VIOLENCE DU POUVOIR MUNICIPAL, POUVOIR DE LA VIOLENCE MUNICIPALE
« Spicher, t’es où, on veut un rendez-vous ! » Grandes banderoles en main et casquette de leur club vissée sur la tête, les enfants du club de base-ball de Savigny hurlent dans les rues à l’attention de la maire de la commune. Hier, près de 300 manifestants ont défilé dans les rues de la ville et remis en mairie une pétition de 2 600 signatures pour tenter d’obtenir un terrain afin de pouvoir pratiquer leur sport favori. » (1)
LA VIOLENCE AU POUVOIR ?
Question. Que pensez-vous de ce compte rendu du journal Le Parisien Essonne matin de la manifestation qui s’est déroulée le samedi 24 novembre 2012 ?
Bernard MÉRIGOT. Savigny-sur-Orge est une commune de 37 000 habitants de l’Essonne. On doit considérer que la mobilisation de 300 personnes et la pétition de 2 600 signatures constituent une forte mobilisation. Deux constatations évidentes s’imposent :
- 1. il y a un problème de violence dans la gouvernance locale,
- 2. la décision prise d’expulsion de l’équipe de base-ball l’a été sans dialogue et sans concertation,
- 3. le refus de dialogue de la mairie est persistant,
- 4. la collectivité vit un conflit qui est lui-même potentiellement porteur de violences.
LES SPORTIFS COMME CIBLE
Question. Que doit-on penser de cette interdiction faite à un club sportif – au mois d’août, c’est-à-dire à la veille de la saison – d’accéder à un stade d’entraînement ?
Bernard MÉRIGOT. Il peut apparaître paradoxal que ce soit précisément à propos des conditions d’exercice d’une pratique sportive que la violence du pouvoir s’exerce. Que veut le pouvoir ? Que les jeunes sportifs exercent leur activité dans le cadre d’un club organisé grâce au bénévolat ? Ou bien, faute de terrains d’entrainement, se retrouvent dans la rue ? Une telle responsabilité, lourde de conséquences, ne doit pas être passée sous silence.
Question. Mais tout acte de pouvoir n’est-il pas une forme de violence ?
Bernard MÉRIGOT. Je vois que vous avez lu Max WEBER. Dans Le Savant et le Politique, il affirme qu’il ne saurait y avoir de pouvoir qui ne fasse appel, au moins à titre de menace, à la violence. « S’il n’existait que des structures sociales dont toute violence serait absente, le concept de l’État aurait alors disparu ». C’est un sujet de philosophie du baccalauréat. Seulement, ici nous ne sommes pas au lycée, mais dans la vie réelle, adulte, responsable.
LE POUVOIR MUNICIPAL MIS EN CAUSE
PAR UNE MANIFESTATION DE RUE
Question. Comment un pouvoir municipal peut-il se mettre dans une telle situation de dépendance à l’égard d’une manifestation de rue ?
Bernard MÉRIGOT. Quel est le but d’un maire ? Gérer au mieux (en réduisant les passions), ou bien gérer au pire (en exacerbant les tensions). On peut considérer que le dessein caché pour un pouvoir municipal est de faire parler de la commune dans la presse à propos d’un conflit interne qu’il est incapable de résoudre. « Je suis maire, et je suis dépassée par les évènements. Je défends les bons riverains, et les méchants base-ballers ne font rien que m’embêter. C’est trop injuste ! » Nous sommes en plein dans le complexe de Calimero.
DÉNONCER LA SOUMISSION
Question. Peut-on accepter que pour certains la réalité du pouvoir se mesure à leur capacité à triompher de ceux qui leur résistent ?
Bernard MÉRIGOT. Définir ainsi le pouvoir uniquement en termes de rapport de forces débouche sur la violence. Celle-ci ne consiste pas seulement à agir contre la volonté de quelqu’un, mais à obtenir l’obéissance par une contrainte qu’elle exerce ou par une menace qu’elle brandit. Il peut alors être tentant d’interpréter toutes les formes d’obéissance sur le mode de la soumission, et de voir dans la violence l’essence même du pouvoir.
Question. Vous avez cité Max WEBER. Ne peut-on pas également citer Hannah ARENDT ?
Bernard MÉRIGOT. En effet, selon Hannah ARENDT, une société régie par la violence est nécessairement vouée à l’échec, car toute société suppose la mobilisation des membres qui la composent. Même si l’obéissance est imposée plutôt que consentie, l’action collective est inefficace ou précaire lorsque ceux qui y collaborent le font sans adhésion et sans motivation. J’ajoute que l’on peut penser avec Jean-Jacques ROUSSEAU que la violence n’est pas le pouvoir mais bien un abus de pouvoir. Ceux qui exercent quelque autorité avec succès le savent : ils considèrent qu’il est de leur intérêt de ne jamais abuser de la contrainte qu’ils peuvent exercer.
TOUS LES POUVOIRS ONT DES LIMITES
Question. Que penser des humiliations publiques, des menaces diffuses ou déclarées, du climat de peur ?
Bernard MÉRIGOT. Toutes ces pratiques ne renforcent pas un pouvoir mais contribuent à l’amoindrir. Cela signifie qu’exercer un pouvoir ne peut jamais aboutir à une complète dépossession du dominé par le dominant. Aucun pouvoir – même autocratique ou despotique – ne peut jamais se conserver durablement s’il ne s’est pas au préalable assuré de la collaboration d’une partie de ceux qui sont à son service. Tout pouvoir sait qu’une majorité n’est jamais une unanimité. Au conseil municipal de Savigny-sur-Orge, Laurence SPICHER-BERNIER obtient régulièrement, lors des votes, 21 voix sur 39 conseillers municipaux, c’est-à-dire 53,8%. Ce n’est pas un raz de marée !
PAS DE POUVOIR DURABLE SANS LIBERTÉ
Question. Que faut-il penser de la violence comme mode de gouvernance?
Bernard MÉRIGOT. Contrairement à la violence qui est un pouvoir à somme nulle, le pouvoir n’est fructueux que si la personne sur laquelle il s’exerce dispose d’une marge de manœuvre suffisante pour l’amener à obéir sans y être contrainte par la force. « En ce sens le pouvoir n’est pas la simple faculté d’agir sur quelqu’un, il suppose la liberté de ceux sur lesquels il s’exerce. Le pouvoir n’a en soi aucune consistance réelle : il n’existe qu’en raison des personnes sur lesquelles il s’exerce, de ce qu’elles lui concèdent, de ce qu’elles lui reconnaissent », comme le note Bernard ROMAIN. (2)
UN DESSEIN CACHÉ
Question. Mais alors, quel est le dessein caché du pouvoir ?
Bernard MÉRIGOT. Revenons au cas des malheureux sportifs du club de base-ball de Savigny-sur-Orge. Interrogeons-nous pour savoir si la situation qu’ils vivent procède d’actes volontaires ou d’actes involontaires ? D’effets directs (de premier niveau) ou d’effets indirects (de second niveau)
- Involontaire. « Je savais pas qu’ils réagiraient et qu’ils seraient aussi nombreux à manifester ».
- Volontaire de premier niveau. « C’est moi qui ai le pouvoir. C’est moi qui décide la mise à disposition des terrains de sport. J’ai la loi pour moi. Ils n’ont qu’à obéir ».
- Volontaire de second niveau. « J’encourage la rivalité entre les riverains et les sportifs. Je prends une décision autoritaire. On va en parler dans la presse. J’argumente de la façon suivante : 1. je défends les riverains. 2. l’agitation des « base-ballers» me sert à prendre à témoin le monde. »
« Dans ce cas, je pratique le billard à trois bandes. Le base-ball ne peut pas être pratiqué en zone urbanisée. Ou alors, à moins d’être subventionné. Toute cette agitation médiatique va me servir à présenter la commune comme une victime. Le conseil général ne fait rien. Le conseil régional ne fait rien. La fédération de base-ball ne fait rien. Tout est de leur faute. »
UN DESSEIN CACHÉ ÉLECTORALISTE ?
Question. Le dessein caché est électoraliste ?
Bernard MÉRIGOT. Ce n’est pas moi qui le dit. Ce sont les sportifs eux-mêmes qui parlent de « motifs électoralistes » dans leur appel à la manifestation (3). Ce n’est pas parce qu’on ne l’a pas vu, qu’il n’y a pas un lapin dans le chapeau.
Question. Vous êtes en train de suggérer que des effets involontaires (une manifestation de 300 personnes) seraient le résultat d’actes volontaires ?
Bernard MERIGOT. La mauvaise gouvernance ne peut s’empêcher de manipuler, d’intrumentaliser. La manifestation de 300 personne n’est ni une divine surprise, ni l’effet d’une quelconque maladresse : elle est un effet prévisible de toute attaque frontale, avec la part d’incertitude inhérente à toute entreprise de ce genre.
C’est comme le dernier feuilleton politique de l’automne. Le 18 novembre 2012, un des deux grands partis politique français, l’UMP procède à l’élection de son président. Et depuis une semaine, les deux candidats, François FILLON et Jean-François COPÉ, se revendiquent chacun comme le vainqueur de l’élection. Pourquoi font-ils cela? Vous croyez qu’en prenant l’opinion publique à témoin, chacun à son tour, ils n’exécutent pas un dessein politique caché ? Ils peuvent tromper les adhérents de l’UMP. C’est leur affaire. Mais qu’ils n’imaginent pas tromper l’opinion publique dans sa totalité !
Question. Quel sera le prochain épisode du dossier du base-ball à Savigny-sur-Orge ?
Bernard MÉRIGOT. Ce n’est pas à une personne d’imposer quoi que ce soit. Les responsables politiques, pour tous les dossiers importants, doivent s’engager volontairement dans des procédures de dialogue et de concertation. Des solutions existent pour répondre aux légitimes exigences des uns et des autres, dans le respect de toutes les parties prenantes.
Et sans violence.
RÉFÉRENCES
1. « Essonne. Les Lions de Savigny ne veulent pas mourir », Le Parisien Essonne-matin, dimanche 25 novembre 2012, p.15. Article de Florian Loisy.
2. ROMAIN Bernard, « Pouvoir et violence », www.bernard-romain.over-blog.com, 5 décembre 2011.
3. La manifestation du samedi 24 novembre 2012 répondait à un appel de l’équipe de base-ball de Savigny-sur-Orge ainsi rédigé : « LES LIONS RUGISSENT ! Demain, sans terrain, les Lions meurent. Sauvez les Lions, participez à la manifestation le 24 novembre prochain ! Depuis le 28 août dernier, la mairie interdit l’accès au stade au club de base-ball-softball de Savigny pour des motifs sécuritaires abusifs… et électoralistes. Se ravisant, la mairie a finalement autorisé le club à maintenir malgré tout les entraînements des 50 plus jeunes adhérents de 5 à 15 ans. Reste toujours interdits de stade les 100 autres licenciés… Cette interdiction signifie à très court terme la mort du club qui fête pourtant cette année ses 30 ans d’existence… 30 années de résultats sportifs plus qu’honorables. Le club tente en vain de nouer le dialogue, or, nos nombreuses demandes de rendez-vous restent lettre morte depuis 2 mois.
Nous avons donc décidé d’organiser une manifestation le samedi 24 novembre 2012. Nous avons besoin de vote soutien ! Rendez-vous à 10 heures sur le parking du Parc des sports, avenue de l’Armée Leclerc à Savigny-sur-Orge. » www.savignybaseball.com, 15 novembre 2012.
Complément du 30 novembre 2012
L’article publié dans Le Républicain en date du 29 novembre 2012 fait état de 1 800 signatures pour la pétition. Il se termine ainsi : « Le représentant des joueurs qui a pris la parole a exprimé toute la détermination des Lions de Savigny-sur-Orge à ne rien lâcher jusqu’à ce que le maire Laurence SPICHER-BERNIER revienne sur sa décision. Désormais, « la balle est dans le camp de la municipalité ».
RÉFÉRENCES
« Savigny-sur-Orge. Manifestation du club de baseball-softball. Les Lions se font entendre », Le Républicain Hebdomadaire de l’Essonne, 29 novembre 2012, p. 14. Article de Bacary Touré.
Mention du présent article : http//www.savigny-avenir.info/ISSN 2261-1819