Savigny-sur-Orge. La séance du conseil municipal du jeudi 17 mars 2016 diffusée pour la première fois en direct sur Internet ?

L’annonce de la diffusion sur Internet de la séance du conseil municipal de Savigny-sur-Orge, publiée le matin même de la séance par le journal Le Parisien Essonne-matin (1), constitue t-elle une « première » ? Que faut-il en penser dans le cas particulier de la commune ? Bernard MÉRIGOT, membre de l’Observatoire des assemblées délibérantes locales, répond à nos questions.

«Savigny-sur-Orge. Le conseil municipal en direct sur le Web»
Le Parisien Essonne-matin,
17 mars 2016

GARANTIR LE CARACTÈRE PUBLIC
DES DÉCISIONS PUBLIQUES

Question. Vous avez participé aux travaux préparatoires des « États généraux de la démocratie territoriale » organisés à Paris les 4 et 5 octobre 2012 par le Sénat (Atelier « Approfondir la démocratie territoriale »). Vous posiez la question suivante, il y a presque quatre ans maintenant : « Les instances où des décisions publiques qui sont délibérées sont-elles publiques ? ».
Vous poursuiviez en faisant cette remarque « la question est d’actualité depuis qu’Internet offre la  possibilité de la présence numérique de personnes à distance, et ce, en direct ou en différé (« replay »), puisque les communes et les autres collectivités territoriales ont la possibilité de diffuser en direct leurs séances sur leur site, et des enregistrements vidéo ». Pour conclure enfin  : « Il faut prendre en compte que des enregistrements vidéo peuvent être réalisés aujourd’hui par n’importe qui avec un simple téléphone et être immédiatement diffusés. La pratique de la démocratie ne peut ignorer ces faits. » (2)
Qu’en pensez vous aujourd’hui ?

Bernard MÉRIGOT. De nombreuses communes diffusent les séances publiques de leurs conseils municipaux. Il y a le cadre général, et il y a les cas particuliers. On peut les examiner de trois façons, en considérant leur chronologie, en considérant leur continuité, en considérant leur opportunité.
En Essonne, il y a eu à Viry-Châtillon dans les années 2000, l’initiative des maires Gabriel AMARD poursuivie par Simone MATHIEU qui ont instauré et maintenu la diffusion en direct des séances du conseil municipal. Elles ont été interrompues par Jean-Marie VILAIN, élu en 2014. Elles n’ont pas reprises à ma connaissance.
On doit constater le caractère intermittent de certaines diffusions. Ainsi le conseil territorial de l’établissement public territorial n° 12 (EPT 12), qui comprend 24 communes se réunissant à Vitry-sur-Seine, a vu sa première séance du 12 janvier 2016 filmée et diffusée en direct. La seconde séance du 26 janvier 2016 n’a été ni filmée, ni diffusée. La troisième séance du 16 février 2016 n’ été ni filmée, ni diffusée.
Ma conclusion est que ces dispositifs démocratiques ne sont pas encore stabilisés, ni par des textes, ni par les exigences citoyennes. Ils subissent le « bon vouloir » des exécutifs.

Dispositif de prise de vue pour la diffusion en direct
de la séance publique du Conseil territorial de l’EPT 12
(Établissement public territorial 12)
Séance du 12 janvier 2016
Hôtel de Ville de Vitry-sur-Seine
©  Photo CAD / BM 2016

PAS DE DÉMOCRATIE
SANS MOBILISATION CITOYENNE

Question. Qu’entendez-vous par « des pratiques démocratiques qui ne sont pas encore stabilisées » ?

Bernard MÉRIGOT. Il ne faut pas se cacher qu’une assemblée délibérante publique est considérée par l’anthropologie sociale comme un « dispositif social ». Dans l’exemple de la diffusion vidéo de séances publiques, celle-ci dépend de tensions démocratiques complexes (TDC) : conscience de l’image de soi des élus et de l’administration, désir et crainte d’apparaître, « soin » de répondre à une obligation de transparence, pente naturelle au secret…. Nous sommes loin d’une « conscienciation » d’un Open Data concernant l’accès à tous les documents publics, d’un possible téléchargement – sans limite de temps de mise en ligne – depuis une plateforme dédiée ou d’un podcasting généralisé des séances de conseil ou de commission des collectivités territoriales.

Je rappelle le cas de l’EPT 12 que j’ai mentionné :

  • 1. Séance publique du 12 janvier 2016 : vidéo diffusée en direct + replay à la demande,
  • 2. Séance publique du 26 janvier 2016 : pas de vidéo,
  • 3. Séance publique du 16 février 2016 : pas de vidéo.

Le problème est que personne ne s’est inquiété, ni le 26 janvier, ni le 16 février de la disparition de la diffusion des séances. Aucun élu n’a demandé : « Mais où sont passées les caméras ? ». L’assemblée a trouvé normal d’être visible pas tous le 12 janvier pour sa première séance, et confidentielle les 26 janvier et 16 février pour sa deuxième et troisième séance. Il faut rappeler que le Conseil territorial de l’Établissement public 12 (EPT 12) gère un territoire qui comprend 24 communes, et 677 462 habitants. Cela prouve que toute les avancées démocratiques sont fragiles. Si elles ne sont pas soutenues par une mobilisation citoyenne, elle s’arrêtent.

LES TENSIONS DÉMOCRATIQUES COMPLEXES

Question. A quelles tensions démocratiques complexes (TDC)  pensez-vous ?

Bernard MÉRIGOT. Je pense à toutes les initiatives, individuelles et collectives, qui expriment la demande sociale. N’oublions pas, comme le démontrait si bien Georges LAPASSADE – et d’une façon combien dérangeante –  que ce ne sont jamais les institutions qui expriment cette demande.
Dans le cas de la diffusion institutionnelle par Internet de la séance du conseil municipal de Savigny-sur-Orge, il faut relever qu’elle intervient après plusieurs années de pratiques militantes, notamment d’un habitant de la commune (3). Les anthropologues savent que les avancées sociales et politiques traversent trois stades : indifférence, opposition et conflit, acceptation. Lorsqu’elles s’imposent, c’est toujours dans la difficulté. Elles deviennent des habitudes. Et rien ne garantit que leur disparition ne se produise pas dans les mêmes conditions, comme dans l’exemple de l’EPT 12. Plus que jamais « le soin démocratique » s’impose comme une nécessité collective, une obligation morale.

CE QUE LA DIFFUSION INTERNET
DES SÉANCES DES ASSEMBLÉES LOCALES CHANGE

Question. La diffusion des vidéos par Internet est-elle un perfectionnement de la démocratie locale, ou bien un changement de type de démocratie ?

Bernard MÉRIGOT. Les deux. C’est un achèvement parce que nous ne sommes plus dans le cas des communes rurales où n’importe quel habitant pouvait se rendre à la « maison commune », c’est à dire à la mairie, pour assister à une séance publique du conseil municipal et qui décidait de tout ce qui constituait la vie locale. Aujourd’hui, les décisions sont prises à une autre échelle, dans des territoires plus vastes (communautés, établissements publics, métropoles…). Et les lieux de décision se sont éloignés des citoyens.
C’est aussi un changement de type de démocratie parce que l’on se rend très bien compte que la diffusion des séances publiques par Internet n’est qu’une étape vers une hyper-démocratie connectée. Elle se définit simplement comme la mise en place de dispositifs qui visent à ce que tout soit visible et accessible, à tout moment, par tous. A la condition qu’un contrôle démocratique soit exercé afin d’empêcher toute manipulation par les exécutifs majoritaires à l’égard des minorités.

EMPÊCHER TOUTE ALTÉRATION DE LA VÉRITÉ

L’un des effets essentiel est d’empêcher la manipulation des comptes rendus des débats des séances publiques. Nous en avons de nombreux cas à l’Observatoire des assemblées délibérantes locales. Des maires disent des choses en séance publique, comme les enregistrements l’attestent. Et puis, ils publient un compte rendu des débats. La comparaison entre 1. ce qui a été dit et 2. ce qui est transcrit est édifiante : des propos sont censurés et des propos sont ajoutés. (4) Certains compte rendus de débats sont entièrement réécrits intentionnellement. Ce sont des fictions littéraires qui ont un rapport éloigné et partisan avec la vérité.

Les enregistrements vidéo des séances publiques des conseils municipaux constituent un progrès démocratique à l’égard d’altérations intentionnelles de la vérité. Ils constituent des garanties dans la mesure cinq conditions sont réunies :

  • 1. ils sont faits de façon objective (disposition des caméras, alternance des plans…),
  • 2. ils sont réalisés sans coupure,
  • 3. ils sont diffusés en direct sur Internet,
  • 4. ils sont mis en ligne pour être téléchargeables sans limite de temps,
  • 5. ils sont archivés et consultables au même titre que le Registre des délibérations.

L’avenir du caractère démocratique des assemblées délibérantes publiques est à ce prix.

RÉFÉRENCES

1. Le Parisien Essonne-matin, 17 mars 2016, p. I.

« Savigny-sur-Orge. Le conseil municipal en direct sur le Web. A partir de ce soir (20 h 30), les séances du conseil municipal de Savigny-sur-Orge seront retransmises en simultané sur le site de la ville (www.savigny.org). « Nous faisons entrer le débat démocratique au cœur de chaque foyer. Il s’agit d’un acte important dans le processus de modernisation des pratiques municipales, estime le maire (LR) Éric Mehlhorn. Cette nouveauté n’impliquera pas de dépenses supplémentaires pour la collectivité : les services municipaux disposaient déjà d’un savoir faire la en matière qui était exploité par le passé pour l’organisation d’événements comme le salon du jeu vidéo ou les vœux. »

2. MÉRIGOT Bernard, « Conseils municipaux. Le public peut-il assister aux séances ? Peut-on les diffuser par Internet ? », http://savigny-avenir.info, 22 octobre 2012.
http://www.savigny-avenir.fr/2012/10/22/conseils-municipaux-le-public-peut-il-assister-aux-seances-peut-on-les-diffuser-par-internet/

Conseils municipaux. Le public peut-il assister aux séances ? Peut-on les diffuser par Internet ? Posted on 22 octobre 2012 by Bernard MÉRIGOT LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR DE JULES FERRY À INTERNET Bernard MÉRIGOT a participé aux travaux préparatoires des « États généraux de la démocratie territoriale » organisés à Paris les 4 et 5 octobre 2012 par le Sénat (Atelier … Continue reading → Posted in Code électoral, Conseil municipal, Culture politique, École de citoyens, États généraux de la démocratie territoriale 2012 (Sénat), Gouvernance locale, La lettre du lundi MALA/Savigny-avenir, Participation citoyenne |

3. VAGNEUX Olivier, « La vidéo du conseil municipal du 13 avril 2015 », 14 avril 2015, http://www.le savinien liberé
https://oliviervagneux.wordpress.com/2015/04/14/la-video-du-conseil-municipal-du-13-avril-2015-a-savigny-sur-orge/

« Là, ma caméra ne fonctionnait pas. Mais cela fera un an au 10 juin 2015 que je filme les Conseils municipaux et ceux de l’agglomération. Donc il faut aussi arrêter l’hypocrisie car je n’ai qu’une centaine de vues pour ceux que je publie. Non, les citoyens ont renoncé à savoir à quoi servent leurs impôts. On rejoint parfaitement le discours sur la Servitude volontaire de la Boétie. »

4. COMMUNE DE SAVIGNY-SUR-ORGE, Conseil municipal, Registre des délibérations, Séance du 26 mars 2012.

Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819
Dépôt légal du numérique, BNF 2016

This entry was posted in Conseil municipal, Démocratie locale, Démocratie numérique, Démocratie participative, Établissement public territorial (EPT 12), Établissements publics territoriaux (EPT), Internet, Internet et démocratie locale, Savigny-sur-Orge, Séance publique deconseil municipal, Web. Bookmark the permalink.

Comments are closed.