« L’historien local a des privilèges. Il a un terrain de chasse privilégié, un temps libre assuré, il peut mener son effort », écrivent Guy THUILLIER et Jean TULARD dans leur livre Histoire locale et régionale. Ils poursuivent. « Mais on voit bien les risques : un sentiment de la propriété exagéré, la fermeture sur soi, la surestimation des travaux, une dispersion fâcheuse, l’incapacité de transmettre son savoir ». (1) Ils appellent l’historien local à réagir contre ce que les deux auteurs désignent sous le terme de « dérives ».
Nous avons interrogé Bernard MÉRIGOT (2) autour de l’expérience de la publication en 2005 du livre «Mémoires en images, Savigny-sur-Orge ». (3)
Histoire locale et régionale
Guy THUILLIER et Jean TULARD, PUF, 1992
L’HISTOIRE LOCALE EN LIGNE
Question. Qu’est-ce qui fait exister l’histoire locale ?
Bernard MÉRIGOT. Il est essentiel de considérer qu’aucune « histoire » n’existe « en soi ». Il y a deux conditions pour qu’elle existe.
- Premièrement, elle doit être constituée. Ce qui « existe », ce sont des documents. Le travail de la recherche historique consiste à les trouver, les identifier, les dater, les analyser… pour en faire un récit. Ces documents ne sont pas tous préexistants : pour une part, ils doivent être « inventés », c’est-à-dire produits (photographies, entretiens…). Un document isolé ne signifie rien tant qu’il n’est pas mis en perspective par une problématique et mis en rapport avec d’autres documents. http://www.savigny-avenir.fr/2007/11/20/patrimoine-et-recherches-en-histoire-locale/
- Deuxièmement, elle doit être publiée, c’est-à-dire, mise à la disposition de tous. Pendant des siècles, cela s’est fait par le livre. Cela se fait encore par le livre, mais de moins en moins. Aujourd’hui, depuis le tournant des années 2000, le mode de recherche, d’identification, d’accès… des documents se fait, depuis le monde entier, par Internet. Cela entraine des conséquences : ce n’est plus le document matériel qui est important, mais l’identification du document (textes, images, enregistrements, vidéos…), et son accès, sous une forme numérique (scan, jpeg…). La « richesse » d’une documentation pour un travail de recherche n’est plus matérielle (des livres) , mais est constituée par des données (un accès Internet, leur téléchargement. L’enjeu est désormais de trouver ces données, et d’en garder durablement la trace. http://www.savigny-avenir.fr/bernard-merigot/histoire-de-savigny-sur-orge/
MISE EN LIGNE
DE TOUS DOCUMENTS PUBLICS
Question. Sur l’édition par Internet de documents historiques et de documents publics ?
Bernard MÉRIGOT. Comment apprécier à un moment donné l’état (la richesse ou la pauvreté…) d’un fonds de documents historiques ou de documents publics ? Tout simplement par l’existence des documents qui sont en ligne sur Internet et accessibles, par tous et à tout moment, dans le cadre de l’Open Data. Il s’agit à la fois des documents originaux bruts (scan de document public, de document d’archives…) et, bien évidemment, de leurs références administratives, archivistiques, bibliographiques, muséales… On observe aujourd’hui la pauvreté de beaucoup de sites « officiels » de mairies et de collectivités locales. Elles sont dans la «communication», c’est-à-dire dans le secret et la rétention d’informations, mais pas dans l’Open Data. En revanche, de très nombreux documents publics sont rendus publics par des associations ou par des initiatives individuelles.
DOCUMENTS HISTORIQUES
ET DOCUMENTS PUBLICS
Question. Donc, tous les documents publics sont des documents historiques ?
Bernard MÉRIGOT. L’histoire ne s’arrête pas. Il n’y a pas d’une part les documents concernant le Maréchal DAVOUT (1770-1823) qui relèveraient de l’histoire, et d’autre part les comptes rendus du conseil municipal de 2015 qui ne possèderaient pas de qualité historique. Cette conception est erronée : tout ce qui se passe dans un territoire concerne l’histoire de ce territoire. Le Plan local d’urbanisme de la commune de Savigny-sur-Orge (37 000 habitants) vient en enquête publique le 18 janvier 2016. Où trouve t-on le pdf du dossier complet ? Si on effectue une interrogation (le 12 janvier 2016) sur le site officiel de la mairie de Savigny-sur-Orge (http://www.savigny.org), ce document est inexistant. Le dernier document en ligne date de 2012, soit il y a quatre ans…).
En revanche, on le trouve le pdf complet sur des sites d’associations. Depuis le 28 octobre 2015 sur http://portes-essonne-environnement.fr/les-documents-du-projet-de-plan-local-durbanisme-plu-de-savigny-sur-orge-rendus-publics-par-pee/ . Depuis le 5 janvier 2016, sur https://oliviervagneux.wordpress.com/2016/01/05/savigny-sur-orge-lance-lenquete-publique-pour-son-plan-local-durbanisme-plu/
POLITIQUES PUBLIQUES LOCALES
Question. Qu’est-ce qu’une politique publique locale à l’égard de l’histoire ?
Bernard MÉRIGOT. Qu’est-ce qu’une politique publique locale ? C’est le fait de mettre en œuvre des moyens publics pour des actions et des réalisations d’intérêt général. Chaque commune, et chaque communauté, pour les compétences qu’elle exerce, conduit de facto – même de façon inconsciente – une politique publique locale culturelle, sportive, sociale, scolaire… Chacune se traduit par des décisions et par l’inscription au budget de la collectivité des dépenses d’investissement et de fonctionnement correspondantes.
Dans le domaine de la politique municipale à l’égard de l’histoire, cela s’est traduit, dans le cas présent, par un soutien apporté par Jean MARSAUDON, le député maire, et par l’incorporation du projet au récit de la politique publique locale.
On peut dire qu’il y a, mutatis mutandis, un « fait du maire », comme on dit dans le langage courant, un « fait du prince », c’est-à-dire un acte arbitraire émanant du responsable d’un exécutif : un maire, ou une municipalité, peut décider une chose. Rien ne les y oblige. Ils peuvent aussi ne pas décider cette chose. Ou encore, un maire peut décider une chose, et son successeur décider le contraire. Dans tous les cas il convient de porter un regard critique sur les motifs et les arguments de la décision qui crée, comme à ceux de la décision qui annule, ainsi qu’au discours que le pouvoir tient, écrivant le récit d’une politique publique locale.
L’histoire locale ne saurait être monophonique. Il ne faut pas confondre une histoire locale officielle, faite par le maire et par l’administration, et l’histoire locale critique, qui est nécessairement polyphonique.
Il est évident que les politiques publiques locales, pour un secteur donné, ne suivent jamais une évolution linéaire, mais plutôt sinusoïdale, avec des hauts et des bas. Il y a des avancées et des reculs, des actions qui sont engagées En 1991, Jean MARSAUDON (maire de 1983 à 2008) crée le Service du Patrimoine (un bureau, un fonctionnaire à temps plein, un budget). En 2009, Laurence SPICHER-BERNIER (maire de 2008 à 2014) supprime le Service du Patrimoine (plus de bureau, plus de fonctionnaire, cessation des actions en cours, dispersion des archives du service, après dix-huit années d’existence). http://www.savigny-avenir.fr/2010/09/09/la-fin-du-service-du-patrimoine-1991-2009/
HISTOIRE GLOBALE
HISTOIRE LOCALE
Question. Ces faits sont-il silencieux, ou bien sont-ils enserrés par le discours du pouvoir ? En quels termes l’histoire globale et l’histoire locale ont-elles été décrites par le député-maire lors de la publication de l’ouvrage Mémoire en images : Savigny-sur-Orge ?
Bernard MÉRIGOT. Dans sa préface, Jean MARSAUDON cite l’historien Raoul GIRARDET : « Il existe une mémoire officialisée, codifiée, pérennisée : celle d’une démarche historique reconnue dans sa spécificité méthodologique qui étend sa curiosité jusqu’aux premiers pas de l’aventure humaine. Mais il existe aussi une mémoire d’une plus courte durée, parcellisée, individualisée : celle du souvenir personnel, d’une réalité momentanément vécue et dont l’image et le récit se trouvent retransmis de génération en génération. »
Il concluait : « Par cette publication, ces deux mémoires se trouvent réunies. Celle de l’histoire globale, reconstituée, intellectualisée, interprétée. Et celle de l’histoire locale, partielle, héritée, riche d’un passé vécu, personnel, familial. Leur rencontre constitue des repères précieux pour mieux aborder l’avenir. » (4)
RÉFÉRENCES
1. THUILLIER Guy et TULARD Jean, Histoire locale et régionale, PUF, 1992, p.
2. Bernard MÉRIGOT, maire-adjoint de Savigny-sur-Orge (1983-2009), conseiller municipal (2009-2014).
3. GROUPE D’ÉTUDE SUR L’HISTOIRE DE SAVIGNY-SUR-ORGE (Christian AUCLAIR, Henri BONNIN, Annie DEPRINCE, Simone DUSSART, Françoise JOSSEAUME, Bernard MÉRIGOT, Sylvie MONNIOTTE-MÉRIGOT, Muriel VAILLANT, Préface de Jean MARSAUDON), Mémoire en images : Savigny-sur-Orge, Éditions Alan Sutton, 2005 (Première édition), 128 p., ISBN 2-84910-340-3.
GROUPE D’ÉTUDE SUR L’HISTOIRE DE SAVIGNY-SUR-ORGE (Christian AUCLAIR, Henri BONNIN, Annie DEPRINCE, Simone DUSSART, Françoise JOSSEAUME, Bernard MÉRIGOT, Sylvie MONNIOTTE-MÉRIGOT, Muriel VAILLANT, Préface de Jean MARSAUDON), Mémoire en images : Savigny-sur-Orge, Éditions Alan Sutton, 2008, (Seconde édition), 128 p. ISBN 2-84910-340-3.
4. MARSAUDON Jean, « Préface », Mémoire en images : Savigny-sur-Orge, Éditions Alan Sutton, 2005, p. 7. ISBN 2-84910-340-3
Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819 Dépôt légal du numérique, BNF 2016