L’établissement public territorial Plaine Commune «territoire d’expérimentation du revenu contributif» (Patrick Braouezec, Bernard Stiegler)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°231, lundi 16 janvier 2017

Patrick BRAOUEZEC, président de Plaine Commune, établisement public territorial de Seine Saint-Denis, et le philosophe Bernard STIEGLER, initient depuis 2014 un projet d’expérimentation inédit et ambitieux : faire de ce territoire jeune et économiquement dynamique, mais confronté au chômage de masse et aux défis de la mixité sociale et culturelle, un « territoire apprenant contributif ».
Ils ont présenté publiquement ce mercredi 11 janvier 2017 les projets de recherche-action contributive qui y sont menés
(1). Ceux-ci, incluent élus, fonctionnaires territoriaux, universitaires, chercheurs, entreprises, associations et habitants. Leur l’objectif est de mettre en place à terme, un revenu contributif pour partager différemment la richesse à l’heure où l’automatisation fait vaciller l’emploi.

Programme « Territoire apprenant contributif », Conférence de presse sur le revenu contributif, Territoire apprenant contributif. De gauche à droite : Alain BERTHO, Bernard STIEGLER, Patrick BRAOUEZEC, mercredi 11 janvier 2017, Établissement public territorial Plaine Commune, Saint-Denis. ©  Photo CAD / BM 2017

ANTICIPER LES TRANSFORMATION
LIÉES AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES

A la suite d’échanges entre Patrick BRAOUEZEC et Bernard STIEGLER qui ont eu lieu en 2014, les premières actions de Territoires apprenant numérique (APN) ont été lancées par Plaine Commune au printemps 2015. Leur buts est d’anticiper les transformations liées aux nouvelles technologies.

Au terme d’une première année de débats, de séminaires et de rencontres, trois ministres (le ministre de l’Économie, le Secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et à la recherche et le Sectaire d’État à la réforme de l’État) ont adressé conjointement le 2 mai 2016 une lettre de mission au président de Plaine Commune le 2 mai 2016. (2)

Bernard STIEGLER . Conférence de presse sur le revenu contributif, mercredi 11 janvier 2017, Établissement public territorial Plaine Commune, Saint-Denis. ©  Photo CAD / BM 2017
  • Ils valident le fait que la révolution numérique nécessite « la conception et la concrétisation de nouveaux modèles de développement ». Ils mandatent Patrick BRAOUEZEC afin d’ « expérimenter sur le territoire commune une démarche collective donnant aux acteurs les moyens de se saisir des opportunités nouvelles ouvertes par la révolution numérique ».
  • Ils demandent à Plaine Commune de proposer pour la fin de l’année 2016 les objectifs et le périmètre de cette expérimentation en collaboration avec divers acteurs universitaires et acteurs économiques , acteurs de la société civile.
  • Ils invitent Plaine Commune et ses partenaires à proposer un programme d’enseignement doctoral en vue de lancer à l’automne 2016 « une chaire de recherche contributive (…) centrée sur les perspectives de développement d’une économie contributive sur le territoire (…) qui s’attachera également à étudier le rôle de la puissance publique dans ce nouveau contexte. » (3)
Anne QUERRIEN et Alain BERTHO lors de la conférence de presse sur le revenu contributif, mercredi 16 janvier 2017, Établissement public territorial Plaine Commune, Saint-Denis. ©  Photo CAD / BM 2017

QU’EST-CE QUE L’ÉCONOMIE CONTRIBUTIVE ?

Le concept d’économie contributive est une économie dans laquelle la création de valeur est basée sur la contribution qui a pour fondement la non-dissociation entre le producteur et le consommateur. Cela se manifeste par le fait que tout usager d’un service est potentiellement, à la fois consommateur et producteur. On peut citer l’exemple de Wikipédia (chaque lecteur peut devenir contributeur), ou bien celui des logiciels libres (chaque usager peut apporter des améliorations et des développements mis à la disposition de tous).

Bernard STIEGLER a développé le modèle d’économie contributive en lui attribuant trois propriétés :

  • 1. Producteurs et consommateurs sont assimilés en tant que contributeurs.
  • 2. La valeur produite par les contributeurs n’est pas intégralement monétarisable.
  • 3. La production crée à la fois du savoir-faire et du savoir-vivre. Elle dépasse ainsi la simple subsistance. (4)

L’économie de la contribution se place en tant qu’économie générale, aux côtés de l’économie de marché, de l’économie publique et de l’économie du don.

A la régulation par les prix, par la décision publique et par le principe de réciprocité, l’économie de la contribution substitue une régulation par l’interaction, quantitative et qualitative, des participations à l’intérieur d’une activité.

Cependant, l’économie de la contribution n’exclue pas les autres manières de produire et d’échanger, mais se conjugue avec elles, accepte les règles du jeu de l’échange monétaire, se préoccupe des choix d’investissement et particulièrement de ceux qui conduisent à la production de biens publics, et fait du don une modalité possible de la participation.

Le contributeur n’est ni le consommateur, ni le contribuable, ni le co-donateur.

  • l’économie de marché s’intéresse au producteur sous l’angle de la maximisation du profit, et au consommateur sous l’angle de l’ophélimité ou de la fonction d’utilité (l’ « ophélimité » définie par le sociologue et économiste Vilfredo PARETO) ,
  • l’économie publique s’occupe des fonctions de redistribution et de la prise en charge des défaillances du marché (market failures), là où
  • l’économie du don apparaît encastrée dans une relation circulaire entre don et contre-don (donner-recevoir-rendre),
  • l’économie de la contribution fait surgir la figure alternative du contributeur qui articule participation choisie à l’activité, création de valeur sociétale et intérêt au désintéressement.

L’ophélimité (du grec « ophellimos », signifiant « utile ») est « l’utilité d’un bien ou d’un service qui est ressentie par un agent économique à un moment donné, par opposition à l’utilité objective de ce même bien ou service ». Elle est définie en termes de satisfaction et de jouissance et correspond à l’utilité que représente un bien ou un service pour un individu dans une dans une situation précise. Elle se distingue donc de l’utilité qui est la capacité d’un bien ou d’un service à satisfaire les besoins d’un agent.

La mobilisation des ressources s’effectue en tenant compte de quatre caractéristiques principales :

  • 1. Le modèle productif, qui doit composer avec la finitude des ressources naturelles et le caractère cumulatif des ressources liées à l’activité cognitive. Cette dimension se traduit par une redéfinition du système de production et par l’encastrement de ce système de production dans un milieu psycho-techno-social.
  • 2. Le rapport entre la fonction de contribution et la refonte des solidarités, au-delà du solidarisme assurantiel de l’État providence. Il importe ici d’articuler protection et création dans une solidarité dynamique, imposant ipso facto une révision du système de redistribution.
  • 3. L’exigence d’établir un nouvel ordre de grandeur. Ce dernier pose la question de la mesure, et il suppose la mise au point d’une nouvelle base de calcul et de nouvelles normes comptables.
  • 4. La territorialisation de la fonction de contribution qui implique une redéfinition des effets d’agglomération et une réévaluation des politiques publiques.

L’économie de la contribution repose sur un éco-système général de la production et de la circulation des richesses qui peut être décrite par une organologie générale1. Elle est à la source de la création collective et d’une mesure nouvelle de ses ordres de grandeur, à une époque où les technologies numériques se traduisent par une intensification des échanges informationnels.

RÉFÉRENCES

1. STIEGLER Bernard, « Dans la tête de Bernard Stiegler », En Commun, Le magazine Plaine Commune, Saint-Denis, n°104, juillet-août 2016, p. 14-19. Dossier établit par Yann LALANDE. Trois axes sont développés dans le dossier :

  • Révolution numérique et automatisation des services (« Le diagnostic », p. 14-15),
  • Disparition de l’emploi salarié et nouvelle économie contributive (« La question de l’emploi et du travail » p. 16-17),
  • Travaux de recherche et expérimentations (« Un nouveau modèle à inventer »), p. 18-19

2. ÉTABLISSEMENT PUBLIC TERRITORIAL PLAINE COMMUNE GRAND PARIS, « Faire de Plaine Commune un territoire d’expérimentation du revenu contributif. Le projet « Territoire apprenant contributif », Note à l’attention de M. Thierry Mandon, Secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, mercredi 11 janvier 2017, 21 p.
Texte complet en pdf : Plaine Commune Revenu Contributif 2017-01-11

3. « Que fait Plaine Commune ? », En Commun, Le magazine Plaine Commune, n°104, juillet-août 2016, p. 17.

4. STIEGLER Bernard, Mécréance et Discrédit, Tome 3 : L’Esprit perdu du capitalisme, 2006 (ISBN 2718607157)
ARS INDUSTRIALIS, http://arsindustrialis.org/economie-de-la-contribution [archive]

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La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°231, lundi 16 janvier 2017

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ISSN 2261-1819
BNF. Dépôt légal du numérique, 2017

 

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