LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°289, lundi 26 février 2018
Durant quelle durée, correspondant à des années successives de naissance, des individus – qui ne se connaissent pas – partagent-ils une même approche du monde quotidien ? Celle-ci s’appréciant en termes de références identitaires communes (sociétales, culturelles, techniques…), manifestées en employant les mêmes déclinaisons langagières, vestimentaires, alimentaires, musicales… ? Quels sont les seuils historiques qui séparent une génération d’une autre ? C’est à cette question difficile que doivent notamment répondre ceux qui défendent le concept de génération Z pour les enfants nés après 1995.
Qu’est-ce qu’une génération? C’est un concept issu de la sociologie. Il sert à désigner une sous-population, au sein d’un ensemble plus vaste, qui a vécu durant une même époque historique et qui a en commun des caractéristiques du simple fait de l’âge de ses membres (pratiques, représentations…). Au début du XXe siècle, Wilhelm DILTHEY a défini la génération de la manière suivante : « Un cercle assez étroit d’individus qui, malgré la diversité des autres facteurs entrant en ligne de compte, sont reliés en un tout homogène par le fait qu’ils dépendent des mêmes grands événements et changements survenus durant leur période de réceptivité. »
Cette question concerne les modalités – qu’elles soient explicites ou implicites – par lesquelles une société se perpétue, notamment par l’enseignement scolaire. Des générations transmettent à d’autres générations ce que l’on considère aujourd’hui comme des « données ». Celles-ci mêlent l’identique et le différent, l’ancien et le nouveau. Dans le domaine de l’enseignement, il est toujours complexe de faire la part des glissements successifs qui se produisent, entre la théorie des programmes et la pratique pédagogiques, entre les connaissances transmises par l’école et celles qui sont transmises par la société civile dans laquelle baignent les élèves.
Est-ce que ce sont les passages des générations qui modifient la forme et les contenus de l’enseignement, ou bien est-ce que c’est l’enseignement lui-même qui modifie les générations ? Quelle action est déterminante sur quoi ?
Le modèle de l’école primaire française de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle s’est reconnu dans les écrits de l’écrivain italien Edmondo DE AMICIS (1846-1908). Il est cité dans de nombreux manuels scolaires, comme La Vie littéraire à l’École, Lecture. Récitation. Rédaction, Cours élémentaire, d’Edouard HULEUX (1914) (1). On y trouve le texte suivant :
« Écoutez, mes enfants, nous avons un an à passer ensemble. Faisons de notre mieux pour le bien passer : étudiez et soyez sages. Je vous aimerai. Il faut que vous m’aimiez à votre tour. Je ne veux avoir à punir personne. Montrez-moi que vous êtes des garçons de coeur. Notre école sera une famille et vous serez ma consolation et ma fierté.» (2)
Pendant combien de générations ce modèle magistral a-t il perduré ? Quelles ont été les scansions historiques qui ont imposé ses évolutions ?
Pour répondre, il est nécessaire de caractériser ce qui constitue une génération. La question est celle de ses marqueurs. Ceux-ci sont à la fois simultanés et décalés. Ils se superposent dans le temps. Quels domaines privilégier ? Dans le domaine culturel, depuis les années 1950, il y a eu des générations Tintin, des générations Spirou, des génération Pilote, des générations Asterix avant que n’arrivent les générations Harry Potter, les générations Guerre des étoiles, Superman, Batman… Celles des bandes dessinées et celle des films.
Et puis, viennent les marqueurs techniques. Pauline LALLEMENT propose un tableau de la génération Z née après 1995 (3). Pour les enfants de la première année de cette génération, leur échelle temporelle peut se résumer ainsi :
- 1996. Naissance
- 2004. 8 Ans. Apparition de FaceBook
- 2005. 9 ans. Apparition de YouTube
- 2006. 10 ans. Apparition de Twitter
- 2007. 11 ans. Apparition de l’iPhone
- 2016. 20 ans
- 2026. 30 ans
- 2036. 40 ans
- 2046. 50 ans
- 2056. 60 ans
- 2067. 70 ans. Retraite ?
Combien de générations distinctes entre 1895 et 1995 ? La question ne relève pas seulement de la curiosité, mais de la pratique sociétale dans la mesure où le passage d’une génération à une autre conditionne les nécessaires adaptations de l’organisation des institutions.
La génération Z née après 1995, appelée également par certains auteurs Digital Natives, a pour trait distinctif de ne jamais avoir connu le monde sans Internet, sans portables, et sans réseaux sociaux : elle est née avec.
RÉFÉRENCES
1. HULEUX E., La Vie littéraire à l’École, Lecture. Récitation. Rédaction, Cours élémentaire, Paris, Librairie d’Éducation nationale / Publications Alcide Picard, s.d., (1914), 246 p. Collection Édouard Petit. « Ouvrage illustré de 40 gravures artistiques »
2. DE AMICIS Edmondo (1846-1908), Livre Coeur, 1886. Traduction de A. Piazzi, Delagrave éditeur, in La Vie littéraire à l’École, Lecture. Récitation. Rédaction, Cours élémentaire, de E. Huleux, Librairie d’Éducation nationale – Publications Alcide Picard, 1914.
3. LALLEMENT Pauline, « Génération Z, née après 1995 », Swiss Education Group, mars 2017.
4. COLÉON Philippe, « Éducation. L’enjeu majeur. Demain se prépare aujourd’hui. Pour ses 20 ans, Acadomia publie sa feuille de route pour la génération Z », Paris Match, n° 3566, 21 septembre 2007. Entretien avec Romain CLERGEAT.
« Chaque année, 800 000 années d’expérience s’envolent avec les 20 000 professeurs qui partent à la retraite. Comment retenir ces savoirs ? »
ILLUSTRATIONS
« La rentrée en classe : étudiez et soyez sages ». Texte d’après Livre Coeur (1886) de Edmondo de Amicis (1846-1908). Illustration extraite de La Vie littéraire à l’École, Lecture. Récitation. Rédaction, Cours élémentaire, de E. Huleux, Librairie d’Éducation nationale – Publications Alcide Picard, 1914, p. 7. Collection CAD.
COMMENTAIRE du 15 mars 2018
LA GÉNÉRATION INTERNET
EST DE PLUS EN PLUS INTOLÉRANTE
Dans un livre consacré à la Génération Internet (I-Gen), c’est-à-dire à la génération qui est née entre 1995 et 2012 (donc âgée de 23 ans à 6 ans en 2018), Jean A. TWENGE constate que pour elle, l’université n’est aujourd’hui ni un lieu pour apprendre, ni un lieu pour explorer des connaissances : elle est avant tout un moyen d’obtenir un emploi dans un environnement protégé par un diplôme. (1)
Sur la base de données représentant 11 millions de participants, il révèle un comportement « consumériste », déjà présent au sein de la Génération X, et qui s’est accentué depuis. « S’exposer à des idées différentes est non seulement troublant et dangereux pour eux, mais cela n’a aucun intérêt de les étudier puisque leur objectif est d’obtenir un bon emploi. »
Pour Cécile PHILIPPE, « le point de vue de la Génération Internet entre en conflit avec la vision des professeurs qui adhérent en grande majorité a l’idée que l’éducation est pour chacun un moyen d’augmenter son « capital humain ». Cette théorie du signalement permet d’expliquer le comportement des élèves, leur bachotage, leur recherche du professeur le moins exigeant, ainsi que la joie sincère qu’ils expriment quand un professeur est absent ! » (2)
Le marché du travail récompense l’implication de celui ou de celle qui a réussi à étudier pendant un certain nombre d’années en obtenant des diplômes, et non pas l’acquisition de contenus. Ce qui se trouve confirmé lorsque l’on considère les données comme l’utilité réelle des matières enseignées, le taux de rétention des apprenants, ou la mesure de la capacité à transférer des connaissances d’un domaine à un autre.
Les enquêtes attestent de la perte de l’esprit critique des élèves, des déperditions massives en matière de construction des connaissances, et en fin de compte, de la très faible productivité des systèmes éducatifs puisqu’ils ne produisent pas ce que ceux qui en assurent le fonctionnement quotidien en attendent.
La vulnérabilité de la génération actuelle est conjuguée avec la montée de l’intolérance que produit l’enseignement qui en découle.
Un diplôme ne vaut que par son caractère discriminant qui permet de classer les élèves. On le voit lorsque l’on considère l’inflation naturelle et problématique des diplômes. Si tout le monde a le même diplôme, il en faut toujours un supplémentaire pour se distinguer.
D’où un surinvestissement collectif dans le système éducatif, sans cesse plus prégnant dans les pays développés. Tous ses acteurs, avec l’aide des médias, « sur-jouent » au quotidien l’angoisse des notes et des moyennes. Il s’achève avec la complexité et l’obscurité des processus d’orientation et d’inscription post-bac. Les systèmes informatiques d’inscription en ligne, avec ses mystérieux algorythmes, que ce soit « Admission Post Bac » / APB (2012-2017) ou « Parcours Sup » (depuis 2018) génère un stress permanent pour les élèves, les parents et les enseignants.
RÉFÉRENCES
1. TWENGE Jean A, « I-Gen: Why Today’s Super-Connected Kids Are Growing Up Less Rebellious, More Tolerant, Less Happy–and Completely Unprepared for Adulthood–and What That Means for the Rest of Us”, https://www.amazon.fr/dp/B01N6ACK3B/ref=dp-kindle-redirect?_encoding=UTF8&btkr=1
2. PHILIPPE Cécile, « Génération internet : les jeunes sont-ils devenus intolérants ? », Contrepoint, 15 mars 2017. https://www.contrepoints.org/2018/03/15/311770-generation-internet-les-jeunes-sont-ils-devenus-intolerants?
La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°289, lundi 26 février 2018
Territoires et Démocratie numérique locale (TDNL) est un media numérique mis en ligne sur le site http://savigny-avenir.info. ISSN 2261-1819 BNF. Dépôt légal du numérique, 2018
Tous ses articles sont librement consultables dans leur totalité. Leur publication est supportée par une structure associative et collaborative, le Groupe Mieux Aborder L’Avenir (MALA).
Référence du présent article :
MÉRIGOT Bernard, « Comment enseigner à la « génération Z » née après 1995 ? », La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir, n°289, lundi 26 février 2018, http://www.savigny-avenir.fr/2018/02/26/comment-enseigner-a-la-generation-z-nee-apres-1995/