LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°350 lundi 29 avril 2019
Charles MILCENDEAU nait en 1872 à Soullans, au coeur du Marais Breton vendéen. La majeure partie de son oeuvre de peintre est inspirée par les paysages et par les habitants de la région. Il décède en 1919. Un siècle après, l’année 2019 voit la commémoration du centenaire de sa mort par le Musée Charles Milcendeau de Soullans (1). C’est l’occasion de nous interroger à la fois sur le sens d’une commémoration centennale et sur le double va-et-vient entre un lieu et une oeuvre. Ceux-ci dépassent les explications fondées sur de simples «influences».
- Qu’est-ce que que ce lieu particulier, le Marais Breton Vendée, a apporté à l’artiste ?
- Qu’est-ce que l’artiste a apporté à cette même région ?
- Qu’apporte-t-il aujourd’hui, un siècle après sa mort ?
- Quels rapports la mémoire entretient-elle avec son oeuvre ?
- Quels seront ces rapports demain ?
Atelier reconstitué du peintre Charles MILCENDEAU (1872-1919).
Musée Charles Milcendeau à Soullans (Vendée), 2 mai 2013.
© Photographie Bernard Mérigot/CAD.
L’ACTEUR JOUE AU PEINTRE
Toute photographie in situ d’un musée est le témoignage d’un moment unique, la trace d’une visite réelle. C’est aussi un moment de l’histoire de la présentation au monde des collections conservées. Celle-ci relève de la muséographie, c’est-à-dire d’un dispositif – une mise en scène – qui ne consiste pas seulement de présenter des objets au présent, mais de les représenter au passé. Ce faisant, la logique s’inverse : représenter le présent pour présenter le passé.
- La photographie ci-dessus, prise en 2013, montre l’atelier de Charles MILCENDEAU tel qu’il était visible par le public. Deux tableaux, une maraîchine devant une bourrine et un autoportrait, le mobilier, la palette, la boîte à couleur, l’ombrelle… réalisent une mise en scène à la façon dont notamment Georges-Henri RIVIÈRE en a réalisé dans la seconde moitié du XXe siècle au Musée national des Arts et traditions populaires (MNATP) du Bois de Boulogne, aujourd’hui démantelé.
- En 2018, une nouvelle mise en scène est effectuée et reproduite par Vendée Tourisme, qui est l’Office départemental du Tourisme en Vendée. Cette fois, un acteur réel, « joue » Charles MILCENDEAU et marque ainsi de sa présence l’atelier du peintre. C’est un peintre « vivant ». Il effectue un croquis, « à la façon de » Charles MILCENDEAU, mais ce n’est pas Charles MILCENDEAU.
CET ÉTRANGE OBJET DU CENTENAIRE
Après tout, la commémoration qui intervient en 2019, cent ans après le décès du peintre Charles MILCENDEAU en 1919, pourrait jouir d’une totale liberté à l’égard de l’objet commémoré dans la mesure où aucune personne vivante n’est évidemment à-même de venir commenter, voire contester le contenu des dispositifs ou des propos d’aujourd’hui. Mais cette liberté n’est qu’une liberté d’apparence : elle supporte des contraintes qui impliquent que trois conditions préalables soient réunies :
- que l’on dispose d’un minimum de témoignages parvenus jusqu’à nous sur l’objet commémoré,
- que l’on soit à même d’en effectuer une lecture critique,
- que soit identifiée la vraie nature de l’objet centenaire, c’est-à-dire que soit explicitée la perspective de la commémoration.
Que commémore-t-on ? Un homme ? Une oeuvre ? Ou bien autre chose ? Et quoi donc ?
QU’EST-CE QU’UN « OBJET COMMÉMORÉ » ?
« Centenaire de… ». Il faut s’interroger sur cet « objet centenaire commémoré » , étrange objet qui n’est en rien un objet naturel. C’est un objet construit, socialement et culturellement. Il nous impose d’établir une relation entre deux moments séparés par cent années. Pourquoi le nombre « 100 » ? Certainement en application de la « Loi des chiffres ronds », porteur d’un effet symbolique puissant, voir magique, ainsi qu’un haut pouvoir mnémotechnique. Il est évident qu’il ne se passe rien de particulier cent ans après un évènement donné, une naissance, un décès, ou la publication d’un livre, sinon précisément la production même de son centenaire en provoquant un effet de sens. En fait, paradoxalement, c’est l’anniversaire qui constitue l’évènement de quelque chose qui à l’origine n’est rien. Rien, par rapport au sens dont on le charge aujourd’hui.
Le fait que l’objet commémoré soit chronologiquement antérieur au fait qui constitue l’objet de la commémoration ne permet aucunement d’établir une logique temporelle reconnaissant le premier comme cause, et le second comme effet. Parce que l’objet de la commémoration n’est pas l’objet commémoré, et que celui-ci entretient un rapport fantasmé avec lui. N’oublions pas que cent années se sont écoulées entre les deux et que l’objet présent n’est plus le même que l’objet passé : il a tout simplement changé du fait de l’évolution de son mode d’existence socio-culturelle et de la perception nouvelle que nous en avons présentement.
L’oeuvre d’un peintre qui est décédé dans une grande discrétion, voire dans une indifférence quasi générale, a t-elle quelque chose à voir avec les éloges qui lui sont adressés un siècle plus tard ? Certes un fil relie les deux. Mais on peut soutenir que la commémoration s’applique paradoxalement à un objet qui n’a jamais existé. Il n’y a pas de continuité dans la mémoire. Nous sommes ici confrontés à un «entre-deux», entre l’inexistant et l’oubli, entre la réalité et la fiction. Autant de conditions propices aux reconstructions, aux reconstitutions, aux réinventions.
VOYAGER DANS LE TEMPS
VOYAGER DANS LES LIEUX
Un musée est une institution culturelle vivante. Son projet, son nom, ses bâtiments, ses collections évoluent dans le temps. Il nait, il grandit, il vieilli, il se fait soigner. Et hélas, meurt parfois. Nous citions le Musée national des Arts et Traditions populaires de Paris. Il est né en 1937, il est devenu majeur (il a ouvert ses portes) en 1972, et il est mort en 2005. (Voir : SEGALEN Martine, Vie d’un Musée 1937-2005, Stock, 2005, 360 p.)
En 1976 la commune de Soullans acquiert l’ancienne propriété de Charles MILCENDEAU à Bois-Durand. Les peintures murales de la maison sont protégées en 1980 au titre de l’Inventaire des Monuments Historiques.
« Le Musée Milcendeau-Jean Yole est la propriété de la commune de Soullans. Son fonctionnement est pris en charge par la Communauté de communes du canton de Saint-Jean-de-Monts. Antenne de l’Écomusée de la Vendée, la structure est administrée par la Conservation départementale des Musées de Vendée. A ce titre, le musée est contrôlé par l’État. »
Le 27 mai 1982, le Musée Milcendeau-Jean Yole est inauguré.
En 1994, la première salle d’exposition est agrandie par la construction d’une nouvelle salle d’exposition, « organisée autour d’un patio rappelant l’Espagne où l’artiste a fait de nombreux séjours ». Les salles, par des baies vitrées sont ouvertes sur le marais qui entoure le musée « pour créer un lien avec les oeuvres de l’artiste qui font une large place aux paysages ». Le musée renferme plus d’une centaine d’œuvres de l’artiste issues de collections publiques et privées.
En 2013, le Musée est à nouveau agrandi et fait l’objet d’une nouvelle présentation des collections
LE MUSÉE
ET LE PROJET DE CENTENAIRE 2019
Les institutions évoluent. Les discours qu’elles tiennent également. Tout document édité par une institution constitue un moment de son histoire. Il est porteur d’éléments de langage : succession de phases : répétition de mots, « faits mis en avant », raccourcis, glissements, hypothèses, mais aussi de non-dits, silences… Des mots nouveaux apparaissent, des idées nouvelles aussi. Le document de présentation du centenaire est présenté ainsi :
« Niché au coeur du Marais breton vendéen, dans un bel écrin de verdure, le musée du peinte vous attend. Laissez-vous charmer par ce lieu où cet artiste vendéen a vécu. Un véritable voyage artistique ! »
« Formé par Gustave MOREAU à l’École nationale des Beaux-Arts aux côtés de MATISSE, MARQUET et ROUAULT avec lesquels ils se lie d’amitié, Charles MILCENDEAU est reconnu par les plus grands critiques et vivait de son art. Ses oeuvres sont exposées dans les plus grands musées en France et à l’étranger : au Musée d’Orsay à Paris, au Metropolitan Museum of Art (MOMA) de New York. »
« C’est à Soullans, sa commune natale, que vous pourrez découvrir plus de 80 oeuvres réalistes représentant la vie dans le marais et des paysages nourris de ces voyages en Espagne, en Corse, en Bretagne… »
« Le Musée Charles Milcendeau c’est :
- Le seul musée d’Art du Nord-Ouest Vendée.
- Un musée vivant qui propose des animations, des rencontres avec les créateurs/artistes et des ateliers.
- Une exposition permanente consacrée au peintre soullandais Charles Milcendeau (1872-1919).
- La maison de l’artiste qu’il transforme en oeuvre, ornée de peintures murales, inscrites à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques.
- Un cadre romantique avec un patio à l’esprit andalou et un jardin d’agrément.
« 2019 : année du centenaire de la mort du peintre Charles MILCENDEAU (1872-1919) ». Musée Charles Milcendeau, Soullans (Vendée), p. 1. Archives Groupe de Recherche du Marais Breton Vendéen / CAD.
« La maison authentique de Charles Milcendeau, lieu d’inspiration pour les artistes et créateurs ! En 1905, Charles Milcendeau s’installe au Bois-Durand dans une propriété composée d’une maison maraîchine et d’une bourrine lui servant d’atelier. Sa demeure inspire le peintre qui souhaite en faire un lieu de partage pour de nombreux artistes. De nos jours, ce lieu est devenu un musée qui offre toujours une ambiance feutrée et intimiste. Il accueille les créateurs et artistes qui partagent leurs savoir-faire ».
« L’année du centenaire. Cela fait 100 ans que Charles Milcendeau nous a légué son impressionnant héritage artistique. 2019 sera marqué par des évènements autour d’oeuvres inédites. Laissez-vous guider par l’artiste, réincarné à cette occasion, pour mêler son art à la musique. (2)
ITINÉRAIRE DU
« PEINTRE INÉGALÉ DU MARAIS VENDÉEN »
Charles MILCENDEAU naît à Soullans le 18 juillet 1872. Son père tient un commerce, à la fois auberge et bureau de tabac. Il fréquente l’école communale de Soullans. Pensionnaire à Challans (1885) puis au Lycée de La Roche-sur-Yon (1886), il entre à l’Institut Livet à Nantes (1888).
Il part à Paris pour y suivre les cours de l’Académie Julian (1891) où il rencontre le peintre Gustave MOREAU (1892) et est admis à l’École nationale des Beaux-Arts à Paris (1892).
A la mort de son père, Charles MILCENDEAU achète la propriété de Bois Durand composée de deux maisons basses. La première lui sert d’habitation, la seconde, plus modeste, est aménagée en atelier de peintre.
Il effectue des voyages dont il rapporte croquis, dessins, et tableaux : en Flandres, (1894), en Bretagne (1882, 1899) et surtout à Ledesma, en Espagne, en Andalousie, dans la région de Salamanque, où il séjourne régulièrement entre 1901 et 1909.
Charls MILCENDEAU a laissé un peu plus de mille oeuvres : peintures, dessins, gouaches, pastels, aquarelles…). Pour ne citer que trois oeuvres parmi les plus connues, citons Repas des maraîchins, La mère, Soir d’hiver au pays de Soullans.
On doit s’interroger sur la manifestation dans les années 1890-1894 de la vocation pour le dessin et la peinture chez Charles MILCENDEAU, jeune maraîchin de Soullans, fils d’un tenancier de café, âgé alors de douze ans. Une réponse sera formulée en 1933, quatorze ans après sa mort, dans une œuvre de fiction du romancier Marc ELDER (1884-1933). Originaire de Nantes, il a été distingué en 1913 par le prix Goncourt (pour roman Le Peuple de la mer). Il a laissé plusieurs témoignages sur Charles MILCENDEAU, soit en tant que critique d’art, conservateur du Musée de Nantes, soit en tant que romancier. C’est un grand écrivain dont l’écriture est fondée sur des informations précises, fruits d’enquêtes de terrain pertinentes.
Marc ELDER publie en 1933, l’année de sa propre mort, un roman La Bourrine qu’il dédie « A la mémoire de Charles Milcendeau, peintre inégalé du marais vendéen ». C’est sa dernière oeuvre, l’une des plus achevée. Le roman se déroule à Saint-Jean-de-Monts en 1928. Parmi les personnages, il y a un peintre qui s’appelle Blaise PERROT. Au travers du personnage de Monsieur Blaise, Marc ELDER raconte la naissance de la vocation de Charles MILCENDEAU pour le dessin et la peinture.
« A mesure que Blaise grandit, un étrange démon s’empara de sa personne, ses yeux s’ouvrirent : il avait le don de voir. Les formes, se dépouillant pour lui de leur complexité apparente, découvrirent les secrets de leur équilibre, leurs mystérieuses correspondances; la vie prit le sens indéfinissable et pathétique de l’art; la nature emprunta des voix. Il fallut bien obéir : le tyran intérieur ne se montrait pas d’humeur conciliante. Le garçon dessina, peignit, gagna Paris, voyagea. » (3)
ELDER Marc, La Bourrine, Ferenczi, Paris, 1933, p. 61.
LA PEINTURE EST UNE CHASSE
On a souligné le caractère tourmenté et tragique des paysages peints par Charles MILCENDEAU. Marc ELDER éclaire la démarche de l’artiste : loin d’être un peintre d’atelier, Charles MILCENDEAU est un peintre d’extérieur. Il décrit cet extérieur, partant l’hiver en yole dans le marais pour peindre, une activité qu’il compare à une chasse, tandis qu’un autre maraîchin de Soullans qui s’appelle Averty part de son côté chasser aux oies. Deux chasses cohabitent au même moment dans les mêmes lieux.
« Monsieur Blaise chassait aussi de son côté, mais armé de ses pinceaux, d’une toile, d’un carnet de croquis. Inlassablement, il poursuivait les phases tragiques de la torture hivernale qui convulsait le visage du marais. A toute heure du jour, sous le crachin, dans la brume, dans la bourrasque, on le voyait manier son bachot d’une poigne solide, en vrai maraîchin qui a poussé, comme un col-vert, un pied dans l’étang, l’autre dans la douve. Sa longue silhouette, aiguisée par un feutre en coup de vent, profilait sur la grisaille, à tout les points de l’horizon, son ombre aventurière. Il fallait un véritable déluge pour l’obliger à endosser une capote cirée ou à plier bagages. Sur le moindre bossis, au coin des ponceaux jetés entre les fermes et la chaussée, sur l’accotement des routes, il fixait son chevalet avec des pierres, des cordes et se mettait à peindre. L’immensité balayée, tordue, les cieux mélancoliques et blessés, la plainte du frêne, du tremble, de la bourrine lui donnait la fièvre. Son coeur vivait dans le drame. Parfois, les bras las d’émotion, il sentait des larmes inonder son visage, l’âme saisie de frissons insensés au contact de toutes ces âmes gémissantes qu’il était seul à percevoir dans la nature en détresse. » (4)
ELDER Marc, La Bourrine, Ferenczi, Paris, 1833, p. 138-139.
L’OBJET DES COMMÉMORATIONS
N’EST JAMAIS ÉVIDENT
Les commémorations centennales (centennale : qui a lieu tous les cent ans, qui embrasse une période de cent ans) sont des pratiques sociales. Comment, en ce début de XXIe siècle, les sciences sociales les pensent-elles ? On se souvient qu’en 1889 une série de commémorations nationales sont organisées pour le Bicentenaire de la Révolution française de 1789. Puis en 2014-2018, d’autres commémorations nationales du centenaire de la Guerre 1914-1918.
En 2014, un colloque international intitulé « Revisiter la commémoration. Pratique, usages et appropriations du Centenaire de la Grande guerre 1914-1918 » est organisé par l’université de Paris Nanterre et les Archives nationales. Les réflexions de ses organisateurs s’appliquent à toutes les commémorations lorsqu’ils relèvent que « Les travaux sur les commémorations s’appuient sur la croyance diffuse que les politiques de la mémoire produiraient des effets sur leurs publics ». Ils remarquent :
« On ne sait guère ce que les individus voient et font quand ils déambulent dans une exposition historique, quand ils participent à une cérémonie ou quand ils se rendent sur un site historique. ».
Ils posent une série de questions qui sont autant de remises en cause concernant l’évidence des commémorations centennales qui sont proposées comme des évènements évidents et légitimes. (5)
- Quels sens les visiteurs d’expositions, les auditeurs des discours et des publics de spectacle et de reconstitution historiques donnent-ils à leurs pratiques ?
- Que font-ils de ce qu’ils voient ?
- Par quels prismes nouent-t-ils une relation avec le passé ?
- Ces pratiques mettent-elles systématiquement en jeu des rapports à l’histoire ?
- Si on peut penser que ces expériences sont hétérogènes, peut-on établir des typologies raisonnées qui dégageraient des modes typiques d’appropriation de ces dispositifs ?
- Qui participe aux commémorations ? Dans quels contextes, avec qui et sous quelles formes ?
- A qui s’adresse la commémoration en termes, notamment, de genre et de catégories socio-professionnelles ?
- Quels sont les publics scolaires des commémorations, ce « jeune public », souvent captif, souvent considéré comme l’indicateur du « succès » ou de l’ « échec » de tel ou tel événement commémoratif.
Le complot. Le père Cadou et Pierritte Besseau, tableau de Charles Milcendeau. Couverture du Bulletin cantonal 1982 Pays de Monts (La Barre-de-Monts, Notre Dam-de-Monts, Saint-Jean-de-Monts, Le Perrier, Soullans, 11e édition, Saint-Jean-de-Monts, 1982, n.p. Ce numéro contient l’article de Francis RIBEMONT « A propos du Musée Milcendeau-Jean Yole ». Archives GRMBV / CAD. (6) (7)
POUR LE DEUXIÈME CENTENAIRE DE CHARLES MILCENDEAU
EN 2119
Le Marais Breton-vendéen, en tant que «pays» singulier, n’est ni un objet unitaire, ni un objet immuable. Il change, ses représentations changent, les perceptions que l’on en a changent, et les productions socio-culturelles qui le constitue agrègent et désagrègent en permanence les éléments composites qui lui donnent son existence. Il s’agit d’un objet technique au sens où l’entendait Gilbett SIMONDON. (8)
Objet pluriel qu’une une simple vision ne suffit pas à considérer en entier, il nécessite le croisement de deux regards, l’un qui vient de l’intérieur, l’autre de l’extérieur, produisant ainsi une double reconnaissance, l’une par ses habitants, l’autre par les «étrangers», qu’il s’agisse d’habitants de longue lignée généalogique (au moins l’année 1704 pour le premier ancêtre identifié de Charles MILCENDEAU), ou d’habitants temporaires, les touristes en constituant depuis les années 1960, une catégorie ciblée « prospectée, incitée, encouragée ».
Ce que l’on désigne sous le nom d’ « identité » d’un lieu, dont l’usage se révèle parfois si trompeur, est le résultat d’une lente construction, toujours remaniée, jamais achevée. Les érudits locaux, les romanciers, les peintres régionalistes en ont été les acteurs essentiels durant la première moitié du XXe siècle : ils ont à la fois observé et imaginé leur pays, le pays qui est « le leur ». En prononçant ce mots, et en l’écrivant, on ne peut pas s’empêcher d’entendre « le leurre », désignation d’un objet qui détourne l’attention et qui empêche de voir clairement autre chose. Façon de dire que le pays apparent est invisible sans la construction identitaire qui permet de le voir et de le dire.
Entre l’imagination et l’observation – qui va de l’observation imaginée à l’imagination observée – laquelle des deux est la plus forte ? Qui peut le dire sinon celui qui voit ce que les autres ne voient pas, qui en le conduit jusqu’à une représentation achevée et qui en garde la trace ? C’est à ce carrefour indécidable que se situe Charles MILCENDEAU.
L’oeuvre du peintre Charles MILCENDEAU constitue un des maillons de la chaîne identitaire du pays maraîchin et de ses habitants. Il a disparu au lendemain de la Première Guerre mondiale, dans le XXe siècle naissant. Son premier centenaire de 2019 s’ouvre dans le début du XXIe siècle, époque de l’Europe et du « monde mondialisé », marqué par l’ouverture de nouveaux lieux qui échappent aux formes de reconnaissances durables transmises jusqu’alors : déterritorialisations, non-lieux, hors-lieux, hétérotopies, migrances…
En ce début de XXIe siècle, les sites Internet, réseaux sociaux (Facebook…), photographies (Instagram…) et vidéos partagées (U Tube…) fabriquent de d’identité en ligne à flux continu. Les facebooqueurs, les selfistes, les instagrammeurs, les snapchatistes, les utubeurs, ou les twiteuristes... tous producteurs et créateurs – conscients et inconscients – de données traçables, datables, et localisables par la mémoire GPS, et donc algoritmables, c’est-dire commercialisables, et donc piratables à l’insu de leurs créateurs ?
Ce sont ces données qui permettent de plus en plus de tracer – c’est-à-dire de pouvoir suivre à la trace – bientôt la totalité des comportements individuels (Qui, Quoi, Quand, Où…?). Ce sont ces données algoritmées qui constituent désormais l’identité des lieux. A l’image de cette indication nouvelle figurant sur le dépliant du Musée Charles Milcendeau : « Longitude : 1° 54′ 33′. W. Latitude : 46° 46′ 43. 69′ N ». Peu importe où il se trouve : il n’y a plus qu’a entrer la donnée dans le GPS. Ne pas réfléchir par où on passe. A la limite, presque fermer les yeux. Ça y est, on est arrivé.
Dans les cent années qui nous séparent de 2019 à 2019, il n’y aura peut-être plus de peintres qui partiront « à la chasse » des paysages. Les selfies les auront remplacés. Mais il demeurera toujours des d’unités territoriales restreintes à l’égard desquelles continueront de se poser ces deux questions permanentes :
- Comment le lieu façonne l’homme ?
- Comment l’homme façonne le lieu ?
Avec toujours l’incertitude de confondre le lieu imaginaire avec le lieu réel, le personnage historique avec le personnage reconstitué.
Un centenaire porte sur le destin d’un corpus, d’une production constituée (écrits, peintures, enregistrements musicaux, archives…). Il ne porte pas sur des objets, mais sur la relation entretenue avec ces objets, avec leur trace. Cette relation n’est jamais fondée ni sur la continuité, ni sur une mémoire totale. Elle est faite de discontinuités, d’oublis, de redécouvertes, de réminiscences, de ruptures et de réconciliations. Elle est une confrontation avec la part irrémédiablement perdue d’une vie créatrice.
Les sollicitations de la marchandisation des lieux sont nombreuses. Appartenant au monde de la vie économique locale, de l’emploi et du développement touristique, celles-ci font pression pour constituer des objets de marquage territorial en se servant d’une relation imaginaire au lieu. La pente est forte et les bonnes raisons sont nombreuses.
Au nom de quoi s’opposer à ces nouveaux objets fabriqués, aux relations présentes qu’elles créent, ainsi qu’aux relations futures qu’elles cherchent à établir ? Peut-être en veillant à ce qu’elles ne se fondent pas sur des reconstitutions culturelles de ce qui n’est plus, qui s’avéreraient anachroniques à l’égard d’un passé authentique. Mais qui peut dire l’authenticité ? Le paradoxe est qu’un passé, même réinventé au présent, constitue un nouveau passé pour les temps futurs.
Alors, anticipons un instant pour affirmer que les années 2019-2119 seront décisives. Ce sera le second centenaire de la mort de Charles MILCENDEAU qui nous révèlera en 2019 le destin des constructions sociales qui établiront – où n’établiront pas – les relations oubliées, réinventées ou réappropriées entre le peintre et le lieu, entre ce peintre et ce lieu. Aucun autre peintre. aucun autre lieu.
RÉFÉRENCES
1. Musée Charles Milcendeau, peintre voyageur, 84 Chemin du Bois-Durand, 85300 SOULLANS, 02 51 35 03 84, http://musee-milceandeau.fr/
2. Musée Charles Milcendeau, Soullans (Vendée), « 2019 : année du centenaire de la mort du peintre Charles MILCENDEAU (1872-1919) », p. 1
3. ELDER Marc, La Bourrine, Ferenczi, Paris, 1933, p. 61.
4. ELDER Marc, La Bourrine, Ferenczi, Paris, 1833, p. 138-139.
5. Revisiter la commémoration. Pratiques, usages et appropriations du Centenaire de la Grande Guerre (Revisiting Commemoration), Colloque international, 24-25 mars 2016, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Archives Nationales, Paris. https://calenda.org/344561
Comité d’organisation : Sylvain Antichan (Labex PasP), Isabelle Chave (Archives Nationales), Sarah Gensburger (CNRS -ISP), Benjamin Gilles (BDIC), Rosine Lheureux (Archives Nationales), Jeanne Teboul (Labex PasP), Valérie Tesnière (BDIC), Sofia Tchouikina (Université Paris Saint Denis).
6. CONSEIL GÉNÉRAL DE LA VENDÉE (Écomusée de la Vendée), Musée Milcendeau Jean Yole, Bois-Durand, Soullans, La Roche-sur-Yon, Conseil général de la Vendée, 64 p. Préface de Jean Crochet, Conseiller général, Maire de Soullans. ISBN 2-908017-20-2
« Le Musée Milcendeau-Jean Yole est la propriété de la commune de Soullans. Son fonctionnement est pris en charge par la Communauté de communes du canton de Saint-Jean-de-Monts. Antenne de l’Écomusée de la Vendée, la structure est administrée par la Conservation départementale des Musées de Vendée. A ce titre, le musée est contrôlé par l’État. »
7. VITAL Christophe, Le Groupe de Saint-Jean-de-Monts. Deux générations d’artistes dans le marais vendéen, 1892-1950, Somogy Éditions d’Art, 2000, 216 p. ISBN 2-85056-299-4
Voir le chapitre II : « Charles Milcendeau et le « pays maraîchin », p. 36-47.
8. SIMONDON Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, Aubier, 1958.
Il faut s’interroger sur la place majeure que les anniversaires, les commémorations et les hommages occupent dans l’actualité médiatique, dans la culture, dans la société, et donc dans l’enseignement. Pierre NORA faisait la réflexion suivante en 1999 : « Du colloque à l’exposition rétrospective, du catalogue à l’édition exhumatrice, l’anniversaire est devenu la pierre d’angle de tout programme de travail intellectuel ». On pense moins en moins en dehors de toute contrainte de calendrier, on fête de façon précipitée des anniversaires : anniversaires de naissance, de décès, d’une publication, d’un évènement historique.
NORA Pierre, « Métamorphoses de la Commémoration », Célébrations nationales 2000, Paris, Direction des Archives de France, 1999.
Autres sources :
« Maison Milcendeau », Commune de Soullans, Bulletin municipal, n°3, 1980.
« Exposition Jean Yole. Inauguration », Commune de Soullans, Bulletin municipal, n°4, 1980.
« Maison Milcendeau », Commune de Soullans, Bulletin municipal, n°5, 1981.
https://docplayer.fr/40980327-Exposition-temporaire-charles-milcendeau-le-maitre-des-regards-lecture-d-oeuvre-mode-d-emploi.html
LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS
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Atelier reconstitué du peintre Charles MILCENDEAU (1872-1919). Musée Charles Milcendeau à Soullans (Vendée), 2 mai 2013. © Photographie Bernard Mérigot/CAD.
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« Musée Charles Milcendeau, peintre voyageur », Collection 2019, Fiche n°15, Vendée Tourisme, format 10 x 12 cm, recto-verso. Collection GRMBV / CAD.
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« 2019 : année du centenaire de la mort du peintre Charles MILCENDEAU (1872-1919) ». Musée Charles Milcendeau, Soullans (Vendée), p. 1. Dépliant format 21 x 9,9 cm, 4 p. Conception graphique Service communication de la Communauté de communes Océan Marais de Monts, 2019. Archives Groupe de Recherche du Marais Breton Vendéen / CAD.
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« 2019 : année du centenaire de la mort du peintre Charles MILCENDEAU (1872-1919) ». Musée Charles Milcendeau, Soullans (Vendée), p. 2-3. Archives Groupe de Recherche du Marais Breton Vendéen / CAD.
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Le complot. Le père Cadou et Pierritte Besseau, tableau de Charles Milcendeau. Couverture du Bulletin cantonal 1982 Pays de Monts (La Barre-de-Monts, Notre Dam-de-Monts, Saint-Jean-de-Monts, Le Perrier, Soullans, 11e édition, Saint-Jean-de-Monts, 1982, n.p. Ce numéro contient l’article de Francis RIBEMONT « A propos du Musée Milcendeau-Jean Yole ». Archives GRMBV / CAD. (6) (7)
DOCUMENT
GÉNÉALOGIE DE CHARLES MILCENDEAU
(1872-1919)
Un des ancêtres de Charles MILCENDEAU, est né le 17 mai 1704, à Soullans. Il se nomme Jacques MILSENDEAU. La graphie de son patronyme évoluera de MILSENDEAU à MILCENDEAU à partir de l’acte de naissance de Pierre MILCENDEAU le 24 décembre 1772.
NB. Les indications ci-dessous sont données sous toutes réserves et méritent d’être vérifiées et complétées. Nous ferons figurer toute correction qui nous sera adressée à la la fin de l’article en Commentaire.
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Jacques MILSENDEAU
+ 17/05/1704 à Soullans
époux de Jeanne GUILBAUD
+ 21/08/1700 à Soullans, à l’age de 68 ans
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Jacques MILSENDEAU
+ 1/02/1711, à Soullans, à 35 ans
époux de Françoise FORTIN, née le 10 O2/1675
+ 24/09/1749, à Soullans à 75 ans
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Jacques MILSENDEAU
né le 28/12/1704 à Soullans
épouse le 28/08/1731 à Soullans Marie BESSEAU, née le 06/04/1707 à Soullans
+ 07/02/1761, à Soullans à 52 ans
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Jacques MILSENDEAU
né le 03/04/1738 à Soullans
+ dans le courant de l’an III
marié le 19/02/1770 à Soullans à Marie FORTIN
+ dans le courant de l’an III
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Pierre MILCENDEAU
né le 24/12/1772 à Soullans
marié le 18/07/1810 au Perrier à Marie-Jeanne BONNIN
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Pierre-Guillaume MILCENDEAU
né le 09/04/1811 au Perrier
marié le 10/01/1838 (cordonnier) à Challans à Louise-Rose NAULLEAU (Tailleuse) née le 19/11/1812, au Perrier
+ 05/06/1889 (Propiétaire) à Soullans
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Charles, Clément, Narcisse MILCENDEAU
née le 19/11/1812 à Soullans
marié le 22/07/1868 à Challans (Propriétaire)
+ 1904 à Croix-de-Vie
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Charles, Edmond, Théodore MILCENDEAU, Artiste peintre
né le 18/07/1872 à Soullans (parents : aubergistes)
marié le 04/11/1909 à Marguerite BONNOR, née le à d’Eurville (Haute-Marne) décédée au Perrier (Tailleuse)
+ 01/04/1919 à Soullans
DOCUMENT
IL Y A 100 ANS MOURAIT CHARLES MILCENDEAU
(1919-2019)
Jean-Michel Rouillé, maire de Soullans, André Ricolleau, président de Océan-Marais-de-Monts et Annie Josse, responsable des sites patrimoniaux de la communauté de communes.
Le 1er avril 1919 le peintre soullandais s’éteignait à l’âge de 47 ans, emporté par la maladie. La commune et la communauté de communes veulent lui rendre hommage cette année.
En ce lundi 1er avril, la commune de Soullans voulait honorer celui qui, comme le dit André Ricolleau, le président de la communauté de communes, « a eu du mal à être reconnu par ses concitoyens de son vivant, et qui est sans doute aujourd’hui le Soullandais le plus célèbre ». Jean-Michel Rouillé, maire de Soullans confirme : « Milcendeau est associé à Soullans, et réciproquement. On ne peut que féliciter nos prédécesseurs qui ont racheté la propriété du Bois-Durand en 1970, et enclencher la démarche pour transformer la maison du peintre en un musée. »
Cinq temps forts marqueront le centenaire de la disparition de Charles Micendeau. Il y aura d’abord la Century party, une soirée festive lors de la nuit des musées, le samedi 18 mai, de 18 h 30 à 23 h 30. Ce soir-là, le peintre pourrait bien hanter les lieux, ou du moins un de ses sosies. Puis, le soir de la fête de la musique le 21 juin, les écoles de musique du Pays de Monts, de Challans et de Saint-Hilaire-de-Riez entraîneront les visiteurs dans une visite concert, à partir de 20h30.
De la Bretagne à la Corse
Au cours de l’été, deux soirées célébreront la mémoire du peintre soullandais. Le groupe breton Barba Loutig donnera un concert lundi 15 juillet. Les habitants de la commune et des communes voisines pourront y assister, pour la modique somme de 5 €. Lundi 12 août ce sera le tour du pays basque, avec le groupe Vox Bigerri.
Annie Josse précise : « Milcendeau, peintre voyageur, a été passionné par l’Espagne, ces deux régions et la Corse, ce sera pour nous une façon de faire découvrir ces univers qui l’ont fasciné. » Tous les mardis à 20 h 30 du 9 juillet au 20 août, Charles Milcendeau, le descendant de l’illustre artiste, vous invite à des nocturnes insolites, des visites originales et animées. (Entrée à partir de 4 €)
Le bouquet final du centenaire aura lieu dans le cadre des journées européennes du patrimoine, le samedi 21 et le dimanche 22 septembre. Ce jour-là, le musée du Bois-Durand sera d’ailleurs une étape des cyclistes de Vélocéane.
Annie Josse invite les visiteurs à découvrir « des tableaux de collections privées, de Soullandais ou d’ailleurs, qui s’intégreront dans les deux salles du musée ».
RÉFÉRENCE DU DOCUMENT
« Soullans. Il y a 100 ans mourait Charles Milcendeau, Ouest-France, 2 avril 2019.
La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°350, lundi 29 avril 2019