LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°221, lundi 7 novembre 2016
L’Institut de la concertation organise le 10 novembre 2016 sa 3e journée d’études annuelle. (1) Elle comprend notamment la présentation de son nouveau manifeste « Nous acteurs de la concertation ». Nous nous sommes entretenu avec Bernard MÉRIGOT, membre de l’Institut de la concertation, qui fait partie des 14 premiers signataires de ce manifeste (2).
ADMIRATEURS ET DÉTRACTEURS
DE LA CONCERTATION
Quelle analyse peut-on faire des phénomènes de participation citoyenne actuels ?
Bernard MÉRIGOT. Il existe une double contradiction qui traverse les phénomènes participatifs. Elle est connue et fait l’objet des recherches du Groupe d’intérêt scientifique (GIS) Participation du public, décision, démocratie participative. (3) Après plus d’une trentaine d’années (1985- 2015), marquées par une réinvention moderne des pratiques de concertation, de participation… et leur institutionnalisation, celles-ci se retrouvent sous le feu des critiques, à la fois par ses détracteurs qui en dénoncent les excès, et par ses partisans qui en déplorent les limites.
« Nous, acteurs de la concertation et de la participation citoyenne… »
Manifeste de l’Institut de la concertation (IDC), février 2015, p. 1
Voir note n°2
« Nous, acteurs de la concertation et de la participation citoyenne… »
Manifeste de l’Institut de la concertation (IDC), février 2015.
Liste des quatorze premiers signataires :
Lucie Anizon (salariée associative), Etienne Ballan (enseignant et salarié associatif), Christophe Beurois (consultant), Loïc Blondiaux (chercheur), Hélène Cauchoix (salariée associative), Judith Ferrando (consultante), Aline Guérin (fonctionnaire territorial), Pierre-Yves Guihéneuf (consultant), Pascal Jarry (fonctionnaire territorial), Laurence Monnoyer-Smith (enseignante et Vice-présidente de la CNDP), Bertrand Paris (consultant et militant associatif), Gilles-Laurent Rayssac (consultant) Bernard Mérigot (rédacteur en chef), Pierre Zémor (haut fonctionnaire, ancien consultant et élu territorial)
AVANCÉES ET RECULS
DE LA CONCERTATION CITOYENNE
Comment caractériser la situation de la concertation citoyenne concernant les politiques publiques locales ?
Bernard MÉRIGOT. Il y a deux phénomènes. Le premier est un phénomène de surface que la communication institutionnelle impose de façon manifeste et visible : il doit être analysé et décodé. Le second est un mouvement de fond qui, pour être perceptible, doit être révélé par la vigilance, l’alerte et l’action citoyenne.
1. En matière de concertation citoyenne de surface, il existe des avancées indéniables. D’abord, pour tout ce qui concerne les dispositions obligatoires prévues par les textes en vigueur comme les grands projets nationaux, ainsi que les projets locaux, qui bénéficient de dispositifs qui sont appliqués. Par exemple par la Commission nationale du débat public (CNDP) ou par les enquêtes publiques qui permettent aux citoyens d’avoir connaissance de dossiers concernant des projets avant qu’ils soient réalisés, de poser des questions et d’obtenir des réponses. D’autre part, pour tout ce qui relève des dispositifs non-obligatoires, on voit des collectivités mettre en place des dispositifs de co-élaboration des décisions en matière de budget participatif, de choix entre plusieurs scénarios d’aménagement, d’appel à projets… Volontairement, des élus et des administrations proposent des instances de concertation.
2. Mais il y a des difficultés et des reculs. D’abord toutes les dispositions obligatoires sont loin d’être appliquées. Combien de projets sont encore conduits dans le secret, au motif que les pouvoirs exécutifs en place considèrent, une fois qu’ils sont élus, qu’ils sont les détenteurs exclusifs de la légitimité politique représentant l’intérêt général.
Ils réfutent toute question qui vient à l’encontre de leurs projets (d’aménagement, de construction, d’urbanisme…), que celle-ci vienne :
- 1. des citoyens : par ce qu’ils défendent des intérêts particuliers,
- 2. des associations militantes : par ce qu’elles sont dans une posture d’opposition systématique,
- 3. des élus minoritaires : par ce qu’ils sont inspirés par des intentions politiques visant à renverser l’exécutif en place.
EN FINIR AVEC LA CULTURE DU SECRET
C’est ainsi que l’on assiste à d’innombrables refus opposés – au mépris de la loi, des textes en vigueur et des avis de la CADA – aux demandes de communications de documents publics. Le citoyen, tout comme le militant, découvre qu’il vit dans un régime qui essaie très souvent à faire passer ses décisions dans le secret. En tout ou en partie, et en mettant tout le monde devant le fait accompli, ou bien cachant telle ou telle disposition en l’ « habillant » par une communication institutionnelle. En surtout en retardant au maximum l’accès aux documents publics. Voire en l’empêchant.
Pour aller d’un point à un autre, je passe par où ?
La concertation citoyenne est un réseau complexe fondé sur le principe des entrelacs et des labyrinthes.
© Photo CAD / BM 2016
TENDANCE GÉNÉRALE DES POUVOIRS EN PLACE :
UNE MÉFIANCE GÉNÉRALISÉE
À L’ÉGARD DES CITOYENS ?
Il existe un jeu de la part de certains élus, de certaines administrations, de certains services publics… de retarder la communication d‘informations publiques sur des projets, ou d’en travestir le contenu, Outre que c’est est dangereux, cela met en péril la reconnaissance que les citoyens ont à l’égard de la démocratie dans laquelle ils vivent.
Un exemple concernant les rapports des commissaires enquêteurs. On sait que ces derniers sont nommés par les présidents des tribunaux administratifs. Les préfets, dans leurs arrêtés mentionnent que les rapports qui sont adressés aux maires et aux présidents d’intercommunalité sont « communicables sans délais ». Et bien pour des enquêtes importantes, comme celles des plans locaux d’urbanisme, des maires et leur administration communale persistent à refuser de communiquer « sans délai » – sous format papier ou sous format numérique – les rapports publics en leur possession. Ils veulent continuer à vivre dans un monde fondé sur la décision solitaire de ce qui est jugé, par eux, comme étant bon pour la collectivité.
En fait, ils sont inquiets de devoir présenter de façon précise, détaillée et documentée, leurs projets, d’écouter les questions posées par les riverains et par les usagers, d’y répondre et de justifier leurs choix.
Qui tire le plus fort la corde ? Les pouvoirs politiques ou les citoyens ?
Atelier organisé dans le cadre de Fête de la science 2016
à l’Université Paris Diderot, Paris
Photo CAD / BM 2016
OBSTACLES ET INSTRUMENTALISATIONS ?
Il existe une double contradiction qui traverse les opinions relatives à la démocratie participative.
- d’une part, la critique d’un excès d’exigences normatives, le « droit à la participation » constitutionnalisé avec la Charte de l’environnement est présenté comme un obstacle à la croissance et au développement,
- d’autre part, les espoirs déçus des dispositifs institués alimentent les critiques d’une instrumentalisation de la participation au service des pouvoirs et aux dépens de résultats significatifs dans les secteurs d’action publique concernés.
UNE REMISE EN CAUSE DE LA DÉMOCRATIE
La démocratie participative et la concertation citoyenne sont des révélateurs de la crise de la démocratie ?
Bernard MÉRIGOT. Il y a un paradoxe qui apparaît dès que l’on considère la triple nature de la démocratie. Celle-ci est à la fois :
- un régime de représentation politique,
- un système d’institutions publiques qui assure la cohésion de la société,
- un ensemble de formes de vie collective, de manières d’être au monde et de vivre ensemble fondées sur le respect de l’égalité.
Lorsque la démocratie s’incarne dans un régime politique qui se réduit à n’être qu’un système électoral, la défiance citoyenne mine les institutions politiques. En revanche, lorsqu’elle consiste à faire société, en expérimentant de nouvelles formes politiques et économiques, en s’emparant des nouvelles technologies pour renouveler l’expérience de la citoyenneté et à inventer les pratiques du commun, elle renforce le sentiment d’appartenance à un régime démocratique.
Il est urgent de passer d’un pouvoir politique qui avait l’habitude d’imposer ses choix à un pouvoir politique qui accepte de débattre avant d’agir. C’est la meilleure prévention pour empêcher les errances citoyennes de non-reconnaissance à l’égard de la démocratie, foyer de toutes les radicalisations possibles.
DOCUMENT
Nous, acteurs de la concertation et de la participation citoyenne…
Manifeste de l’Institut de la Concertation
Février 2015
Nous, acteurs de la concertation et de la participation citoyenne, membres de l’Institut de la Concertation, sommes convaincus :
• Que la participation, sous toutes ses formes et par tous ses canaux, est un pilier de notre démocratie.
• Que le pouvoir des citoyens sur la décision publique doit être renforcé, notamment par le biais de dispositifs ambitieux de concertation publique et de dialogue entre les parties prenantes.
• Que cet effort est nécessaire pour améliorer la qualité de l’action publique, favoriser l’appropriation des projets sur le long terme et pour renforcer la cohésion de notre société.
Nous, acteurs engagés dans l’élaboration et la mise en oeuvre de processus de concertation et de participation citoyenne, constatons le développement de nouvelles pratiques et l’émergence de nouveaux métiers. Nous nous sommes regroupés pour interroger et accompagner ces évolutions : l’Institut de la Concertation est l’espace d’émergence d’une communauté d’acteurs divers et complémentaires au service de la démocratie et de la qualité des projets. Cela nous engage, en particulier, à évaluer et accompagner la recherche sur les processus de concertation et de participation citoyenne.
L’Institut de la Concertation est indépendant. Il constitue le lieu d’une parole libre qui n’engage pas nos institutions et organismes respectifs. Nos débats sont animés par une exigence d’ouverture et de bienveillance ; les concurrences possibles entre nous n’entravent pas nos discussions.
Nos actions consistent à :
• Échanger sur les pratiques, sur leurs fondements théoriques et méthodologiques, sur leurs modes d’évaluation et sur les principes éthiques qui les guident ;
• Améliorer leur visibilité aux yeux des décideurs publics et notamment des collectivités territoriales, des entreprises et du grand public ;
• Créer et animer des espaces de confrontation productifs entre chercheurs, praticiens, acteurs, élus et citoyens, sur les thématiques et enjeux qui émergent au sein des pratiques participatives ;
• Permettre un large accès aux informations, aux initiatives et aux formations sur la concertation et la participation ;
• Interroger les acteurs publics sur les modalités de développement et d’appui à la participation et à la concertation ;
L’Institut de la Concertation contribue ainsi aux débats qui animent la société sur l’évolution et la refondation de notre démocratie.
Rédacteurs et premiers signataires du Manifeste de l’Institut de la Concertation, membres du Conseil d’Administration des Amis de l’Institut de la Concertation
Lucie Anizon (salariée associative)
Etienne Ballan (enseignant et salarié associatif)
Christophe Beurois (consultant)
Loïc Blondiaux (chercheur)
Hélène Cauchoix (salariée associative)
Judith Ferrando (consultante)
Aline Guérin (fonctionnaire territorial)
Pierre-Yves Guihéneuf (consultant)
Pascal Jarry (fonctionnaire territorial)
Laurence Monnoyer-Smith (enseignante et Vice-présidente de la CNDP)
Bertrand Paris (consultant et militant associatif)
Gilles-Laurent Rayssac (consultant)
Signataires
Bernard Mérigot (rédacteur en chef)
Pierre Zémor (haut fonctionnaire, ancien consultant et élu territorial)
Paris, Février 2015
RÉFÉRENCES
1. GROUPE D’INTÉRÊT SCIENTIFIQUE (GIS) Participation du public, décision, démocratie participative, « Les expérimentations démocratiques aujourd’hui : convergences, fragmentations, portées politiques, http://www.participation-et-democratie.fr/fr/node/2150/
2. INSTITUT DE LA CONCERTATION, « Manifeste de l’Institut de la concertation », février 2015, 2 p. http://institutdelaconcertation.org
3. INSTITUT DE LA CONCERTATION, « Présentation du nouveau manifeste de l’Institut de la concertation », 2e Journée de l’Institut de la concertation (IDC), L’Entrepôt, 7 rue Francis de Pressensé, Paris 14e. http://institutdelaconcertation.org
-
Quelle est l’actualité de la concertation et la participation ?
Climat pré-électoral et campagnes pour les primaires avant les élections de mai 2017, Évolutions réglementaires récentes en matière de dialogue environnemental,
Enthousiasme grandissant pour les «civictech» et leurs incidences sur la vie démocratique, Retours deux ans après la mise en place obligatoire des conseils citoyens dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville… -
Quels sont les impacts sur la participation des citoyens ? Débat en présence d’intervenants français et européens qui analyseront la situation de la France à l’aune de ce qui se passe ailleurs.
-
Regards d’ailleurs. Table ronde avec Loïc Blondiaux, professeur au Département de Sciences Politiques de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne; Giovanni Allegretti, chercheur au Center for Social Studies de l’Université de Coimbra (Portugal), membre de l’Autorité régionale de garantie et promotion de la participation et du débat public de Toscane (Italie) ; Jan de Kezel, fondateur de l’agence Createlli (Belgique).
La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°221, lundi 7 novembre 2016
Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819 Dépôt légal du numérique, BNF 2016