LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°346, lundi 1er avril 2019
Les hommes politiques ont un formidable désir d’ « être présents au monde » et de communiquer. Ils s’emparent de tous les moyens susceptibles, selon eux et selon leurs conseillers, qui sont de nature à valoriser leur image, et par là, leur assurer de futurs succès électoraux. Existe-il une part d’authenticité dans les actes qu’ils produisent dans l’espace public, à une époque où le cinéma, la télévision, et les réseaux sociaux imposent à tous, partout et de façon constante, des modèles d’attitudes et de langages ? De quel « vouloir être » ces postures construites, fabriquées consciemment sont-elles l’expression ? En voulant paraître sincères, ne sont-elles pas une véritable façon de mentir ? De quelle vérités sont elles alors révélatrices ?
« TOUT FUT EXPLIQUÉ »
Pour répondre à la question que nous posons, la lecture des Maximes et pensées (1795) de Sébastien Roch Nicolas CHAMFORT (1741-1794) nous est précieuse. Le moraliste rapporte qu’un jour, le Contrôleur général des finances présenta à Louis XV un projet de Cour plénière que le Roi devait présider. « Tout fut réglé entre le roi, madame de POMPADOUR et les ministres » écrit CHAMFORT. « On dicta au Roi les réponses qu’il ferait au Premier président. Tout fut expliqué dans un mémoire dans lequel on disait : Ici le Roi prendra un air sévère, ici, le front du Roi s’adoucira ; ici, le Roi fera tel geste ». Chamfort termine en précisant : « Le mémoire existe ». (Pensée n°693)
VALORISER L’EXERCICE DU POUVOIR
Ainsi donc, Louis XV était déjà entouré, avant l’heure, de « conseillers en communication », collaborateurs zélés qui mettaient en scène paroles et attitudes du Roi. On peut considérer que de tout temps l’entourage des princes a cherché à valoriser l’exercice du pouvoir auquel ils participaient et que rien, dans ce domaine, n’a été inventé par le monde moderne. En revanche, ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est le problème moral qui se pose : quelqu’un qui exerce un pouvoir a-t-il le droit de prononcer des paroles qu’il ne pense pas, ou bien de feindre des sentiments qu’il ne ressent pas ?
DISTANCE ET FAMILIARITÉ
S’il n’est plus concevable aujourd’hui que les élus de la République soient inaccessibles, il n’est pas concevable non plus qu’ils affichent une fausse familiarité à l’égard de leurs électeurs. Que penser d’un homme politique qui se mettrait à embrasser toutes ses électrices et leurs enfants, ou bien encore à tutoyer et à passer la main dans le dos de ses administrés ? La vraie politesse de l’élu est dans la juste mesure entre la distance et la familiarité. Son élection, si elle lui a conféré pour un temps l’exercice de certaines fonctions, ne lui a pas donné de droits particuliers, mais des devoirs : on est plus exigeant à l’égard d’un élu que de toute autre personne.
L’ÊTRE ET LE PARAÎTRE
Les hommes politiques déploient de coûteux efforts – coûteux pour les finances publiques – pour se fabriquer ce qu’ils considèrent comme une « bonne » image auprès des électeurs. Cette image fabriquée se révèle, dans les faits, particulièrement fragile lorsqu’elle est confrontée à la réalité des hommes et des évènements : le bon sens gouverne en définitive davantage les esprits qu’on ne le pense. Comme l’écrivait CHAMFORT,« Dans les grandes choses, les hommes se montrent comme il leur convient de se montrer ; dans les petites, ils se montrent comme ils sont. »
RÉFÉRENCES
CHAMFORT Nicolas, « Pensée n°693 », Maximes et pensées (1795).
LÉGENDE DES ILLUSTRATIONS
- Heurtoir de porte, ou « la main sur la porte qui s’offre à la main du visiteur ». Les Arcs-sur-Argens (Var), 30 décembre 2017. © Photographie Bernard Mérigot/CAD, 2017.
La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°346, lundi 1er avril 2019
COMMENTAIRE du 3 avril 2019
Le texte que l’on peut lire ci-dessus a été publié sur Internet a 4 h du matin du lundi 1er avril 2019. Dans la journée, le débat sur l’usage du mensonge dans l’espace public de la politique a connu une actualité soudaine lorsqu’il a été révélé que le président de la République Emmanuel MACRON venait de nommer Mme. Sibeth NDIAYE au poste de Porte-parole de l’Élysée. En effet celle-ci, alors qu’elle était conseillère à la Présidence de la République, avait publié le 15 juillet 2017 un Tweet dont le contenu était le suivant : «J’assume pleinement de mentir».
Les aveux de mensonge sont rares de la part des acteurs de la vie politique. Dans le cas présent, l’intéressée a déclaré que sa phrase avait été «sortie de son contexte» et qu’elle voulait dire qu’elle reconnaissait pratiquer consciemment le mensonge «pour protéger la vie privée du président».
Qu’est-ce qui est du domaine de la vie publique d’un président de la République ? Qu’est-ce qui est du domaine de la vie privée ? Le problème est qu’à partir du moment où Emmanuel MACRON est devenu président, il a perdu toute vie privée, celle-ci est devenue publique. La preuve : il la met lui-même en scène dans les médias et les magazines people.
Frédéric MAS y voit une victoire du sophiste Thrasymaque. « L’interlocuteur de Socrate dans La République de Platon, agacé par les questions du philosophe sur la justice, lui explique tout simplement que « le juste n’est rien d’autre que l’intérêt du plus fort ». En d’autres termes, celui qui a le pouvoir dicte ses conditions, il juge de ce qui est autorisé ou non, peu lui importe la vérité ». L’auteur conclut que l’ère de la post-vérité est celle où pouvoir apparaît avec ses relations de dominations, dans toute leur crudité. « Peu importe que vous ayez tort ou raison, ce qui compte désormais, c’est si vous êtes du côté du manche ou de l’enclume. »
VOIR L’ARTICLE :
MAS Frédéric, « Nomination de Sibeth Ndiaye : Macron, président de la post-vérité ? », Contrepoint,3 avril 2019. https://www.contrepoints.org/2019/04/03/340703-nomination-de-sibeth-ndiaye-macron-president-de-la-post-verite
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Références du présent article : http://www.savigny-avenir.fr/2019/04/01/quel-doit-etre-le-comportement-dun-elu-en-public-nicolas-chamfort/