LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°132, lundi 23 février 2014
Quel est l’intérêt véritable que présentent les recherches en sciences sociales lorsqu’elles ont comme terrain d’enquête une commune, une communauté, un « pays » ? Leur apport est-il limité à un seul enrichissement de connaissances, portant notamment sur le passé, ou bien a-t-il une portée pratique, débouchant sur des développements pour l’avenir ?
La réponse à cette question peut être éclairée en considérant la place qui est accordée aux recherches historiques et à l’identité locale par la Communauté européenne dans le cadre de son programme « Leader ». (1) Créé en 1991 pour le développement des communautés rurales de l’Union européenne, il a développé des outils de diagnostic qui ont été élaborés à partir de la notion de territoire. Il est intéressant de porter un regard sur la méthodologie conçue pour le développement des territoires. Celle-ci s’est imposée aux collectivités candidates à ce fonds de subvention.
LE CAPITAL TERRITORIAL
La Commission européenne définit « le capital territorial » comme un ensemble d’éléments matériels et immatériels. C’est une notion dynamique et non statique, une résultante, un ensemble complexe inscrit dans une dimension spatio-temporelle .
Le capital territorial peut être représenté par le croisement de deux axes : passé/avenir et intérieur/extérieur. C’est une sphère en continuelle évolution. Il s’enrichit et se précise grâce à des éléments puisés dans le passé (l’histoire), l’avenir (le projet), l’intérieur (l’interaction entre acteurs, institutions et réseaux locaux), l’extérieur (échanges avec les marchés, les institutions et les réseaux). (2)
LES 11 DÉFIS MAJEURS D’UN TERRITOIRE
La Commission européenne a défini onze « défis majeurs » auxquels le développement de tout territoire est confronté.
- 1. Renforcer la cohésion interne du territoire
- 2. Mieux utiliser les ressources locales
- 3. Améliorer le fonctionnement du partenariat local
- 4. diversifier et intégrer les actions de développement
- 5. Améliorer les compétences en développement
- 6. Rechercher les effets économiques (emplois, activités)
- 7. Rechercher les effets de mobilisation
- 8. Renforcer l’identité et l’image locale
- 9. Introduire des innovations
- 10 Renforcer les échanges avec l’extérieur et l’ouverture sur le global
- 11. Améliorer la complémentarité avec d’autres actions et programmes de développement. (3)
On constate que le « renforcement de l’identité et de l’image locale » occupe une place stratégique au sein de la construction méthodologique européenne.
UN TERRITOIRE EST LE FRUIT D’UNE HISTOIRE
La Commission européenne considère le territoire comme un « fruit de l’histoire », porteur d’une identité. Elle écrit :
« Ni universelle, ni figée, la notion de « territoire » relève avant tout d’une représentation mentale collective, basée sur l’intégration des dimensions géographiques, économiques, sociales, culturelles, politiques…
Le territoire apparaît comme le fruit d’une histoire, l’expression d’un présent qui porte les conditions de son avenir. Son identité est véhiculée par ses habitants, par un sentiment d’appartenance et par les échanges avec le monde extérieur qui renvoient à leur tour une image du territoire. » (4)
LE LIEN ENTRE LE PASSÉ, LE PRÉSENT ET L’AVENIR
« Le territoire est une entité vivante, à multiples facettes, évoluant dans le temps. Chaque territoire résulte d’un lien entre le passé, le présent et l’avenir. Loin d’être inéluctablement conditionné par son passé, il se nourrit d’un regard sur celui-ci, de la comparaison de l’état présent avec ce qui se passe ailleurs, de l’analyse des réussites et des échecs, de le projection dans l’avenir issue d’une analyse et d’une volonté partagée des acteurs. » (5)
LE PROFIL TERRITORIAL
Afin de formaliser la vision d’un territoire, une représentation graphique peut être composée à partir de huit composantes : 1. Ressources physiques, 2. Ressources humaines, 3. Culture et identité du territoire, 4. Savoir-faire et compétences, 5. Gouvernances, 6. Activités et emploi, 7. Relations extérieures, 8. Images. (6)
Profil territorial selon huit critères
Commission européenne, Programme Leader, 1999
Graphe d’évaluation type « Radar / Toîle d’araignée »
Source : AD-ELO, Associação de desenvolvimento local da Bairrada e Mondego
Auto-avaliação dos grupos LEADER, Portugal, octobre 1999
- Ressources physiques : histoire des ressource naturelles, des paysages, de leur constitution, de leur protection, de leur mise en valeur, des infrastructures, des équipements, du patrimoine historiques, architectural, de l’histoire de leur mise en valeur…
- Ressources humaines : histoire du peuplement, des hommes et femmes qui s’y sont installés ou bien qu’il l’on quitté, hier comme aujourd’hui, des caractéristiques démographiques, de la structuration sociale de la population…
- Culture et identité du territoire : histoire des événements fondateurs, des œuvres, des récits, des valeurs partagées par les acteurs du territoire, attitudes, formes de reconnaissance, us et coutumes…
- Savoir-faire et compétences : histoire des techniques et des technologies, des capacités à l’innovation, de la recherche et développement…
- Gouvernance : histoire des institutions et de l’administration locale, des règles du jeu politique, des relations entre les acteurs collectifs, des ressources financières, des pratiques démocratiques…
- Activités et emploi : histoire des entreprises, de leur implantation, des activités économiques, des emplois…
- Relations extérieures : histoire des relations avec les territoires voisins, des échanges…
- Images : histoire des perceptions du territoire, par les habitants eux-mêmes et par le monde extérieur… (7)
L’évaluation de la Commission européenne utilise une échelle de notation de 0 à 5 : Nul (0), Très mauvais (1), Mauvais (2), Moyen (3), Bon (4), Très bon (5).
CINQ QUESTIONS
1. Mondialisation / Particularismes. A une époque marquée par la mondialisation des formes et des expressions culturelles, les lieux conservent de nombreux caractères distinctifs. Ces spécificités, qui entrent dans la constitution des identités locales, génèrent des tensions se manifestant par des processus à la fois d’appropriation et de rejet.
2. L’appropriation présente du passé. Ces mécanismes peuvent être le résultat de productions culturelles anciennes (par exemple, des traditions locales, d’anciennes structures culturelles) ou bien construites à l’initiative de politiques culturelles volontaristes (par exemple, des festivals, des événements culturels et festifs, des traditions locales « réinventées »). « Ancrés sur un territoire, les programmations et les projets culturels contribuent à en redéfinir les contours perçus, par le geste artistique qui le marque et le qualifie, par la présence passive, ou la participation active, de publics et d’habitants qui se l’approprient à travers l’expérience esthétique, socialisante ou festive », relève le programme de recherche de l’IPAMAC. (8)
3. L’injonction adressée à l’identité est-elle contradictoire ? Assurer l’attractivité des territoires et participer au développement économique, tout en renforçant la cohésion sociale peut parfois s’avérer contradictoire. Le discours sur les vertus territoriales de la culture n’est jamais une évidence.
4. Complexité et changement. La structure des identités politico-territoriales est complexe et changeant. La construction des États-nations n’a pas aboli les anciennes identités, ni empêché de nouvelles identités de se manifester. La structure des identités n’obéit pas à des modèles simples (accumulation/élimination). « On peut au contraire imaginer que les modèles identitaires sont de différents types et reposent sur des formes diverses de fusion ou de métissage », écrit André-Paul FROGNIER. (9)
5. Pluralité des identités. Des auteurs ont souligné que tout individu possède un « stock » d’identités que les circonstances de la vie, qu’elles soient individuelles ou collectives, peuvent soit s’activer, soit se désactiver. Des recherches conduites sur les identités en Europe ont conclus à une multi dimensionnalité des attitudes identitaires qui sont susceptibles soit de s’associer, soit de s’opposer.
Tout cela démontre que les collectivités publiques, à quelque niveau qu’elles se situent, ont besoin des contributions de la recherche en sciences sociales.
- Pour constituer des connaissances sur leur territoire.
- Pour que ces connaissances participent à leur construction identitaire.
- Pour élaborer, selon un mode partenarial, leurs programmes de développement.
DOCUMENT
L’IDENTITÉ DU TERRITOIRE
Diagnostic
1. Thème : Quelle est l’identité (ou les identités) du territoire ?
- Qu’est-ce qui reflète localement l’identité du territoire ? Ce qui est visible (le paysage, l’architecture, le patrimoine historique, les savoir-faire, les produits locaux, les langues, la musique, la peinture…) ? La manière d’être (style de vie, comportements, éthique sociale…) ?
- Y a-t-il des répercussions de l’identité sur l’économie du territoire ?
2. A quel espace territorial correspond cette identité ?
- Les caractéristiques de l’identité sont-elles propres au territoire considéré ou se retrouvent-elles également dans les territoires voisins ?
- Quels sont les éléments communs à plusieurs territoires ?
3. Quelles sont les racines historiques de cette identité ?
- Quels sont les éléments historiques qui en expliquent les caractéristiques ?
4. Quels sont les symboles de cette identité ?
- Quels sont les symboles qui diffusent à l’extérieur l’identité (nom, logo, image, slogan, proverbe, légende…) ?
5. Quel est le niveau de perception de l’identité ?
- Quels sont les éléments de reconnaissance de l’appartenance au territoire ?
- Quel est le degré de fierté/indifférence global des habitants à l’égard de leur territoire ? Comment est-il réparti en fonction des tranches d’âge ?
- Quelle est la capacité d’affirmation de la culture locale face à l’influence globalisante des cultures véhiculées par les médias ?
- Quels sont les acteurs culturels actifs (individus, organisation) ?
6. Quels sont les lieux de transmission de l’identité ?
- Quels sont les lieux de transmission et d’affirmation de l’identité du territoire ?
- En quoi sont-ils des sources de renouvellement de l’identité du territoire ?
COMMISSION EUROPÉENNE, « L’identité du territoire », Guide méthodologique pour l’analyse des besoins locaux d’innovation, Programme Leader, 2006.
RÉFÉRENCES
1. COMMISSION EUROPÉENNE, L’approche Leader, Guide de base, 2006, Bruxelles, 2006, 24 p. ISBN 92-79-02048-X
Le programme de l’Union européenne LEADER (Liaison entre les actions de développement de l’économie rurale) a connu plusieurs épisodes : Leader I (1991-1993), Leader II (1994-1999), Leader + (2000-2006), Leader PAC (2007-2013). Il totalise donc vingt-deux années d’expérience.
2. COMMISSION EUROPÉENNE, Le territoire Leader, Critères, III.6
3. COMMISSION EUROPÉENNE, Le territoire Leader, Critères, II. 24
4. COMMISSION EUROPÉENNE, Le territoire Leader, Critères, III. 6
5. COMMISSION EUROPÉENNE, Le territoire Leader, Critères, III.12
6. COMMISSION EUROPÉENNE, Le territoire Leader, Critères, III. 10-11
7. COMMISSION EUROPÉENNE, Le territoire Leader, Critères, III. 18
8. ASSOCIATION DES PARCS NATURELS DU MASSIF CENTRAL (IPAMAC), « La culture, facteur d’attractivité des territoires ruraux et d’une meilleure cohésion sociale. Projet de recherche », DATAR, Union européenne (FEADER), http://www.senspublics.com/recherche-et-prospective/la-culture-facteur-d%E2%80%99attractivite-des-territoires-ruraux-et-d%E2%80%99une-meilleure-cohesion-sociale-349
9. FROGNER, André-Paul, «Les identités politiques territoriales », Revue internationale de politique comparée,Vol 5, n°1.1998, p.11-21.
La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°132, lundi 23 février 2014
Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819 Dépôt légal du numérique, BNF 2015