Max WEBER (1864-1920) a établi que les faits n’existent « ni en dehors du contexte de leur production, ni en dehors du sens qu’on leur donne » : leur contextualisation historique est constitutive de tout raisonnement critique, qu’il soit anthropologique, sociologique ou politique.
Le fait que constitue l’invasion militaire le 24 février 2022 de la République d’Ukraine, indépendante depuis 1991, par l’armée de la Fédération de Russie présidée par Vladimir POUTINE, constitue un fait majeur du début du XXIe siècle. Le fait matériel qui consiste pour les chars et les soldats russes à franchir la frontière séparant la Russie de l’Ukraine, ainsi que les survols et les bombardements de villes ukrainiennes, et les multiples faits de guerre commis, ont surpris aussi bien les gouvernements que les ressortissants de l’Europe occidentale et des États-Unis. Les rapides réactions de protestation qui se sont immédiatement manifestées dans presque tous les pays du monde (prises de position, manifestations, pétitions, gestes de solidarité…), ainsi que les décisions gouvernementales françaises et européennes annoncées, ont simultanément généré la construction des sens complexes de ce fait majeur, celui d’une nouvelle guerre.
Toutes les périodes de crise, avec leur lot d’angoisse, de misères, de tragédies, sont des moments malheureux pour rappeler l’utilité du savoir, des sciences et des recherches qu’elles mènent, des expériences de terrain qu’elles accumulent, des connaissances critiques qu’elles produisent, souvent dans l’indifférence, lorsqu’il ne s’agit pas du dénigrement de leurs travaux.
Les universités, les grands établissements d’enseignement et de recherche, eux ne sont pas indifférents à la marche du monde. Christophe PROCHASSON, historien et président de l’École des Hautes études en Sciences Sociales en apporte le témoignage en ce 28 février 2022.
Bernard MÉRIGOT
Anthropologue
Chercheur associé à la MSH de Paris-Saclay

Invasion par la Russie de l’Ukraine. Carte. Situation au 25 février 2022. Extrait, Le Parisien, 25 février 2022.
RÉACTION DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES
SUR LA SITUATION EN UKRAINE
Message envoyé le 28/02/2022 à toute la communauté de l’EHESS
Face à une situation où se trouve mise en péril la paix du monde faisant peser une lourde menace sur les libertés du peuple ukrainien comme sur celles des citoyens et citoyennes russes engagées contre cette guerre, l’École des Hautes Études en Sciences Sociales ne peut rester sans réaction.
De nombreux et nombreuses collègues n’ont pas tardé à se mobiliser en France et en Russie même, comme l’atteste le lancement d’une impressionnante pétition dénonçant les agissements bellicistes du gouvernement russe.
Au nom de l’École, la présidence de l’EHESS :
- apporte son soutien au peuple ukrainien
- salue le courage des opposants russes.
Tel est le sens du communiqué de presse qu’elle a souhaité publier conjointement avec nos collègues du Centre d’Études des mondes russe, caucasiens et centre européens (CERCEC), concernés au premier chef par ce désastre humanitaire dont les conséquences sur la vie scientifique s’annoncent immenses. Il faudra savoir, dans les plus brefs délais, en apprécier justement les effets de long terme pour être en mesure de les atténuer.
Dans les premières heures du conflit, l’École s’est concentrée sur la situation des étudiantes et des étudiants, comme des collègues, encore sur leur terrain. A l’heure où j’écris ce message, nul ne semble être en danger et la plupart sont rentrés en France.
D’autres initiatives seront prises dans les jours qui viennent, notamment dans le cadre du programme PAUSE, dont l’École est l’un des tout premiers acteurs, ou du programme étudiants exilés. Des moyens pourront aussi être dégagés sur les fonds non utilisés du programme post-doc à la suite d’un concours partiellement infructueux. L’accueil et l’hospitalité doivent constituer l’une de nos réponses : elles appellent l’engagement des Centres sans lequel nous ne parviendrons pas à recevoir les exilés comme il convient de le faire. La présidence est à l’écoute de toutes les propositions qui peuvent se faire jour afin de répondre à ces configurations toujours extrêmement délicates.
Enfin, l’École envisage de proposer une rencontre autour de l’Ukraine à ses partenaires du campus Condorcet. Nos collègues du CERCEC seront consultés à cet effet dans les prochaines heures afin de définir au mieux une proposition pertinente.
Dans ces circonstances, hélas tragiques, la démonstration est une nouvelle fois faite de l’importance de nos savoirs pour comprendre la marche du monde.
Les investissements scientifiques se font parfois trop tard au regard des défis de l’histoire.
L’École peut aujourd’hui se féliciter de disposer de l’un des foyers d’études sur les mondes russes post-soviétiques les plus vivants, comme de compétences indispensables dans l’analyse générale des conflits. Il lui revient donc de jouer un rôle de premier plan en ce moment crucial. Ses chercheuses et chercheurs sont prêts.
Christophe PROCHASSON
Président de l’EHESS
28 février 2022
RÉFÉRENCES
PROCHASSON Christophe (2022). « Réaction de l’EHESS sur la situation en Ukraine. Message envoyé le 28 février 2022 à toute la communauté de l’EHESS », L’engagement de recherche en Sciences sociales et la Guerre de la Russie contre l’Ukraine 2022 : « L’importance de nos savoirs pour comprendre la marche du monde n’est plus à démontrer » (Christophe Prochasson)
https://www.ehess.fr/fr/hommage/r%C3%A9action-lehess-sur-situation-en-ukraine
ILLUSTRATIONS
- Invasion par la Russie de l’Ukraine. Carte. Situation au 25 février 2022. Extrait de Le Parisien, 25 février 2022.
ANNEXE
Le Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen (CERCEC) est issu de l’ancien Centre d’études sur la Russie, l’Europe orientale et le domaine turc, fondé par Alexandre Bennigsen à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) dans les années 1960. Scindé en deux en 1995, ce laboratoire de recherche a donné naissance
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d’une part, au Centre d’histoire du domaine turc,
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d’autre part, au Centre d’études des mondes russe, soviétique et post-soviétique.