveaux espaces de conquête
  • Thème 2. Faire la guerre, faire la paix : formes de conflits et modes de résolution
  • Thème 3. Histoire et mémoires
  • Thème 4. Identifier, protéger et valoriser le patrimoine : enjeux géopolitiques
  • Thème 5. L’environnement, entre exploitation et protection : un enjeu planétaire
  • Thème 6. L’enjeu de la connaissance

4. SELIM Monique, Anthropologie globale du présent, Paris, L’Harmattan, 2019, 260 p. ISBN 978-2-343-17467-9

5. AYOUCH Thamy, Psychanalyse et hybridité. Genre, colonialité, subjectivations, Presses universitaires de Louvain, 2018, 222 p.
AYOUCH Thany,
« L’hybride, le psychique et le social : pour une psychanalyse mineure », K. Revue trans-européenne de philosophie et arts, n°1, 2/2018, p. 106-123.

6. DE COCQ Laurence, « Haro sur les sciences sociales au lycée, ça continue », 16 juillet 2019, Médiapart, https://blogs.mediapart.fr/edition/aggiornamento-histoire-geo/article/160719/haro-sur-les-sciences-sociales-au-lycee-ca-continue

7. HULEUX E., La Vie littéraire à l’École, Cours élémentaire, Publications Paris, Alcide Picard, 1915, p. 237. Nombreuses rééditions. (3e édition en 1900).

8. DAUDET Alphonse, « La Dernière classe », Contes du Lundi, 1873.

9. MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE / CONSEIL SUPÉRIEUR DES PROGRAMMES, « Charte des programmes, Charte relative à l’élaboration, à la mise en œuvre et au suivi des programmes d’enseignement ainsi qu’aux modalités d’évaluation des élèves dans l’enseignement scolaire », Non daté, 13 p. https://cache.media.education.gouv.fr/file/04_Avril/37/5/charte_programme_csp_312375.pdf
Remarque. Les pdf de très nombreux documents publics mis en ligne par des institutions officielles ne comportent aucune date, ce qui empêche d’identifier de façon certaine leur année de publication. C’est le cas pour le présent document.

10. FOUCAULT Michel, Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 219.

11. Traité de sociologie, Tome 2, 1968, p. 244.

12. KOWALSKI Stanislas, « De bons programmes scolaires ? », L’Aigle dolent, 25 mai 2018, http://egomet.sanqualis.com/de-bons-programmes-scolaires. Article initialement publié sur Contrepoints.


LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • Les livres soutiennent le monde. Un ange retient le monde et s’appuie sur deux livres. On se demandera de quels livres il peut s’agir. Ce qui est certain, c’est que le monde repose en partie sur les livres, c’est-à-dire sur la connaissance. Sculpture, École militaire, Paris, 4 juillet 2017. © Photographie Bernard Mérigot.
  • Abrogation de programmes d’enseignement de la classe terminale des voies générale et technologique, Bulletin officiel de l’Éducation nationale (BOEN), Arrêté du 19 juillet 2019, J.O. du 23 juillet 2019. n°8, 25 juillet 2019.
  • Les nouveaux programmes d’enseignement de spécialité des classes terminales (2019) : une latte pour l’histoire, une latte pour la géographie, une latte pour la géopolitique, une latte pour les sciences politiques… 16 août 2019. © Photographie Bernard Mérigot.
  • La palette des nouveaux programmes d’enseignement de spécialité des classes terminales 2019 : une latte pour l’histoire, une latte pour la géographie, une latte pour la géopolitique, une latte pour les sciences politiques… 16 août 2019.
    © Photographie Bernard Mérigot.
  • La dernière classe. « Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu’il put « Vive la France ! ». « La Dernière classe. Récit d’un petit Alsacien » d’Alphonse DAUDET, in Contes du Lundi. Extrait de La Vie littéraire à l’École, Cours élémentaire, de E. HULEUX, 1915, p. 237. Collection CAD.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°366, lundi 19 août 2019


COMMENTAIRE du 27 octobre 2019
Pour une histoire de l’enseignement des disciplines scolaires

La constitution officielle en France en 2019  de la discipline nouvelle d’enseignement secondaire de l’ « Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques » amène à s’interroger sur une série de questions fondamentales auxquelles on accorde généralement peu d’attention :

  • Comment chaque science sociale existante aujourd’hui s’est-elle constituée comme matière d’enseignement ?
  • Comment celle-ci évolue-t-elle par rapport aux autres disciplines ?
  • Comment les échanges entre les pays se font-ils ?

Ces questions sont toute liées pour chacune à celle de leur propre constitution comme science, aux différentes étapes qu’elle ont franchies, aux contributions que tel ou tel auteur leur a apportées, aux reconnaissances populaires, médiatiques, ou académiques, qu’elles ont reçues. En un mot, quelle est la place qu’elles ont occupée et occupent dans le « marché », publications et des idées et des institutions ?

A ce sujet, la lecture de la publication des cours données par Emmanuel KANT entre 1759 et 1796 dans le recueil intitulé Géographie est éclairante.

KANT Emmanuel, Géographie, Aubier, 1999, 396 p. Traduit de l’allemand par Michèle Cohen-Halimi, Max Marcuzzi et Valérie Seroussi. Préface de Max Marcuzzi, p. 9-55.

Cet aspect n’a pas échappé à Robert MAGGIORI qui notait dans un de ses article publié à ce moment de la publication en 1999 de la première traduction en français de l’édition allemande de 1802.

« Le «cours» permet donc de voir comment la géographie se constitue en science et matière d’enseignement, et d’en retrouver l’histoire, puisque Kant, optant pour la synthèse, y reprend aussi bien, venue d’Eratosthène, de Ptolémée ou de Varenius, la tradition d’une géographie topographique, chorographique (description d’une région), orographique (description de montagnes) et hydrographique, d’où l’homme est substantiellement absent, que la tradition, marquée par Strabon, d’une géographie qui, orientée vers l’éthique, la politique ou l’anthropologie, veut décrire la réalité humaine. »

MAGGIORI Robert, « L’impératif géographique », Libération, 11 février 1999. https://next.liberation.fr/livres/1999/02/11/l-imperatif-geographique-pendant-des-annees-emmanuel-kant-dispense-aussi-des-cours-de-geographie-il-_264731

Il nous faudra revenir sur le problème central de tout acte d’enseignement, à savoir « ce que l’on dit qui est » et « ce qui est ». Comment lire et entendre des notations faites par Emmanuel KANT dans son cours Géographie comme celles-ci :

  • au Congo, certains oiseaux sont capables d’ « articuler de façon fort distincte le nom de Jésus Christ »,
  • les habitants de la Sierra Leone ne sont pas totalement noirs, mais « ils sentent très mauvais »,
  • les Javanais sont « voleurs, provocateurs et serviles »,
  • les Tatares du Daghestan, « les plus laids de tous », sont des « bandits invétérés »,
  • les Lapons ont « un menton pointu et sont aussi fainéants que lâches »,
  • les Hottentots, pudiques et hospitaliers par ailleurs, sont très sales, « on les sent de loin » et qu’ils « enduisent leurs nouveau-nés de bouse de vache et les exposent au soleil »,
  • l’humanité « atteint sa plus grande perfection avec la race des Blancs ».

Premier degré ? Second degré ? Certains auteurs ont noté que de tels propos possédaient un aspect « embarrassant ». Pour notre part, nous nous interrogerons ici de savoir à quel degré les exemples utilisés par une science sociale enseignée doivent-être entendus. Nous retiendrons qu’Emmanuel KANT dit que des témoignages et des auteurs ont dit.

Deux questions demeurent : Quelle est l’intention de l’enseignant ? Quelle est la « marge critique » de l’enseigné ?


COMMENTAIRE du 19 décembre 2019
Le « choix vertical » des programmes scolaires

Dans un article consacré au « plaisir de lire » figurant dans les programmes du baccalauréat de français, Claude POISSENOT, enseignant à l’IUT de Nancy et chercheur au Centre de recherche sur les Médiations (CREM) de l’Université de Lorraine, évoque la notion d’ « élève idéal » comme destinataire des programmes scolaires. Pour lui, les programmes pratiquent un « choix vertical ».

Celui-ci repose sur une double conception :

  • conception de l’enseignant, comme sujet-acteur docile, capable d’intégrer immédiatement toutes les nouveautés,
  • conception de l’élève comme réceptacle de programmes dont ils sont les destinataires en tant que sujets-opérateurs.

On attribue le contenu des programmes scolaires aux ministres de l’éducation qui les présentent au cours d’innombrables conférences de presse. Il s’agit d’une fiction.

Chaque programme est la représentation sociale de ses concepteurs, de leur culture du moment, de leur qualité d’expression…  Ils sont d’abord et avant tout révélateurs de ceux qui les rédigent, de leur formation, de leurs parcours professionnels, avec leurs présupposés, leurs sur-investissements, et leurs lacunes aussi.

Chaque texte de programme scolaire devrait être considéré par les enseignants – et par les citoyens – comme une « copie » rédigée par un groupe d’élèves et faire l’objet d’une correction et d’une notation attribuée au « Comité des programmes » qui les signent et aux inspecteurs généraux qui en sont la cheville ouvrière cachée.

POISSENOT Claude, « Débat : Le plaisir de lire, au programme du bac de français ? », The Conversation, 18 décembre 2019. https://theconversation.com/debat-le-plaisir-de-lire-au-programme-du-bac-de-francais-129031?



Comment enseigner la géopolitique au lycée ?
Conférence organisée le 22 janvier 2020 par l’Institut libre d’étude des Relations internationales (ILERI) à Paris.

COMMENTAIRE du 15 janvier 2020
Comment enseigner la géopolitique au lycée ?

« Afin d’aborder la réforme du baccalauréat qui a introduit à la rentrée 2019-2020 la nouvelle matière « Histoire, Géographie, Géopolitique et Sciences Politiques » en Première et Terminale, l’Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI) a le plaisir de vous convier à une conférence autour de l’enseignement de la géopolitique au lycée, le mercredi 22 janvier à 18h au sein de notre campus de Paris La Défense. La conférence sera suivie d’un cocktail. »

Intervenants

  • Hugo BILLARD, Professeur d’histoire géographie et géopolitique en classes préparatoires ECS, au lycée Saint-Michel-de-Picpus. Co-auteur du manuel Histoire-Géo, Géopolitique, Sciences Politiques, classes de 1ère (Hatier).
  • Alain JOYEUX, Professeur de chaire supérieure en géopolitique pour les classes préparatoires économiques et commerciales. Président de l’APHEC (Association des Professeurs de Classes Préparatoires au Haut Enseignement Commercial).
  • Gildas LEPRINCE, alias Mister Geopolitix, Youtubeur, vulgarisateur géopolitique.
  • Mikaa MERED, Professeur à l’ILERI, spécialiste de la géopolitique des pôles, co-auteur du manuel Histoire-Géographie, Géopolitique, Sciences Politiques, de 1ère (Hatier).

RÉFÉRENCES DU COMMENTAIRE
« Comment enseigner la géopolitique au lycée ? » Conférence, mercredi 22 janvier 2020, Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI), 20 Bis Jardins Boieldieu, 92071 Paris La Défense. Carton d’invitation recto verso format 21 x 14,8 cm. http://www.ileri.fr/enseigner-geopolitique-lycee-conference/
L’Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI) est un établissement d’enseignement supérieur privé français fondé en 1948 par René CASSIN.


COMMENTAIRE du 18 juillet 2021
Ne pas faire fi des sciences sociales

« Le nouveau programme d’histoire des Classes terminales pose des problèmes difficiles. Il se présente comme une explication du monde actuel tel qu’on peut le comprendre aux lumières multiples d’une histoire qui ne fait fi d’aucune des sciences sociales voisines : géographie, démographie, économie, sociologie, anthropologie, psychologie… », p. 3.

  • BAILLE S., BRAUDEL F., PHILIPPE R, Le Monde actuel. Histoire et civilisations. Classes terminales. Propédeutique. Classes préparatoires aux Grandes écoles, Librairie Eugène Belin, 1963.

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L’État menteur. Vie et mort du Collège impérial napoléonien de Saint-Jean-de-Monts (1804-1814)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°360, lundi 8 juillet 2019

Le premier collège impérial napoléonien vendéen est créé à Saint-Jean-de-Monts en 1804 à la suite d’une décision prise par Bonaparte en 1802. Celle-ci constitue un engagement prometteur pour les habitants de la commune et des communes voisines. Pourquoi, pendant dix années (1804-1814), le Collège vivra-t-il dans le dénuement et la pauvreté, avant de fermer en 1814 pour être transféré à Bourbon-Vendée (La-Roche-sur-Yon) ? Deux siècles après, quel regard peut-on porter sur cet exemple d’une politique de l’État en matière de création et de fermeture d’un établissement d’enseignement public ? Quels rapports l’État entretient-il – hier comme aujourd’hui – avec ce qu’il dit, c’est-à-dire avec sa propre parole ?

Anciens bâtiments du Collège impérial napoléonien de Saint-Jean-de-Monts (1804-1814),
8 rue du Both, 85160, Saint-Jean-de-Monts, 13 juillet 2019.
© Photographie Bernard Mérigot / CAD.

Une partie des bâtiments subsiste toujours aujourd’hui. Ils sont situés au lieu dit « Le Vigneau », au numéro 8 de la rue du Both, proche du centre du bourg de Saint-Jean-de-Monts, construits en 1774 et acquis par l’État en juin 1804. Ce dernier y entreprend aussitôt des travaux d’aménagement de l’existant ainsi que d’extension. Une aile avec un étage est ajoutée. Elle a aujourd’hui disparu. Après 1814, les bâtiments serviront de presbytère, puis de mairie, avant d’être vendus à un particulier.

L’ouverture du Collège a lieu en mai 1805, pour la première année scolaire de 1805-1806. Il est prévu pour 50 élèves. Il accueille gratuitement 19 élèves – ce qui est très peu – habitant le marais de Saint-Jean-de-Monts et des autres communes de Vendée. Ils appartiennent à des familles modestes. Les matières enseignées comprennent le français, les mathématiques, le latin, le grec, la géographie, l’histoire et les humanités. Ils seront 77 élèves en 1813.

LE COLLÈGE A-T-IL FORMÉ UNE ÉLITE LOCALE ?
Pour une prosopographie des élèves

Quel est le nombre total des élèves qui ont fréquenté le Collège napoléonien de Saint-Jean-de-Monts ? En l’absence d’un dénombrement complet à partir des archives existantes, nous avançons le nombre total, entre 1804 et 1814, d’environ 300 élèves.

Le collège a compté parmi ses élèves :

  • Jean BEAUSSIRE, maire de Luçon, conseiller général.
  • BENOIST, député de Savenay.
  • De BESSAY, page à la cour de Louis XVIII.
  • Auguste CHAMBOLLE, rédacteur du journal Le Siècle, puis député de Vendée.
  • François CHAMBOLLE, chirurgien en chef et inspecteur des hôpitaux militaires.
    Paul CHAUCHÉ, curé de Chaillé-les-Marais.
  • Louis CHAPPOT, avocat et juge auditeur aux Sables-d’Olonne.
  • Daniel LACOMBE, chanoine et vicaire général de Luçon.
  • LYONNET, aide de camp du général BONAMY.
  • Hippolyte MERLAND, médecin à Bourbon-Vendée (La Roche-sur-Yon).
  • Cyprien POEYDAVANT, antiquaire.
  • Constant ROY, juge de Paix au Poiré-sur-Vie.
  • Narcisse ROY, médecin à Aizenay.

Le Collège napoléonien a-t-il joué un rôle dans la formation locale d’une élite ? Pour répondre à cette question il conviendrait de se tourner vers la prosopographie.  Cette discipline historique, sociologique et anthropologique signifie étymologiquement la « description d’une personne ». Elle porte sur l’étude des personnalités qui composent un milieu social, inventoriées et classées au moyen de notices individuelles dont le but est de mettre en évidence leurs aspects communs (origines, liens de parenté, appartenance, carrière…). Cette démarche a notamment trouvé une reconnaissance avec les travaux de Pierre BOURDIEU lorsque celui-ci a établi les conditions de recrutement de la technocratie d’État au XXe siècle. Dans le cas des élèves du Collège impérial, il appartient précisément à une recherche prosopographique portant sur la totalité de ses élèves, de disposer d’un éclairage tant sur leur origine familiale que sur leurs activités ultérieures. A notre connaissance, une telle recherche n’a pas été entreprise à ce jour.

« Liste des élèves qui doivent être entretenus aux frais de l’État dans l’école secondaire impériale de Saint-Jean-de-Monts,
Département de la Vendée », extrait de « Les études au collège impérial 1804-1814 », Archives départementales de la Vendée, extrait du Bulletin cantonal des Pays de Monts (La Barre-de-Monts, Notre-Dame-de-Monts, Saint-Jean-de-Monts, Le Perrier, Soullans), n° 14, 1985, p.11.

 L’AMBITION DU POUVOIR NAPOLÉONIEN

Le Collège de Saint-Jean-de-Monts, malgré le prestige que certains accordent au caractère impérial de la décision de sa création, a connu un fonctionnement marqué par l’improvisation.  Son existence, en tant qu’établissement scolaire d’État, a été prise entre des promesses tenues très partiellement par le pouvoir central et les besoins locaux.

De 1804 à 1884, élèves et enseignants ont vécu dans un état de quasi dénuement : les archives font mention de la précarité des locaux, de leur absence de fonctionnalité, de leur manque de confort et d’équipements. Bernard POUVREAU écrit qu’après huit années de fonctionnement (nous sommes donc en 1812) :

« le collège impérial ne dispose toujours pas de salles spécifiques de classe. Certains élèves suivent les cours dans une grange (…) parmi les provisions de bois, de charbon, de légumes, de paille… Une seconde partie des élèves fait classe dans le dortoir à l’étage. La troisième classe occupe le cabinet exigu du rez-de-chaussée, et la dernière travaille dans la salle d’études.
Contrairement aux autres collèges de l’époque, celui de Saint-Jean-de-Monts ne peut accueillir de salle de dessin, d’armes, de musique, ni même d’infirmerie, de magasins ou encore de bibliothèque.» (POUVREAU, 2017, p. 71)

Le tableau est encore incomplet. S’y ajoute le fait que « les élèves sont assez mal nourris, exclusivement soumis à une alimentation de poissons d’eau douce et de mer, de coquillages et d’huîtres. Le pain, la viande les laitages et les légumes coûtent cher ». (POUVREAU, 2017, p.79)

Enfin, « on constate un dédain inexplicable pour les mesures de propreté les plus élémentaires. Les sanitaires sont inexistants et il faut effectuer de longs trajets  pour aller chercher l’eau potable, à dos de cheval, à travers les dunes. Dans de telles conditions d’hygiène, les microbes pullulent… » (POUVREAU, 2017, p.79) (1)

« Les études au Collège impérial 1804-1814 »,
par B. GENDRE, Bulletin cantonal des Pays de Monts, n° 14, 1985, p.1

LA DÉCISION POLITIQUE DE BONAPARTE
ET LE SUIVI ADMINISTRATIF DE LA DÉCISION PAR LE PRÉFET

La vie politique de l’administration des territoires est une hydre à deux têtes : celui qui prend la décision n’est pas celui qui assure l’exécution de cette décision. Nous sommes en présence de deux documents :

  • La lettre de Bonaparte, Premier consul, du 22 février 1804.
  • La lettre de Jean-François MERLET, préfet de Vendée du 1er mars 1804.

Lettre au ministre de l’Intérieur, 2 ventôse an XII (22 février 1804)

Paris, le 2 ventôse an XII de la République française

Au ministre de l’Intérieur,

Mon intention, citoyen Ministre, est qu’il y ait une école secondaire à Saint-Jean-de-Monts, principale commune du marais, département de la Vendée. Faites choisir un local pour y en établir une et nommez les instituteurs. On y enseignera à lire, à écrire et les premiers principes du latin, de la géographie et de l’histoire.
On y entretiendra aux frais de l’État cinquante jeunes gens du marais et des autres communes du département de la Vendée. La pension de ces cinquante jeunes gens sera payée à raison de quatre cents francs. Je désire que vous preniez des mesures pour mettre cette école en pleine possession avant deux mois. On se servira de la meilleur maison qu’on trouvera.

Bonaparte

Lettre du Premier consul Bonaparte en date du 2 ventôse an XII (22 février 1804)
concernant la création d’une École secondaire (« Collège impérial »)
à Saint-Jean-de-Monts (Vendée).

ENTRE LES MAINS DU PRÉFET
Dire et ne pas faire

La lettre du Premier consul en date du 22 février 1804 adressée au ministre de l’Intérieur est transmise au préfet de la Vendée. Celui-ci écrit à son tour une lettre en date du 1er mars 1804 (10 ventôse an XII). Il reprend en partie la lettre de Bonaparte. Il y ajoute un paragraphe de son cru.

Le 1er mars 1804

Le Premier consul vient de signaler sa constante bienveillance pour ce pays par un nouveau bienfait : sachant le défaut des connaissances, de lumières et d’instruction, a toujours exposé cette contrée aux erreurs des préjugés et aux dangers de la séduction, il vient d’ordonner l’établissement d’une école secondaire dans la partie des Marais de l’Ouest, arrondissement des Sables.

La décision d’État prend une allure de propagande politique. Le préfet en rajoute, évoquant la « constante bienveillance » du Premier consul, (Pourquoi « bienveillance », et pourquoi « constante » ?), puis celle d’un « nouveau bienfait » dont bénéficie la commune de Saint-Jean-de-Monts. Le caractère idéologique se trouve appuyé lorsqu’il justifie la décision du pouvoir comme s’appliquant à une « contrée exposée aux erreurs des préjugés » et aux « dangers de la séduction ».

Quel est ce préfet qui est l’auteur de ces lignes ?

La lettre du 1er mars 1804 est signée par Jean-François MERLET (1761-1830), préfet de Vendée en fonction depuis le 15 janvier 1801. Il demeurera 8 années à son poste. A son sujet Claude PETITFRÈRE évoque « les sinuosités de la carrière de Merlet et pour tout dire ses retournements d’opinion. Car le personnage semble l’archétype du caméléon en matière d’opinion politique, une figure certes répandue à toutes les époques, mais que la rapidité et la fréquence des changements de régime aux confins des XVIIIe et XIXe siècles ont multiplié. » (PETITFRÈRE, 2010)  (2)

Ce serait une erreur de penser que toute l’administration préfectorale repose sur la seule personne du préfet. Celui-ci est entouré par des collaborateurs (membres de cabinet, secrétaire général, chefs de service, secrétaires…), dont le nombre est parfois très réduit, qui assurent la continuité de l’administration au quotidien. Même si les décisions sont signées par lui, ou par des collaborateurs, il n’en est pas systématiquement le rédacteur.

Pourquoi le préfet en fait-il autant en 1804 ? Et pourquoi fera t-il le minimum dans les années qui suivent ? Peut-être. Il y a un automatisme politique qui consiste à dire le maximum et à faire le minimum, en pensant que ce qui est dit marquera davantage que ce qui n’est pas fait. C’est un syndrome permanent de l’administration. Plus on descend, plus les fonctionnaires justifient l’inexistence (de budget, de personnel, de service…).

Entre 1801 et 1814, en dix ans, quatre préfets de Vendée se succèdent.

  • Jean-François MERLET (25 nivôse an IX – 12 février 1809), 15 janvier 1801 – 12 février 1809 (8 ans)
  • Prosper BRUGIÈRE DE BARANTE, 27 février 1809 – 12 mars 1813 (4 ans)
  • Anne-Léonard-Camille BASSET DE CHATEAUBOURG, 13 avril 1813 – 10 juin 1814 (1 an)
  • Nicolas FREMIN DE BEAUMONT, 14 juillet 1814 – 22 mars 1815 (8 mois)

Trois choses doivent être prises en considération dans le dossier du Collège de Saint-Jean-de-Monts :

  • l’engagement personnel du préfet,
  • le suivi par l’administration départementale,
  • les initiatives de maire et des autorités locales.

Quelles sont les leçons à tirer de l’échec d’une implantation durable de création d’un établissement d’enseignement secondaire à Saint-Jean-de-Monts ?  Il aura fallu 10 années pour que le manque de moyens alloués à ce projet conduise à sa disparition. De qui est-ce l’échec ? De Napoléon ? De l’administration départementale ? Des autorités locales ? Échec. Il s’agit de l’échec d’un système politique fondé sur le principe de la séparation entre celui qui décide et celui qui exécute, l’exécutant état lui-même un décideur qui a la capacité de faire, de bien faire, de mal faire ou de ne pas faire.

L’EXISTENCE DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES
RELÈVE DE LA GOUVERNANCE COLONIALE

L’affaire du Collège impérial de Saint-Jean-de-Monts offre l’exemple contrasté (il y a du pour, et il y a du contre) d’une succession de séquences dont le pouvoir politique, les responsables locaux et les habitants sont les acteurs.

  • D’abord, des actes et des réalités : la décision prise par le pouvoir central, les moyens insuffisants accordés au fil des années, les effectifs peu importants, la décision de fermeture et le transfert dans une autre ville.
  • Ensuite, des sentiments : la satisfaction des habitants d’une commune de disposer d’un collège, la rivalité potentielle avec les autres institutions locales d’enseignement, le regret de sa fermeture. Encore aujourd’hui demeure l’aura du prestige napoléonien d’avoir choisi la commune.

Le pouvoir politique peut à son gré décider l’implantation d’un équipement public sans aucune concertation locale. Et le fermer. Au nom de l’intérêt général. Au mépris des intérêts locaux. Le modèle de gouvernance en œuvre est un modèle autoritaire de type colonial : d’un côté, ceux qui décident, de l’autre côté, ceux qui exécutent. Les décisions prises par ceux qui exercent l’autorité s’imposent aux responsables et aux populations locales. Il existe des marges de négociation, elles ne sont pas inexistantes, mais elles sont faibles. On voit le maire diriger le collège par intérim, et des prêtres locaux être recrutés comme enseignants.

LA RESSOUVENANCE MÉMORIELLE
DES TERRITOIRES

« Napoléon Bonaparte a choisi Saint-Jean-de-Monts » : les faits et de les sentiments que révèlent l’histoire locale s’inscrivent dans les territoires, c’est-à-dire dans un espace à plusieurs niveaux,  marqué par le non-dit, le silence, l’oubli, mais aussi par la ressouvenance, la reconstruction, la réinvention… Les paroles dites, les paroles écrites, les actes s’inscrivent quelque part dans les lieux. (« Napoléon Bonaparte a choisi Saint-Jean-de-Monts).

LA DURABILITÉ DES TERRITOIRES

Il n’y a rien de plus contemporain que d’interroger cette mémoire au sujet de la durabilité territoriale des politiques publiques. Bonaparte est un moment de l’État français. Comme Louis XIV avant lui, et comme d’autres après lui. Peu importe que les présidents de la République se succèdent, tout comme les ministres de l’Éducation nationale, et comme les préfets. La question est de savoir quelles institutions locales répondent aux besoins des territoires, quelles sont celles qui ont les moyens de la part de l’État pour fonctionner et dont l’existence demeure ?

L’ARBITRAIRE DU DOUBLE POUVOIR
A-T-IL UN AVENIR ?

L’ouverture d’une école se satisfait de l’arbitraire. En est-il de même de sa fermeture ? Le prestige accordé à un pouvoir politique passager peut-il masquer l’amertume citoyenne locale qui est ressentie à l’égard d’une promesse non tenue ? Les revendications modernes en matière de démocratie participative peuvent-elles accepter le double discours du pouvoir qui décide, qui promet, et de ce même pouvoir qui n’exécute pas ou bien ne fait pas  ?

Bonaparte croit-il à ce qu’il écrit ? Le préfet croit-il à ce qu’il écrit ? Ils ne sont pas dans la durée mais dans l’instant, dans le dire d’une immédiateté inconséquente. La chose décidée a davantage d’importance que la chose réalisée. Le pouvoir croit-il en ce qu’il énonce au moment où il l’énonce ? Ou bien pense-t-il : « On verra bien demain ». Et les citoyens, les habitants, les usagers… croient-ils aux discours qui leur sont adressés par les « autorités » ? Doivent-ils y croire ou bien ne pas y croire ? La question relève d’une anthropologie de la croyance. (3) La résistance des choses vis a vis des nouveautés est la leçon permanente de l’action politique et administrative de l’État

Bernard MÉRIGOT

RÉFÉRENCES DE L’ARTICLE

1. POUVREAU Bernard, « L’implantation d’une école secondaire à Saint-Jean-de-Monts », Cahiers d’Histoire du Pays Maraîchin, n°3, 2017, p.60-87. GENDRE B.,« Les études au collège impérial 1804-1814 », Bulletin cantonal des Pays de Monts (La Barre-de-Monts, Notre-Dame-de-Monts, Saint-Jean-de-Monts, Le Perrier, Soullans), n° 14, 1985, p.11.

2. PETITFRÈRE Claude « Heckmann, Thierry, Napoléon et la paix. Deux préfets de la Vendée, Jean-François Merlet – Prosper de Barante, Le Château-d’Olonne/La Roche-sur-Yon », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n°117-2, 2010, p. 163-165. http://journals.openedition.org/abpo/1789

3. A ce sujet, Michel de CERTEAU écrivait :
« [La réflexion sur croire comme acte] n’implique d’aucune manière que le sujet maîtrise ou contrôle ce qu’il croit, puisqu’elle analyse au contraire les manières dont s’inscrit, dans le langage et dans l’action, le rapport du sujet avec ce qui lui échappe, c’est-à-dire avec
l’autre, sous des formes inter-relationnelles (la relation à autrui), temporelles (la loi d’une durée) et pragmatiques (la résistance des choses). À cet égard, l’acte de croire apparaît comme une pratique de l’autre. Cette gestion de l’altérité comporte une série d’aspects, dont ceux qui concernent la nature et le fonctionnement de l’institution de sens, et qui circonscrivent, comme ses faubourgs, l’institution particulière qu’est le magistère. »
DE CERTEAU Michel,
« L’institution du croire », 1983, p. 62.
Cité par : ROYANNAIS Patrick, « Michel de Certeau : l’anthropologie du croire et la théologie de la faiblesse de croire », Recherches de Science Religieuse, 2003/4 (Tome 91), p. 499-533. DOI : 10.3917/rsr.034.0499. URL : https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2003-4-page-499.htm

PUBLICATIONS GÉNÉRALES SUR LES COLLÈGES NAPOLÉONIENS
Classement chronologique

  • BOUDON Jacques-Olivier (dir.), Napoléon et les lycées. Enseignement et société en Europe au début du XXe siècle, Paris, Nouveau Monde Éditions-Fondation Napoléon, 2004.
  • SAVOIE Philippe, « Construire un système d’instruction publique. De la création des lycées au monopole renforcé (1802-1814), in BOUDON Jacques-Olivier (dir.), Napoléon et les lycées. Enseignement et société en Europe au début du XXe siècle, Paris, Nouveau Monde Éditions-Fondation Napoléon, 2004. http://rhe.ish-lyon.cnrs.fr/sites/default/files/savoie_coll_napoleon.pdf
  • SAVOIE Philippe, « Création et réinventions des lycées (1802-1902) », in Lycées, lycéens, lycéennes, deux siècles d’histoire, Paris, Institut national de recherche pédagogique, 2005. pp. 59-71. www.persee.fr/doc/inrp_0000-0000_2005_act_28_1_9241
  • BRAMBILLA Elena, « Lycées et Université impériale », Rives méditerranéennes, n°32-33, 2009. http://journals.openedition.org/rives/2949 ; DOI : 10.4000/rives.2949

PUBLICATIONS SUR LE COLLÈGE IMPÉRIAL-DE SAINT JEAN-DE-MONTS
Classement chronologique

Le classement chronologique permet de situer les périodes d’indifférence, de silence d’oubli, et les moments où la mémoire se manifeste par la publication d’articles sur le sujet.
  • 1804
    BONAPARTE,
    Lettre.
    MERLET, Lettre.
  • 1897
    LOUIS Eugène, 
    « L’École secondaire de Saint-Jean-de-Monts », Bulletin de la Société d’Émulation de la Vendée, 1887.
  • 1969
    POUVREAU Bernard,
    « Notes d’Histoire locale », Bulletin municipal de Saint-Jean-de-Monts, n°4, 1969.
  • 1985
    GENDRE B.,
    « Les études au collège impérial 1804-1814 », Bulletin cantonal des Pays de Monts (La Barre-de-Monts, Notre-Dame-de-Monts, Saint-Jean-de-Monts, Le Perrier, Soullans), n° 14, 1985, p.11.
  • 2004
    Bicentenaire de la création de la ville de La-Roche-sur-Yon par Napoléon.
  • 2004
    POUVREAU Bernard,
    in VITAL Chistophe, Napoléon Bonaparte et la Vendée, Conservation des Musées de Vendée/Éditions Somogy, 2004.
  • 2007
    La Lettre originale créant l’École impériale et signée par Bonaparte est vendue aux enchères publiques. Elle est acquise par la commune de Saint-Jean-de-Monts.
  • 2010
    PETITFRÈRE Claude,
    « Heckmann, Thierry, « Napoléon et la paix. Deux préfets de la Vendée, Jean-François Merlet – Prosper de Barante, Le Château-d’Olonne/La Roche-sur-Yon », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n°117-2, 2010, p. 163-165. http://journals.openedition.org/abpo/1789
  • 2012
    « L’histoire du collège impérial de Saint-Jean-de-Monts, 1804-1814 », Exposition présentée à la Médiathèque de Saint-Jean-de-Monts, 25-juin – 18 juillet 2012. Dossier de presse, 12 p.
    PERRET Marie-Sophie, Conférence donnée le 23 juin 2012 à la Médiathèque de Saint-Jean-de-Monts.
  • 2017
    POUVREAU Bernard,
    « L’implantation d’une école secondaire à Saint-Jean-de-Monts », Cahiers d’Histoire du Pays Maraîchin, n°3, 2017, p.60-87.

VIDÉOS EN LIGNE

LÉGENDE DES ILLUSTRATIONS

  • Anciens bâtiments du Collège impérial napoléonien de Saint-Jean-de-Monts, 8 rue du Both, 85160, Saint-Jean-de-Monts. © Photographie Bernard Mérigot / CAD.
  • « Liste des élèves qui doivent être entretenus aux frais de l’État dans l’école secondaire impériale de Saint-Jean-de-Monts, Département de la Vendée », extrait de « Les études au collège impérial 1804-1814 », Bulletin cantonal des Pays de Monts (La Barre-de-Monts, Notre-Dame-de-Monts, Saint-Jean-de-Monts, Le Perrier, Soullans), n° 14, 1985, p.11.
  • « Les études au Collège impérial 1804-1814 », par B. GENDRE, Bulletin cantonal des Pays de Monts, n° 14, 1985, p.10.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°360, lundi 8 juillet 2019

Territoires et Démocratie numérique locale (TDNL) est un media numérique mis en ligne sur le site http://savigny-avenir.info.
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Référence du présent article : http://www.savigny-avenir.fr/2019/07/08/letat-menteur-vie-et-mort-du-college-imperial-napoleonien-de-saint-jean-de-monts-1804-1814/


 

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Anthropologie du quotidien. Comment décrire l’apport de l’expérience des Gilets jaunes ?

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°358 lundi 24 juin, 2019

Il n’échappe à personne que les manifestations des « Gilets jaunes » qui ont débuté en novembre 2018 et qui se poursuivent en cette fin de premier semestre de l’année 2019, constituent un moment historique porteur d’une expérience politique puissante, productrice de liens, de sens, de résonances, d’expériences politiques et de productions esthétiques. En un mot, elles sont constitutives de savoirs qui marquent les temporalités individuelles et collectives : il y a un « avant Gilets jaunes » et un « après Gilets jaunes ».
Comment l’anthropologie et les sciences humaines et sociales peuvent-elles traduire l’imaginaire qui a traversé – et continue de traverser – le soulèvement des Gilets jaunes ? C’est l’une des questions posées par les organisateurs des deux journées d’étude qui se déroulent à la Maison des Sciences de l’Homme de Paris Nord
. (1)

Le cri de Gilet jaune : « J’existe ! », Inscription collée sur la base d’un candélabre d’éclairage public, rue Saint-Martin, Paris, 3e, 19 décembre 2018. © Photographie Bernard MÉRIGOT / CAD.

SE DÉPARTIR DU RÉDUCTIONNISME

Les chercheurs de l’ « Atelier des Ronds-points » insistent sur le fait que, pour entrer dans l’étude sensible des Gilets Jaunes, il faut se départir des catégories réductionnistes convenues et erronées concernant le « populisme » et les « mouvements populistes ». « Un soulèvement populaire n’est rien d’autre qu’une tentative de survie à la crise sociale et écologique d’une partie de la population qui met en branle des forces par nature hétérogènes, et souvent contradictoires. »

Depuis son commencement, le mouvement des Gilets jaunes s’est construit dans une double dimension :

  • la contestation de la légitimité des élites au pouvoir et des discours qu’elles tiennent (tous les discours, et ceux de l’université et de la recherche n’y échappent pas),
  • la « re-prise de la parole » par ceux dont les voix et les actes étaient devenus inaudibles dans ce que nous nommons l’espace démocratique. Ces re-prises de paroles ont pris des formes très diverses, depuis les discussions de ronds-points, d’apparence ordinaires, en passant par les assemblées, les débats, les productions esthétiques…

S’il est dans l’ordre des choses que paroles soient échangées localement par des habitants du lieu (encore que…), il est  est inhabituel que celles-ci le soient sur des ronds-points, par des Gilets jaunes, résidents temporaires de ces espaces inexistants.

LE RETOUR DE LA RECHERCHE-ACTION

L’originalité de la démarche de l’anthropologie du contemporain, ainsi que des sciences humaines et sociales qui lui sont associées, est d’instaurer un débat entre les Gilets jaunes et les chercheurs. Les travaux d’enquête qui sont en cours ont débuté il y a six mois, en décembre 2018. Le point d’étape qui est effectué aujourd’hui en juin 2019 fait tout naturellement une place large aux récits et aux pratiques de ceux qui ont construit ce mouvement. L’esprit de l’étude de ce mouvement social est celui d’une recherche-action qui reconnaît la mise en forme des récits de ses acteurs comme constitutive de savoirs issus d’une expérience de terrain.

HISTORICITÉ ET ANTHROPOLOGIE DU CONTEMPORAIN

Marc AUGÉ, lorsqu’il a employé le terme de « contemporain », a procédé à une réorientation du champ de l’anthropologie en prenant acte de son histoire afin de lui dessiner un avenir. La contemporanéité n’est pas ici une nouvelle période historique, mais un régime d’historicité qui entretient un rapport particulier à l’histoire.

Le contemporain en anthropologie consiste à porter une attention conséquente à plusieurs choses :

  • au monde qui en train de se défaire, de se refaire, de se faire,
  • aux pratiques, aux représentations, aux institutions… qui sont en évolution permanente, en création continue,
  • aux environnements qui changent,
  • aux altérités sans cesse redéfinies en raison de la circulation mondialisée des personnes et des biens,
  • aux technologies de l’information et de la communication et à leurs effets paradoxaux : rapprocher et éloigner, unir et séparer, simplifier et complexifier.
« Au temps pour nous », rue de Rennes, Paris 6e, 13 février 2019. © Photographie de Bernard Mérigot / CAD.

UNE ANTHROPOLOGIE DES SITUATIONS

L’anthropologie ne peut rester indifférente – et les anthropologues ne peuvent rester indifférents – aux terrains contemporains. L’anthropologie doit s’en saisir et les terrains doivent la saisir. Toute observation et toute analyse du présent devient alors un projet anthropologique à l’image des Culture contact et du changement social.

L’anthropologie du contemporain s’efforce de participer à une démarche compréhensive en développant une anthropologie des situations : chaque unité d’observation prend sens dans le présent, et dans une « réalité » choisie, démêlant les fils afin de rendre compte de la complexité et des « dynamiques » à l’œuvre . Elle a trois préoccupations :

  • restituer l’épaisseur des réalités observées,
  • situer leurs tensions constitutives,
  • considérer le temps et la durée pour repérer continuités et discontinuités.

Un événement, une crise, une évolution, un exode… constituent autant d’ objets-notions travaillés au sein d’une unité, qu’il s’agisse d’un effet caché de la mondialisation, d’une autochtonie, d’une patrimonialisation, d’une acculturation, d’une environnementalisation. La saisie du monde en acte se fait toujours dans une approche réflexive.

Le choc des authenticités est aussi le choc des temporalités. L’usage varié des catégories anthropologiques contribuent à la production, hier comme aujourd’hui, d’imaginaires sociaux et culturels, de cadres de référence individuels et collectifs.

« On fait du même avec du différent » ou encore « Plus c’est différent plus c’est la même chose » sont des postulats qui ont valeur de vérité anthropologique. Ils invitent –  dans le sillage des travaux de François HARTOG, Nicole LORAUX et Marshall SAHLINS  – à porter l’attention à trois notions : anachronisme, structure et histoire. Retenons le mot d’ordre de ce dernier : « Scruter la structure en mouvement pour repérer le mouvement de la structure » .

DOCUMENT

CONTER ET DÉCRIRE
LES EXPÉRIENCES DES GILETS JAUNES
Atelier des Ronds-points
Journées d’étude

Mercredi 26 juin 2019

1. Enquête sur l’histoire des ronds-points
•   Enquête sur la cartographie historique des ronds-points, par B. Dumenieux et Maurizio Gribaudi.
•   L’observation des ronds-points par des Gilets Jaunes, par Jean Paul et Patricia, Gilet Jaune de l’Ile Saint Denis.
•   Gilets Jaunes et logistiques : univers croisés, par David Gaborieau /ANR Worklog/Paris Est.
2. Ethnographie des ronds-points et des pratiques d’assemblées
•   Le rond-point de Crolles (Grenoble), par Luc Gwiazdzinski.
•   Des ronds-points à Paris : la manifestation du samedi comme nouvelle forme de mobilisation politique, par Quentin Ravelli, CNRS (CMH).
•   La fin des cabanes. Conflits, rapports de force et reconfigurations de l’espace militant sur le rond-point de Camon, par Loïc Bonin et Pauline Liochon.
•   Comment les ronds-points sont devenus des places publiques ? Retour à partir d’observation dans l’Oise et en Seine Saint Denis, par Benoit Hazard (IIAC).
•   Le rond-point de Loch, par Olivier Morin, journaliste.
3. L’organisation d’un mouvement social
•   Témoignages des groupes de l’Oise, de l’Ile-Saint-Denis, de Pierrefitte sur leurs modalités d’organisation.
4. Nos histoires de gilets jaunes ? Les Gilets jaunes : des producteurs de savoirs
•   Introduction, par Hugues Bazin, Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action.
5. L’histoire d’un soulèvement racontée par les Gilets Jaunes
•   Comment je suis devenue Gilet Jaune ? ». Témoignage par Marjory, Collectif Pantin, et Tony Gilet jaune du 78.
•   Reprendre la parole avec des posts ? par Agnès Verdurant.
6. L’expérience des ronds-points et des pratiques d’assemblée
•   D’un hiver sur le rond-point d’Allone (Beauvais) à l’association collégiale, par Michel, David, et Coralie.
•   Des femmes sur les ronds-points, par Ida Susser, Anthropologue et deux femmes gilets jaunes.
•   Poésie des ronds-points et répression des poètes, par Sylvestre Meinzer.
7. Y-a-t-il eu une fraternité des ronds-points ?
•   Petite histoire d’une banderole ?, par Benoit Hazard.
•   Le rond-point du bois de lihus, par Vincent.
•   Domu et Marco à Senlis.
•   Les maraudes de Beauvais, par Maella.
8. S’associer et composer avec les autres
•   Débat entre les gilets jaunes présents, animé par Raphael Challier, Université de Mulhouse.
•   Les gilets jaunes : des composites « a partisan » et pourtant hétérogènes.
9. Composer avec les gilets jaunes : retour d’expérience ?
•   Les Gilets jaunes chez Géodis (Genevilliers), par David et des salariés de Géodis.
•   L’expérience d’un soutien des gilets jaunes à une lutte syndicale : les clinalliances, par Thierry et des salariés des Clinalliances.
•   Des gilets jaunes face à la fermeture d’un hypermarché, par Michel Vindeninde.

Jeudi 27 juin 2019

1. Images en mouvement
Introduction, par Jean Bernard, Ouédraogo, Sylvestre, Monique, Arghyro, Christiane ,Guillaume.
Un univers sonore et esthétique du mouvement, par Benoit
Le groupe du journal « Plein le dos », par Simon, Rubert et d’autres.
Écrire la ville dans des parcours de manifestations, par le Groupe des signataires, Sophie Tissier)
2. Quelles formes pour investir et se réapproprier les espaces encodés du pouvoir ? Débat
3. Travaux en groupes sur des thèmes définis par l’atelier
Reprendre la parole et le contrôle de nos émotions,
« Actions et manifestations ».
« Écrire la violence et l’arbitraire » et autres thèmes à définir ensemble
Récit de l’arbitraire, par Stéphane Espic.
L’abécédaire Gilet Jaunes
Projet d’exposition
« 3e Traces, griffages et graphismes Jaunes »
Atelier pratique d’écriture ou de graphie

RÉFÉRENCES

1. « Conter et décrire les expériences de Gilets jaunes. Atelier des Ronds-points », Journées d’étude organisées par l’Institut interdisciplinaire d’Anthropologie du Contemporain (IIAC), la Maison des Sciences de l’Homme-Paris Nord (MSH) et le Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche action (LISRA), 26 et 27 juin 2019, Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord, 20 avenue Georges Sand, 93210 Saint-Denis-la-Plaine (Seine-Saint-Denis).

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • Un cri de Gilet jaune : « J’existe ! », Inscription collée sur la base d’un candélabre d’éclairage public, rue Saint Martin, Paris, 3e, 19 décembre 2018. © Photographie Bernard MÉRIGOT / CAD.
  • « Au temps pour nous », rue de Rennes, Paris 6e, 13 février 2019. © Photographie de Bernard Mérigot / CAD.

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La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°358, lundi 24 juin 2019

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