Comment préserver les principes démocratiques du débat public ? (CNDP, ICPC)

La Commission nationale du débat public (CNDP) et sa présidente Chantal JOUANO ont été mis en cause à l’occasion de la préparation du « Grand débat national » décidé par Emmanuel MACRON en janvier 2019. Face à ces attaques, l’Institut de la Concertation et de la Participation Citoyenne (ICPC), ses administrateurs, ses membres et ses partenaires ont affirmé leur attachement à l’indépendance et aux principes du débat public dans un texte daté du 16 janvier 2019. Bernard MÉRIGOT, président de Mieux Aborder L’Avenir, membre de l’ICPC, est l’un de ses signataires. (1)

Intervention de Loïc BLONDIAUX lors du colloque international « Le citoyen et la décision publique » organisé par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), 16 juin 2014, La Villette, Paris. © Photographie Bernard Mérigot /CAD.

LE DÉBAT PUBLIC,
OBJET DÉMOCRATIQUE NON IDENTIFIÉ

En matière de débat public, quel est à ce jour le bilan de ce que les institutions de la République ont effectivement mis en place ? Le colloque international  « Le citoyen et la décision publique », qui avait été organisé le 16 juin 2014 par la Commission nationale du débat public à La Villette à Paris, avait procédé à un inventaire et avait tracé les perspectives d’avenir. Le colloque passé, les pouvoirs publics s’empressèrent d’oublier les analyses et les propositions qui avaient été faites. (2)

Nous reviendrons dans un prochain article sur cet objet démocratique non identifié (ODNI) qu’est le « débat public » : depuis les attentes citoyennes, en passant par les promesses politiques, jusqu’aux instrumentalisations dont il est l’objet aujourd’hui.

Dans les années 2000, c’est-à-dire au tournant du siècle, de nouvelles demandes sociales et politiques se sont exprimées. Il n’y a pas été répondu, sinon par la procrastination parsemée de quelques mesures d’apparence.

En ce qui concerne les appels pour une nouvelle constitution, et une VIe République, ils n’ont pas été entendus.  « Nuit debout » (mars – mai 2016) a été un premier signe. Les « Gilets jaunes » (depuis novembre 2018) en sont un nouveau signe.

Aujourd’hui, l’urgence demeure, plus que jamais, avec cette question : comment préserver au sein d’une démocratie (qui est toujours théorique) les principes (qui doivent être nécessairement pratiques) du débat public, du débat citoyen, du débat local ?

« L’Espace du Débat. Tout foutre en l’air ? » est le titre d’une exposition qui s’est tenue du 6 avril au 7 mai 2017 au Pavillon de l’Arsenal à Paris. © Photographie Bernard Mérigot / CAD.

DÉBATTRE OU TOUT FOUTRE EN L’AIR ?

Les artistes et les chercheurs (peintres, architectes, universitaires…) expriment souvent de façon prémonitoire ce qui est latent dans la société. Au moment de la campagne de l’élection présidentielle de 2017, à l’issue de laquelle Emmanuel MACRON sera élu au second tour, une exposition se tient au Pavillon de l’Arsenal à Paris. Elle s’intitule « L’Espace du Débat. Tout foutre en l’air ? ».

Elle se présentait de la façon suivante :

 « À l’occasion des élections, BAOBAB Dealer d’Espaces a investi le Pavillon de l’Arsenal à Paris pour une exposition qui interroge les formes et les rôles du débat d’idées, à l’heure d’Internet et des soulèvements citoyens.

En s’inspirant de configurations spatiales typiques, l’exposition illustre les nouvelles manières d’échanger : positionnement des corps, temps et signes de la prise de parole, symbole des lieux investis. Chacun s’approche, s’agrippe et s’engueule dans un conflit devenu nécessaire puisqu’il  « est déjà la résolution des tensions entre les contraires », entre les hommes et dans la ville.

Partant de la question « Faut-il tout foutre en l’air ? » une vingtaine de contributions artistiques inédites pèsent les mots, investissent de nouveaux lieux d’expression, colportent des textes ordinaires, exposent les réseaux de dialogues souterrains…

À travers l’exposition, émerge l’hypothèse qu’en s’inspirant de la diversité des lieux de débat existants, il sera possible de revivifier les institutions démocratiques, quitte à les secouer ! Avec le cycle de débat s’ouvre la question de savoir pourquoi, où et comment construire des espaces communs d’échanges contradictoires ». (3)

La résonance entre la lecture de ce texte écrit en 2017 avant E.M, et lu en 1919, après E.M. (4) est singulière : « soulèvements citoyens », « conflits devenus nécessaires », « tensions entre les contraires », « réseaux de dialogues souterrains », « revivifier les institutions démocratiques », « cycle de débat ».

Nous retiendrons la fin du texte qui évoque « la question de savoir pourquoi, où et comment construire des espaces communs d’échanges contradictoires ». Nous lui adjoindrons une autre question : la construction d’espaces communs d’échanges contradictoires peuvent-ils résoudre les tensions, les conflits et les soulèvements qui sont nés d’un déficit démocratique ?

RÉFÉRENCES

1. INSTITUT DE LA CONCERTATION ET DE LA PARTICIPATION CITOYENNE (ICPC), « Grand débat 2019 : les principes de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) sont une ressource toujours valable et une chance », 16 janvier 2019,
« Les principes de la CNDP restent une ressource valable et une chance », L’Obs, 17 janvier 2019.

2. « Le citoyen et la décision publique », colloque international organisé par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), 16 juin 2014, La Villette, Paris.

3. Centre d’information, de Documentation et d’Exposition d’Urbanisme et d’Architecture de Paris et de la Métropole parisienne, Pavillon de l’Arsenal, 21 boulevard Morland, 75004 PARIS. http://www.pavillon-arsenal.com/Fr/Expositions/10708-Lespace-Du-Debat.Html

4. Avant E.M. : Avant Emmanuel MACRON (année 2017).
Après E.M. : Après Emmanuel MACRON (année 2017).

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • Intervention de Loïc BLONDIAUX lors du colloque international « Le citoyen et la décision publique » organisé par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), 16 juin 2014, La Villette, Paris. © Photographie Bernard Mérigot.
  • « L’Espace du Débat. Tout foutre en l’air ? » est le titre d’une exposition qui s’est tenue du 6 avril au 7 mai 2017 au Pavillon de l’Arsenal à Paris. © Photographie Bernard Mérigot / CAD.
    Centre d’information, de Documentation et d’Exposition d’Urbanisme et d’Architecture de Paris et de la Métropole parisienne, Pavillon de l’Arsenal, 21 boulevard Morland, 75004 PARIS. http://www.pavillon-arsenal.com/Fr/Expositions/10708-Lespace-Du-Debat.Html


DOCUMENT

LE « GRAND DEBAT » 2019
Les principes de la CNDP
sont une ressource toujours valable et une chance

L’organisation du grand débat national ne sera pas assurée par la Commission Nationale du Débat Public. (CNDP).
Sollicitée par le Premier Ministre, cette autorité administrative indépendante, créée en 1995 et renforcée en 2002 et 2016, est la référence en matière d’organisation de débats sur l’ensemble des grands projets d’aménagement dans notre pays.
  • Elle est chargée de faire appliquer un droit constitutionnel, celui pour tout citoyen de participer à l’élaboration des décisions publiques (art. 7 de la Charte constitutionnelle de l’environnement).
  • Elle est un cas presque unique au monde : celui où une démocratie mature est capable de se doter de tiers neutres pour susciter la participation de tous aux choix publics et prévenir les conflits.
  • Elle est pour cela une source d’inspiration dans de nombreux pays.
La CNDP a fait la preuve de son utilité en organisant de nombreux débats, principalement autour de projets d’aménagement, plus récemment autour de politiques publiques nationales. Elle organise les débats sur la base de trois principes qui en garantissent la qualité démocratique : la transparence des échanges et de l’information, l’obligation d’argumenter toutes les positions et enfin l’égalité de traitement entre tous les acteurs quels qu’ils soient : citoyen, représentant syndical ou associatif, élu, chef d’entreprise, etc.
Elle tire de ces débats des comptes rendus et des bilans qui sont salués pour leur qualité au regard de ces principes. C’est sur la base de ces comptes rendus, de ce matériau qui contient la variété et la richesse des différents points de vue et propositions, que les décisions publiques doivent ensuite être motivées.
Cette expérience, autant que les textes de loi, ont fait de la CNDP une référence dans le débat sur la démocratie participative au cours des dernières années. La CNDP a, en particulier, défendu auprès de nombreux acteurs de la société française, qu’ils soient publics ou privés, le fait que la participation des citoyens à la décision publique contribue à l’intérêt général.
Les praticiens de la participation, au sein des collectivités, des associations ou des entreprises maîtres d’ouvrage, se réfèrent à la CNDP pour porter les exigences démocratiques à toutes les échelles de notre vie publique.
Mais le combat n’est pas encore gagné. Le chemin n’est pas facile car il suppose une évolution de nos pratiques, nos habitudes et références. Certains continuent de penser que la mise en discussion des choix publics doit rester l’affaire des seuls experts ou des décideurs publics ou privés. Or, l’actualité nous montre tous les jours que les citoyens demandent à être entendus et sont en capacité d’apporter une contribution utile aux discussions sur les choix publics. Il faut pour cela que les débats soient préparés, structurés, organisés, valorisés. Il faut qu’ils soient conduits par des animateurs neutres qui n’interviennent pas sur le fond mais qui s’en font l’écho en toute indépendance. Il faut encourager l’expertise pluraliste et l’étude sérieuse des solutions alternatives portées par la société civile. Il faut mettre en place une véritable ingénierie du débat et la CNDP y apporte une contribution significative.
Il faut surtout que ces débats soient effectivement pris en compte par les décideurs : tous les citoyens savent que c’est aujourd’hui leur principale carence. Ce n’est pas le fait de la CNDP mais d’un manque dans la manière de concevoir la décision. Il faut rendre évidente la manière dont il va être tenu compte de cette participation afin d’éviter que l’on puisse dire que la contribution des participants ne sert à rien. Le mode d’emploi n’est pas simple mais il existe des clés. Il ne suffit pas de décider ; il faut décider au regard de la concertation. C’est précisément le défi auquel la présidente de la CNDP, Chantal Jouanno, s’est attelée depuis sa prise de fonction.
En affichant clairement les conditions au prix desquelles le grand débat pouvait être producteur d’une démarche démocratique et permettre la participation de tous, Chantal Jouanno a porté haut la mission de l’institution qu’elle préside. La question du salaire des hauts fonctionnaires ou autres dirigeants, légitime et qui doit être ouverte, ne doit pas occulter d’autres enjeux. On voit bien qu’elle pourrait atteindre l’institution et les valeurs démocratiques qu’elle porte. Pour nous, les remises en causes dont fait l’objet la CNDP à propos du débat national ne sont pas recevables. Tout comme nous avons besoin d’institutions indépendantes du pouvoir dans d’autres domaines, celui de la justice par exemple, il est nécessaire qu’en matière de débat public, la CNDP soit à l’abri de toute pression.
Nous avons besoin d’institutions du débat, compétentes, indépendantes, soucieuses de porter la parole des citoyens, capables de s’affirmer face aux décideurs publics. Nous espérons que ce message sera entendu par les autorités qui prennent à présent la démarche en main, afin qu’elles mettent en place des garanties, indispensables à une confiance minimale des Français-e-s envers ce débat, qui reste une opportunité unique de débattre d’un projet de société et d’un nouveau pacte social. Les principes promus par la CNDP, même en son absence, restent une chance pour ce débat.
Au-delà, nous espérons que la CNDP et l’amélioration de la participation démocratique qu’elle incarne, sera plus largement écoutée par les décideurs publics et privés et sollicitée par les citoyens eux-mêmes.
Etienne BALLAN, Sylvie BARNEZET,  Christophe BEUROIS, Loïc BLONDIAUX, Hélène CAUCHOIX, Judith FERRANDO , Aline GUERIN, Pierre-Yves GUIHENEUF, Pascal JARRY, Clément MABI, Damien MOUCHAGUE, Emeline PERRIN, David PROTHAIS et Gilles-Laurent RAYSSAC, administrateurs et animateurs de l’Institut de la Concertation et de la Participation Citoyenne.
Liste des premiers signataires (au 23 janvier 2019)
Marion ROTH, directrice de Décider Ensemble
Jean-Michel FOURNIAU, Président du Groupement d’intérêt scientifique Démocratie et Participation
Armel LE COZ, Co-fondateur de Démocratie Ouverte
Mathilde IMER, co-Présidente de Démocratie Ouverte
Julie MAUREL
Serge ZETLAOUI, universitaire
Maxime SOURDIN
Charlotte ZUCKMEYER, consultante chez Scopic
Bernard MERIGOT, Territoires et Démocratie Numérique Locale (TDNL).
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