Améliorer la démocratie. Mieux débattre, mieux délibérer (Le Pacte civique)

QUESTION : Comment promouvoir l’éthique du débat et de la délibération ?
RÉPONSE : C’est avec les citoyens que l’on peut améliorer la qualité de notre démocratie.

Les démocraties doivent améliorer la qualité de leur fonctionnement à la hauteur de ce qu’exigent les défis auxquels elles sont confrontées. Parmi les nombreux moyens possibles pour y parvenir, il convient d’attacher une importance particulière aux conditions dont nous débattons (de manière informelle ou de manière organisée, dans les médias, etc.), dont nous délibérons (au sein des diverses institutions) et dont nous décidons. La démocratie étant par définition le lieu du libre débat, il est essentiel que celui-ci soit de qualité.

Malheureusement, on observe que celui-ci est parasité par toute une série de phénomènes: malentendus, procès d’intention, recherche de boucs émissaires, refus par les experts de prendre en compte le vécu des personnes, manoeuvres destinées à conforter ou à acquérir des positions de pouvoir, difficulté ou impossibilité pour nombre de personnes de s’exprimer (surtout lorsqu’elles sont d’une manière ou d’une autre en situation de dominées), etc.

Au cours des dernières années, de nombreuses réflexions ont été faites et des expériences diverses menées pour tenter, sans naïveté sur les conditions d’accès au pouvoir, de remédier à ces multiples déficiences. Le philosophe de Francfort, HABERMAS, a cherché à définir les conditions procédurales d’une éthique du débat en distinguant la dimension communicationnelle du débat et la dimension stratégique. Le mouvement ATD-Quart Monde a développé des méthodes de croisement des savoirs avec les plus pauvres. Charles ROJZMAN a initié des pratiques de thérapie sociale entre des groupes en conflit. Patrick VIVERET et Suzanne ROSENBERG ont développé des démarches originales de démocratie participative.

Ces nouvelles approches originales requièrent des comportements fondés sur l’écoute et la compréhension de l’autre, la remise en cause de ses certitudes, la reconnaissance de l’altérité. Elles sont une source de progrès démocratique. Le Pacte civique se doit donc de les promouvoir.

DES OBJECTIFS PORTEURS DE SENS

  • Répondre à la violence, à la domination, à l’exclusion. Les situations de violence subie, de domination et d’exclusion doivent pouvoir être exprimées dans le débat public afin de pouvoir être prévenues et évitées.
  • Trouver les voies qui permettent aux sans voix de donner de la voix est un impératif démocratique.
  • Maîtriser la complexité. Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de régler des conflits d’intérêts et de répartir des ressources dans un univers délimité et connu de tous. Il s’agit de tenter de maîtriser des systèmes complexes comportant de multiples inconnues, faisant intervenir de nombreux acteurs, ayant chacun sa propre logique d’action, sa propre rationalité.
  • Prendre en compte le pluralisme dans la construction d’un monde commun. Comment s’entendre pour décider alors que la modernité a généré une grande pluralité de valeurs ? Les défis qui nous sont lancés éprouvent notre capacité à bâtir un monde commun. Vérité quant aux faits rapportés, justesse quant aux jugements posés, authenticité quant aux sentiments qui seront exprimés conditionnent cette entente ou au minimum l’accord sur la nature des désaccords.
  • Revoir le mode de gouvernance de nos sociétés. La gouvernance dominante actuelle porteuse de méfiance, la norme imposée d’en haut et le contrôle a priori ne permettront pas de faire face aux défis actuels. Il faut lui substituer une gouvernance axée sur la participation, la confiance et l’évaluation a posteriori d’objectifs élaborés en commun.

En définitive, ces difficultés peuvent être source de progrès collectif pour nos démocraties qui doivent allier capacités de délibération, d’élaboration et d’implication. Cela suppose de préciser clairement l’objet et les modalités du débat, de prendre le temps de partager l’information, de laisser le vécu s’exprimer, de débattre posément des finalités recherchées, de construire des accords (ou si cela n’est pas encore possible de formaliser les désaccords), puis de décider.

QUELS ENGAGEMENTS INDIVIDUELS PROPOSER ?

  • Faire évaluer par d’autres sa capacité d’écoute et de dialogue et, si nécessaire, se former à l’écoute d’autrui et au dialogue constructif.
  • Dans les différents débats auxquels nous participons, contribuer à l’examen complet des situations et à la constitution d’un patrimoine partagé de données.
  • Éviter les comportements toxiques et hypocrites comme, par exemple, réaliser un faux consensus par l’élimination des autres parties au débat en ignorant la spécificité de leur approche ou en diabolisant leurs positions ; déformer de façon malveillante le discours d’autrui ; miner l’argumentation d’autrui en sortant son argument de son contexte de pertinence et de cohérence, etc.
  • Prendre conscience du désir de dominer les autres et s’efforcer de le transformer en mettant le désir de sens et de service au centre de notre réflexion(-action).

QUELS ENGAGEMENTS COLLECTIFS PROPOSER ?

  • Dans les différentes organisations et mouvements où nous déployons notre activité :
    • mettre en œuvre des méthodes innovantes pour gérer les désaccords et progresser à partir d’eux ;
    • analyser les conditions dans lesquelles sont préparées et mises en délibération les décisions ;
    • promouvoir une évaluation du déroulement des débats et des conditions de la délibération ;
    • ouvrir les débats à des participants inhabituels ou négligés, et, créer les conditions de leur prise de parole.
  • Dans les entreprises, développer le dialogue social, en particulier autour de l’emploi, et l’organiser, selon des formes à imaginer au cas par cas, entre les différentes « parties prenantes » (actionnaires, salariés, syndicats, consommateurs, sous-traitants, milieux locaux, associations).
  • Dans les médias, mener une réflexion spécifique sur ces sujets, afin que le souci de l’audience ne conduise pas à fausser et à caricaturer les débats.

QUELS ENGAGEMENTS DE L’ÉTAT ?

  • Créer un Observatoire de l’éthique du débat et de la qualité démocratique, chargé notamment : a) de mettre en place une pédagogie de l’éthique du débat ; b) de faire un rapport annuel sur les conditions du débat public et de la délibération collective ; c) de faire des recommandations sur l’utilisation de divers outils et méthodes favorisant le débat ; d) d’examiner l’implication des diverses catégories sociales et de différentes générations dans les débats.
  • Organiser une représentation des générations futures dans les débats qui les concernent.
  • Revoir les conditions de fonctionnement de la Commission du débat public.
  • Se donner les moyens nécessaires pour organiser régulièrement des débats sur les grandes orientations que l’Union européenne envisage d’adopter.
  • En faire de même sur les grands dossiers qui concernent tous les habitants de la planète.


RÉFÉRENCES
LE PACTE CIVIQUE,
Penser, agir autrement en démocratie et inventer un futur désirable pour tous, 2012. www.pacte-civique.org

This entry was posted in Actualités, La lettre de Bernard Mérigot. Bookmark the permalink.

Comments are closed.