LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°303, lundi 4 juin 2018
L’expérience encyclopédique est trompeuse. En procédant à un rassemblement d’informations, de faits, de mots, de dates, d’images, d’objets… elle donne l’impression d’être animée par une simple – et parfois confuse – compulsion à l’accumulation de connaissances, dont la collecte serait condamnée à demeurer à jamais incomplète et inachevée, toujours en retard pour incorporer nouveaux faits et nouvelles idées.
Cette vision est inexacte, puisqu’au moment de sa constitution toute la démarche encyclopédique effectue – de façon explicite ou de façon implicite – une remise en cause radicale de l’existence des savoirs du moment et de leur mode d’appropriation.
« Encyclopédie : Ce mot signifie enchaînement de connaissances ». C’est la définition de l’encyclopédie, telle qu’elle figure précisément dans l’article intitulé « Encyclopédie », précisément dans un livre qui en porte le nom, l’Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751-1772).
L’article a pour sujet le livre dans lequel il figure. Il s’agit d’une auto définition du projet encyclopédique qui annonce la caractéristique majeure qu’il réalise : un enchaînement de connaissances. Celui-ci est triple : enchaînement des différentes disciplines entre elles, enchaînement des concepts, enchaînement des fonctions remplies par la construction de connaissances nouvelles.
L’ENCHAÎNEMENT DE CONNAISSANCES
Comment caractériser l’enchaînement de connaissances proposé par l’Encyclopédie ? Le texte qui figure à la suite de la définition, détaille trois fonctions : rassembler, exposer, transmettre :
- « rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre
- en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons
- le transmettre aux hommes qui viendront après nous ».
L’Encyclopédie est publiée durant vingt-et-une années, de 1751 à 1772. Elle a trois éditeurs : Denis DIDEROT (1713-1784), Jean d’ALEMBERT (1717-1983) et Louis de JAUCOURT (1704-1779), médecin, philosophe et auteur, soutien essentiel – aujourd’hui méconnu – de cette entreprise collective. Les 28 volumes publiés rassemblent une somme inégalée de savoirs sur les sciences, sur les arts, sur les métiers et sur la langue. Ils sont répartis dans 17 volumes de textes et 11 volumes d’illustrations commentées, soit 28 volumes au total. Elle demeure la plus grande entreprise éditoriale du XVIIIe siècle, tant en volume et en capital investi, qu’en force humaine employée. (1)
BOURRASQUES ET TEMPÊTES
« Sa publication souleva bourrasques et tempêtes, et fut par deux fois interdite » rappelle Alexandre GUILBAUD (2). L‘Encyclopédie s’inscrit dans une tradition ancienne des recueils de savoirs, renouvelée par l’essor de l’imprimerie. Elle hérite à la fois des traités techniques réalisés sous Louis XIV, des recueils de mémoires académiques qui voient le jour à la même époque, des dictionnaires universels du XVIIe siècle, écho de la pensée du chancelier Francis BACON (1561-1626), auteur de De Dignitate et augmentatis scientiatium (Du Progrès et de la promotion des savoirs, 1605) et de Novum Organum (Instauratio magna scientiarum, 1620), fondateur des sciences expérimentales modernes.
Les innovations de l’Encyclopédie sont connues :
- intégration des « arts mécaniques » dans le cercle des connaissances,
- place jusque là inédite faite à l’illustration,
- articulation de la logique alphabétique du dictionnaire avec celle, raisonnée, permettant une liaison des connaissances,
- association des scientifiques, philosophes et écrivains du temps (Rousseau, Voltaire, Montesquieu, Daubenton, Diderot, d’Alembert…) dans une œuvre collective.
LA VOLONTÉ CRITIQUE
Ce qui caractérise l’Encyclopédie de façon centrale, c’est une triple volonté critique des savoirs :
- critique de l’élaboration des savoirs,
- critique de la transmission des savoirs,
- critique de la représentation des savoirs.
Elle nous rappelle constamment trois choses :
- le rôle du langage dans la transmission des savoirs,
- l’importance du combat contre les interdits de pensée,
- l’exigence de la reconnaissance des découvertes scientifiques.
L’Encyclopédie est animée par une critique permanente des préjugés qui est associée à une critique de toute autorité. Elle étonne par la modernité de ses questionnements et de ses combats.
RÉFÉRENCES
1. Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751-1772), Édition Numérique, Collaborative et Critique de l’Encyclopédie (ENCCRE), http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/ Consultation effectuée le 29 mai 2018.
Le site propose aux lecteurs d’effectuer des recherches à partir d’un exemplaire original – et complet – conservé à la Bibliothèque Mazarine, à Paris, intégralement numérisé.
2. GUILBAUD Alexandre, « Quand l’esprit critique de l’« Encyclopédie » de Diderot et D’Alembert revit sur le web », The Conversation, 28 mai 2018.
LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS
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Livres de pierre. Détail d’une statue, « Deux angelots soutiennent le monde », École militaire, Paris, 4 juillet 2017. © Photographie Bernard Mérigot / CAD, 2017.
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« Je te regarde et tu ne me vois pas ». Est-ce que c’est nous qui regardons les savoirs, ou bien est-ce que ce sont eux qui nous regardent ? L’Encyclopédie nous pose la question. Affiche publicitaire déchirée sur un quai du métro, Paris, 18 juin 2017. © Photographie Bernard Mérigot / CAD, 2017.
La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°303, lundi 4 juin 2018