Savigny-sur-Orge. Le maire ou les citoyens : qui a raison ? La logique des coupes budgétaires municipales. Consensus ou dissensus ?

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°142, lundi 4 mai 2015

La police municipale de Savigny-sur-Orge a refusé l’entrée en mairie de représentants du collectif « Sauvons l’enfance de Savigny » venus le jeudi 30 avril 2015 à 16 heures pour remettre une lettre demandant un rendez-vous à Éric MEHLHORN (UMP), maire de Savigny-sur-Orge. On sait que le conseil municipal, réuni le 13 avril 2015, a voté (par 28 voix sur 39) un total de 7 599 943 € de coupes budgétaires.

Savigny-sur-Orge. Manifestation contre les coupes budgétaires
La police municipale refuse l’entrée de la mairie
aux membres du collectif « Sauvons l’enfance de Savigny »
le jeudi 30 avril 2015, 16 h
Le Parisien Essonne-matin,
2 mai 2015

Comment peut-on penser une telle situation collective qui voit l’opposition d’habitants d’une commune, d’usagers de services publics locaux (crèche, MJC, centre de vacances, sports vacances…) manifester contre le maire et la majorité du conseil municipal ? Elle exprime des inquiétudes réelles qui touchent à la vie quotidienne des familles. Elle mobilise soudainement temps et énergie de nombreuses personnes. Elle est le résultat d’un mode de gouvernance local. Elle est aussi celui d’un enchaînement  de décisions apportées à une série d’alternatives successives. Essayons d’en reconstituer la logique.

1. DIMINUTION DES RECETTES 2015 DE LA COMMUNE PAR RAPPORT à 2014

  • Alternative : externaliser (rechercher des ressources nouvelles auprès de la CALPE, du Conseil départemental…) ou régler le dossier à l’intérieur de la commune ?
  • Décision du maire : régler le dossier exclusivement avec des ressources internes.

2. MONTANT DU BUDGET PRIMITIF 2015

  • Alternative : augmenter, maintenir ou diminuer le montant des recettes ?
  • Décision du maire : diminuer les dépenses.

3. DÉTERMINATION DU MONTANT DU BUDGET

  • Alternative : rechercher des économies internes (et ou) emprunter (et ou) augmenter les taux des impôts locaux ?
  • Décision du maire : faire des coupes budgétaires pour un montant total de 7 599 943 €.

4. SERVICES ASSURÉS PAR LA COMMUNE AUX HABITANTS

  • Alternative : maintenir ou supprimer des services ?
  • Décision du maire : supprimer des services assurés.

5. CHOIX DES SERVICES SUPPRIMÉS

  • Alternative : mettre en place un budget participatif (qui envisage plusieurs scénarios) ou prendre les décisions sans concertation ?
  • Décision du maire : décision sans information ni concertation préalable.

6. COMMUNICATION SUR LES DÉCISIONS PRISES

  • Alternative : information en amont ou pas d’information. Réunion publique ou pas de réunion publique. Concertation ou pas de concertation.
  • Décision du maire : pas de réunion. Pas de réunion publique. Conférence de presse publiée dans Le Parisien le samedi 11 avril, annonçant ce qui allait être voté deux jours après par le conseil municipal du lundi 13 avril 2015.

7. PLAN DE CESSATION D’ACTIVITÉ

  • Alternative : établir un plan de cessation d’activité ou attendre les licenciements.
  • Décision du maire : pas de plan de cessation d’activité.

8. RÉACTION DES USAGERS DES SERVICES SUPPRIMÉS (crèche, MJC, centre de vacances, sports-vacances…)

  • Alternative : laisser faire ou réagir.
  • Décision du collectif « Sauvons l’enfance de Savigny » : pétition lancée le 12 avril 2015 (3 200 € signatures au 1er mai 2015). Manifestations. Lettre au maire : demande de rendez-vous.
On ne rentre pas.
Mairie de Savigny-sur-Orge, jeudi 30 avril 2015, 16 heures
Le Parisien Essonne-matin, 2 mai 2015

Les prochaines alternatives décisionnelles sont déjà connues :

  • rendez-vous accordé par le maire au Collectif « Sauvons l’enfance » ou refus de rendez-vous ?
  • maintien ou retrait par le maire de la décision de suppression de services municipaux ?
  • plan de cessation d’activités des services ou absence de plan ?
  • chiffrage ou absence de chiffrage du plan de licenciement ?
  • poursuite ou arrêt des actions entreprises par le collectif ?

Quelles décisions à venir seront apportées à ces alternatives ?

Les échanges d’arguments entre 1. le collectif « Sauvons l’enfance à Savigny », 2. la commune (le maire, l’administration municipale, les membres du conseil municipal…) et 3. l’administration préfectorale (contrôle de légalité) :

  • discours adressé aux parents pour les enfants inscrits dans les crèches, à la MJC, à La Savinière, à Sports vacances…
  • mesures de licenciement effectif des personnels (crèches, MJC, La Savinière…)
  • échanges écrits dans le cadres des recours déposés au Tribunal administratif de Versailles.

« LE DISSENSUS EST UN CONFLIT SAIN »

Question. Vous avez insisté dans plusieurs articles sur la place que l’opposition consensus/dissensus occupait dans le fonctionnement de la démocratie locale. (2) N’est-elle pas au cœur du débat paradoxal des « coupes budgétaires » imposées sans concertation par un maire et sa majorité et dont les effets provoquent une importante mobilisation parmi les usagers des services publics locaux ?

Bernard MÉRIGOT.
Dans une recherche-action comme celle conduite par « Territoires et démocratie numérique locale », l’expérience de ceux qui expriment « ce qui ne va pas » est primordiale. Qu’est-ce qui ne va pas ? Pourquoi cela ne va pas ? Qui est responsable de cette situation de « mal-allance » qui s’oppose à le « bien-allance » ? Quelles actions doivent être menées pour que « ça aille bien » ? Autant de questions qui concernent, pour un domaine donné, un espace particulier, et en définitive plutôt mystérieux, qui voit le passage de façon réversible d’une opinion à une autre : les membres d’une collectivité 1. soit sont d’accord (consensus), 2. soit ne sont pas d’accord (dissensus).

Pour le philosophe Christophe PACIFIC, « le dissensus met la parole en tension et assure un lien fécond du vivre ensemble ». La dualité est la clef naturelle qui rationalise la sociabilité des contraires. Le dissensus privilégie l’association des différences pour assurer la représentation de chacune d’entre elles. « Le dissensus est constitutif d’un conflit sain, nécessaire, garant d’une éthique d’ouverture », une voie d’excellence pour ceux qui sont concernés par ce que l’homme peut offrir de meilleur : le soin à l’égard des autres. (3)

LA DÉMOCRATIE DU MOINDRE MAL

Question. Mais le consensus n’est-il pas l’objectif de toute société ?

Bernard MÉRIGOT.
Lorsqu’on élimine tout conflit, on élude l’opportunité de le dépasser. « Nous sacrifions un meilleur possible au profit d’une démocratie du moindre mal ». Le consensus a d’une certaine façon pour finalité d’éliminer le conflit. La réalité montre que l’étoffe du consensus est tissée de soumissions librement consenties, de nécessités, de jeux de pouvoir liés à des satisfactions immédiates. L’exigence d’un consensus, idéal et parfait, change le remède en poison : il sonne le glas de l’éthique. Alors que le dissensus assure, par le lien fécond de la parole, un souffle éthique à la société. Il y a davantage de possibles dans un conflit que dans un consensus.
Le dissensus a deux visages. C’est Janus. Soit, il est une impasse. Soit, il est une voie qui conduit, par une négociation, à un consensus. A une condition : que les pouvoirs en place jouent cartes sur table, donnent toutes les informations publiques que les citoyens réclament.
En un mot, que le pouvoir reconnaisse l’altérité citoyenne. Comme écrit Emmanuel LEVINAS « Toute socialité politique commence par une séparation liante ». (4)

RÉFÉRENCES

1. « Savigny-sur-Orge. Manifestation contre les coupes budgétaires », Le Parisien Essonne-matin, 2 mai 2015, p. IV. Article de Florence MÉRÉO.
2. MÉRIGOT Bernard, « Conseil municipal. Majorité et oppositions, consensus ou dissensus ?, », 18 avril 2014. http://www.savigny-avenir.fr/2014/04/18/conseil-municipal-majorite-et-oppositions-consensus-ou-dissensus-laugmentation-des-indemnites-des-adjoints-au-maire/
3. PACIFIC Christophe, Consensus / dissensus. Principes du conflit nécessaire, L’Harmattan, 2011, 206 p.
4. FERRÉOL Gilles, CHANAL Claude, DANET Didier, DELANNOI Gil,
Rapport à autrui et présence citoyenne, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du  Septentrion, 2002, p.150

Mettre en cage la révolte
Claude GUILLON écrit : « Le souci de tous les pouvoirs est de remettre en cage la révolte, de re-nommer sans cesse ce qui leur déplait et les importune : nommer pour normer, définir pour en finir avec ». L’enjeu politique majeur a toujours été de nommer et d’interpréter les évènements, de mobiliser des stratégies discursives pour limiter les débordements.
DOLIDIER Arnaud, 
« Citoyenneté, démocratie et altérité politique », Historia actual Online, n°27, 2012, p.40.

Politique et égalité
Émmanuel LEVINAS écrit : « La distance qui sépare bonheur et désir, sépare politique et religion. La politique tend à la reconnaissance réciproque, c’est-à-dire à l’égalité; elle assure le bonheur ».
LEVINAS Emmanuel,
Totalité et infini, p.35.

Le surplus possible dans une société d’égaux
La loi politique achève et consacre la lutte pour la reconnaissance. La religion est désir et non point lutte pour la reconnaissance. Elle est le surplus possible dans une société d’égaux.
CIARAMELLI Fabio, « Le refus de l’immédiat », Revue internationale de philosophie, 2006/1, n°235, p. 61-74.

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La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°142, lundi 4 mai 2015

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ISSN 2261-1819
. Dépôt légal du numérique, BNF 2015

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