« Chaque année, le rossignol revêt des plumes neuves, mais il garde sa chanson » écrit Frédéric MISTRAL (1830-1914) dans son poème Mireille (Miréo). C’est une façon de réfléchir ensemble aux traditionnels voeux de nouvelle année : une année s’achève, une autre s’engage. Qu’est-ce qui se répète ? Qu’est-ce qui diffère ? Cette question a été traitée par Gilles DELEUZE (1925-1995) dans son livre Différence et répétition (1968) dans lequel il note que le concept de différence libre ne se laisse subordonner ni à l’identité, ni à la similitude, pas plus que le concept de répétition complexe ne se laisse réduire à une répétition matérielle et mécanique. (1) A quoi doit-on prêter le plus l’attention ? Aux plumes neuves qui changent tous les ans ? Ou bien à la chanson qui est la même tous les ans ?
LA NOUVELLE ANNÉE RÉPÈTE-T-ELLE LA PRÉCÉDENTE ?
« Répéter, c’est se comporter (…) par rapport à quelque chose d’unique ou de singulier qui n’a pas de semblable ou d’équivalent. Une chose qui fait écho à « une vibration plus secrète, à une répétition intérieure et plus profonde dans le singulier qui l’anime ». (2) Il faut faire la part entre la répétition collective subie et la différence individuelle assumée. Dans quelle mesure peut-on, dans le cadre d’un acte qui se répète, manifester une différence ? Comment apprécier une oeuvre différente par rapport aux autres et différente par rapport à soi-même, c’est-à-dire qui soit à la fois identique et différente une année par rapport à une autre ?
LES MOTS DES VOEUX
Quelle est la parenté des voeux individuels ? Parce qu’adresser des voeux individuels, c’est pénétrer dans le cercle d’intimité d’une personne. Comme celle des voeux institutionnels, effectués par ceux qui en sont responsables, c’est-à-dire par ceux qui détiennent une autorité, une légitimité ainsi que les moyens financiers qui vont avec, ceux qui occupent la place particulière leur permettant de parler « au nom de… » (administrations, institutions publiques, collectivités territoriales) et qui, au fil des ans, ont dépensé à cette fin, des sommes considérables d’argent public (cartes imprimées luxueuses, envois postaux en nombre, frais de réception souvent somptuaires pour les « cérémonies » de voeux dont certaines – en des temps anciens d’avant Covid 2020, désormais révolus pour une durée incertaine – constituaient de véritables spectacles avec orchestres, chanteurs, buffets salés et sucrés, boissons…). En ce mois de janvier 2021, la Covid apparue en 2020 a mis un terme à ces rituels et à ces rencontres conviviales qui en constituent la justification sociale, politique et financière.
Quel est le contenu des voeux de nouvelle année qui sont habituellement formulés et échangés ? Qu’il s’agisse de voeux traditionnels écrits sur des cartes, envoyés par courrier postal, téléphonés, écrits sur un téléphone, une tablette ou un ordinateur pour être mis en ligne (Facebook, Twitter, WhatsApp ou tout autre réseau social…). Quels mots ? Quelles idées ? Quelles citations ? Quels auteurs ? Quelles photos ? Quels dessins ?
Les voeux présentent le paradoxe d’être à la fois universels et localisés. Ils sont une illustration ici et maintenant d’un ailleurs et toujours. Ils ont recours très souvent à des citations dont la référence est souvent imprécise (Qui ? Quoi ? Où ?), se servant d’un auteur pour dire en usant de l’autorité d’un autre, d’une façon qui se veut originale en mobilisant « la vulgate de l’impensé », c’est-à-dire tout ce qui circule confusément (d’une façon non référencée) au quotidien et se rattachant à aucun acte de pensée en demeurant allusif, non parvenu à son terme constitué par le fait de penser, et de se penser, par rapport à une historicité évolutive.
BIEN PUBLIC ET BONHEUR INDIVIDUEL
La phrase d’Albert CAMUS « Le bien public est fait du bonheur de chacun » est utilisée par le maire de Savigny-sur-Orge pour la carte de vœux pour l’année 2021 qu’il adresse aux habitants de la commune. Quelle est la nature du lien entre le bien et le bonheur ? Comment passe-t-on du collectif à l’individuel, du public au privé ? La réponse se décline en une série d’oppositions : bien/mal, bonheur/malheur, bien public/mal public, bonheur individuel/malheur individuel, bonheur des uns/bonheur des autres. L’un conditionne l’autre, l’un dépend de l’autre.
Puisque nous y sommes invité, poursuivons avec Albert CAMUS et avec sa pensée inspirante (en attendant qu’elle devienne « aspirante ») en cette ère de covidocène dans laquelle nous sommes entrés depuis mars 2020.
« Ne pas céder à la haine, ne rien concéder à la violence […]. Il s’agit au contraire et pour nous de ne jamais laisser la critique rejoindre l’insulte, il s’agit d’admettre que notre contradicteur puisse avoir raison et qu’en tout cas ses raisons, même mauvaises, puissent être désintéressées. »
CAMUS Albert, Essais, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade », 1965, pp. 314-315.
Dire que tout contradicteur peut avoir raison sur celui à qui il apporte une contradiction rappelle un principe magnifique qui ne peut que réjouir ceux qui espèrent en la démocratie.
LES PENSÉES MEURTRIÈRES
Est-ce que citer, c’est penser ? On a envie de répondre « ça peux », mais « c’est pas sûr ». Pas toujours, en tout cas. Des fois. C’est comme un indice, une tentative de dire quelque chose avec autre chose. Une pensée qui n’est pas extérieure, mais qui est en nous, à côté de laquelle nous cheminons ente l’explicité et l’implicité, la simplicité et la complexité aussi, entre mensonges et soupçons, entre vérités et célébrations. Toute pensée qu’elle soit sagesse ou folie, est action sur le monde.
« Nous tuons des millions d’hommes chaque fois que nous consentons à penser certaines pensées. On ne pense pas mal parce qu’on est un meurtrier. On est un meurtrier parce qu’on pense mal. »
- CAMUS Albert, « La Crise de l’Homme », Conférence donnée au Mc Millin Theater de l’université de Columbia (New York) le 28 mars 1946. Texte original de la conférence sur : https://cinqpetitessecondes.files.wordpress.com/2017/10/la-crise-de-lhomme-camus-1.pdf
- CAMUS Albert, « La Crise de l’Homme », dans Conférences et discours (1936-1958), Gallimard, « Folio », 2017, p. 50.
Il est évident que les réseaux sociaux numériques du XXIe siècle sont à la fois une attirance à laquelle peu d’hommes et de femmes libres (au sens de l’humanisme développé par Albert CAMUS) résistent pour émettre et diffuser des pensées meurtrières. On ne peut pas dire qu’Albert CAMUS ait anticipé un phénomène à venir, mais il a constaté l’existence d’un phénomène profond.
SOLIDARITÉ, RÉSISTANCE, INVENTIVITÉ
L’actualité de l’année 2021 est marquée par nombre de préoccupations, comme par exemple cette autre trilogie Solidarité, Résistance, Inventivité qui sert de titre à l’éditorial du numéro spécial de Libération des 24-25-26-27 décembre 2021. (3)
- Foi (Mon Dieu, faites que moi et mes proches passent à côté de la Covid),
- Espérance (Cette pandémie va bien s’arrêter un jour),
- Charité (Je pense aux personnels soignants, aux étudiants, aux personnes des EHPAD, aux restaurateurs, aux artistes, aux personnes vulnérables en télétravail ou pas…),
- Solidarité (Je n’oublie pas ceux qui sont plus malheureux que moi, j’essaie de les aider),
- Résistance (Nous n’allons pas nous laisser faire),
- Inventivité (Il y a bien un truc pour s’en sortir).
FOI, ESPÉRANCE, CHARITÉ
Quel est le champ des mots et des idées qui peuvent être utilisés pour formuler des vœux ? Il n’est pas illimité. On retrouve fréquemment ce que la religion catholique désigne sous le nom de « vertus théologales » que sont la Foi, l’Espérance et la Charité : la Foi (la « fides » en latin, la disposition à croire aux vérités révélées), l’Espérance (« spes » en latin, la disposition à espérer la béatitude), la Charité (« caritas » en latin, l’amour de Dieu, de soi-même et son prochain). Elles constituent avec leurs déclinaisons laïques un réservoir pour formuler des vœux.
Il y a les voeux-devises. On aurait tort de considérer comme dépassée cette belle trilogie – Foi, Espérance, Charité – illustrée ici en 1841, il y a bientôt deux siècles. La figuration romantique est certes chargée et la représentation un peu convenue, mais le message ne saurait être considéré comme dépassé ou obsolète à l’égard d’autres devises, souvent triples, formulées en guise de voeux de nouvelle année. Étrange transfert technique qui fait ici qu’un émail sur lave est représenté par une gravure sur bois, en seul procédé d’illustration existant en pour imprimer les illustrations du Magasin pittoresque.
Après tout, nous sommes tous des descendants des survivants des grandes pandémies passées (peste, choléra, « grippe » espagnole et autres). L’idée d’une revanche du pangolin, malgré son approximation, est peut-être une réincarnation de la volonté divine qui s’impose aux hommes, une façon de dire que c’est la nature et la Création qui commandent : la nature se venge. Il est plus facile d’affirmer qu’un virus ne pense pas. Il est plus difficile de penser un virus.
CONCLUSIONS
- Les voeux de nouvelle année sont un exercice paradoxal. Tout mouvement qui vise à les territorialiser rencontre un mouvement inverse de déterritorialisation. « En politique, ce dont nous avons besoin, c’est d’hommes et de femmes de terrain ». Combien de fois entendons-nous cette phrase qui fait du terrain, de sa pratique et de l’expérience qu’il permet d’acquérir, une vertu cardinale, un critère de partage entre une bonne compétence et une mauvaise incompétence.
- L’anthropologie sociale, comme les autres disciplines des sciences humaines et sociales qui emploient des méthodes d’enquête semblables, enseignent deux choses essentielles sur la place que tout homme et toute femme occupe : premièrement, ils sont à la fois acteur et témoin du monde ; deuxièmement, leurs présences et leurs interventions modifient le champ social.
- L’intérêt des crises (la Covid est une crise) est de révéler ce qui demeure latent en période de non-crise. Est-ce le politique qui agit sur le citoyen, ou bien le citoyen qui agit sur le politique ? Qui subit l’autre ? Et qui est en position d’anticiper sur l’autre ?
Bernard MÉRIGOT
RÉFÉRENCES
1. DELEUZE Gilles, Différence et répétition, Presses universitaires de France, 1968, 409 p.
2. DELEUZE Gilles, p.7.
3. Libération, 24-25-26-27 décembre 2020.
4. CHARTON Édouard (Publié sous la direction de), Le Magasin pittoresque, 1841, Neuvième année, Paris, p. 316. Projet d’une peinture en émail sur lave par Achille DEVÉRIA (1800-1857). Extrait de « De l’application des émaux à la décoration des monuments », Magasin Pittoresque, 1841, p. 317.
« Cet article et celui de l’histoire des émaux de limoges sont extraits d’un essai de notre collaborateur M. DUSSIEUX sur l’Histoire de la peinture sur émail, essai qui vient d’obtenir une mention honorable à l’Institut, et qui doit être prochainement publié. » (p. 316)
LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS
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« Chaque année, le rossignol revêt des plumes neuves mais il garde sa chanson». Frédéric MISTRAL (1830-1914). Citation peinte sur un mur, face au musée des Arts et Traditions populaires de Draguignan (Var), 21 août 2020. © Photographie Bernard Mérigot/CAD.
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« Le bien public est fait du bonheur de chacun. Avec ces mots d’Albert Camus, la municipalité vous adresse ses meilleurs voeux pour 2021 ». Jean-Marc DEFRÉMONT, Maire de Savigny-sur-Orge ». Carte-dépliant format fermé 10 x 21 cm, p. 2 (Le format ouvert est de 10 x 42 cm). Les deux parties gauche et droite format 10,5 x 10 cm s’ouvrent pour laisser apparaître le texte « Bienvenue en 2011 ». Collection particulière.
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« La Foi, l’Espérance et la Charité ». Projet d’une peinture en émail sur lave par Achile DEVÉRIA (1800-1857). Extrait de « De l’application des émaux à la décoration des monuments », Magasin Pittoresque, 1841, p. 317. Coll. CAD.
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« Après 2020 et les temps difficiles… », Carte de voeux du maire de Savigny-sur-Orge (Essonne). Lycée Jean-Baptiste Corot (La pendule indique 17 heures 8 minutes). Carte-dépliant format fermé 10 x 21 cm, p. 1 (Le format ouvert est de 10 x 42 cm). Les deux parties gauche et droite format 10,5 x 10 cm s’ouvrent pour laisser apparaître le texte « Bienvenue en 2011 ». Collection particulière. La pendule indique 17 heures 8 minutes. Collection particulière.
VOEUX DE NOUVELLE ANNÉE/1er JANVIER EN LIGNE SUR http://savigny-avenir.info
DÉCENNIE 2020-2029
2021. Le message du rossignol (Frédéric Mistral, Gilles Deleuze, Albert Camus. Anthropologie des voeux de bonne année.
2020. La généralisation de l’éthique de la sollicitude, c’est pour cette année ? (Fredrich Nietzsche)
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Voeux pour 2020 de Bernard Mérigot. La généralisation de l’éthique de la sollicitude, c’est pour cette année ? (Friedrich Nietzsche) 1 janvier 2020 Qui adresse des voeux à qui ? Chacun est à la fois émetteur et destinataire de « voeux de bonne année ». Leurs échanges croisés constituent en ce début de XXIe siècle une pratique sociale qui est loin d’être évidente, … Continue reading Posted in Éthique de la sollicitude, FOESSEL Michaël, Je suis un autre, Nécessité des choses, NIETZSCHE Friedrich, Violence émeutière, Voeux de nouvel an, Voir le beau
DÉCENNIE 2010-2019
2019. « L’anthropologie politique doit avoir sa place dans l’espace public » (Friedrich Nietzsche)
2018. « Contre la fin du monde » (Paul Valéry et Jean-Claude Schmitt).
2017. « Qui s’y frotte, s’y pique » (Ne toquès mi, je poins)
2016. « L ‘événement n’est pas ce qu’on peut voir, mais ce qu’il devient ».
2015. « Paix, solidarités et espérances durables ».
2014. « Les nouvelles exigences du bonheur citoyen » (John Dewey)
2013. « La démocratie, c’est partout, et tout le temps » (Pierre Mendès-France)
2012. « Que nos pratiques correspondent à nos idéaux »
2011. « En finir avec l’exploitation des peurs et des humiliations »
2010. « Regarder l’année passée aussi bien que celle à venir »
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Voeux 2017 de Bernard Mérigot pour la nouvelle année. « Qui s’y frotte, s’y pique » (Ne toquès mi, je poins). Posted on 1 janvier 2017 by Bernard MÉRIGOT Le lion et les chardons « Qui s’y frotte, s’y pique » (Ne toquès mi, je poins). Devise des ducs de Lorraine. Emblème de l’Écosse. « Fleur de soleil » pour les Basques. Symbole de la douleur du Christ et de la Vierge. « Va-t-on … Continue reading →Posted in Voeux, Voeux de nouvel an |
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Voeux 2015 pour la nouvelle année. « Paix, solidarités et espérances durables ». Posted on 1 janvier 2015 by Bernard MÉRIGOT Fleurs au matin du 1er janvier 2015 Le givre de l’aurore a prolongé les pétales des fleurs. Le soleil naissant commence à faire fondre ses cristaux éphémères. © CAD/BM A l’occasion de chaque 1er janvier, nous faisons le bilan de … Continue reading → Posted in Voeux, Voeux de nouvel an |
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