CHRONIQUE SUR UN CUMUL PAS ORDINAIRE
« Peut-on être à la fois sénateur suppléant et député suppléant ? » Telle était la question que nous posions ici même le 14 juillet 2012. On sait que Samuel BAROUKH, conseiller municipal (UMP) de Savigny-sur-Orge, a été 4e suppléant de la liste des élections sénatoriales conduite par Serge DASSAULT en septembre 2011. On sait également que le même Samuel BAROUKH a été suppléant de Françoise BRIAND (UMP) lors des élections législatives de juin 2012.
Un tel cumul est strictement interdit par la loi. C’est ce que vient de rappeler le Conseil constitutionnel dans deux décisions rendues le 18 octobre 2012. C’est donc à bon droit, et avec raison, que nous avons posé cette question. Nous nous interrogions sur les effets de cette double suppléance, notamment sur Françoise BRIAND, si elle avait été élue (ce qui n’a pas été le cas, puisque c’est Éva SAS qui l’a été).
On parle du cumul des mandats. Il faut aussi parler du cumul des suppléances ! La surdité démocratique se répand. Comment se fait-il qu’en politique, ceux qui prétendent tout savoir ne veulent pas entendre les questions de vérité ?
Bernard MÉRIGOT
COMMUNIQUÉ DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
En application de l’article 59 de la Constitution le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l’élection des députés. À la suite des élections législatives des 10 et 17 juin 2012, le Conseil a été saisi de 108 contestations relatives à 84 circonscriptions électorales.
Par des décisions des 13 juillet, 20 juillet, 9 août, 4 octobre et 11 octobre, le Conseil a rejeté 57 requêtes dirigées contre les opérations électorales dans 48 circonscriptions électorales (par ailleurs, une requête était dirigée contre les opérations sur l’ensemble des circonscriptions du département de la Seine-Saint-Denis et une autre visait tous les départements).
Par trois nouvelles décisions du 18 octobre, le Conseil a rejeté les requêtes dirigées contre les opérations électorales dans la 3ème circonscription de Polynésie française et dans les 7ème et 12ème circonscriptions des Bouches-du-Rhône.
Par deux autres décisions du même jour, le Conseil constitutionnel a annulé les opérations électorales des 10 et 17 juin 2012 dans la 13ème circonscription des Hauts-de-Seine et dans la 1ère circonscription du Val-de-Marne. MM. Devedjian et Plagnol, candidats respectivement élus dans l’une et l’autre de ces circonscriptions avaient choisi comme suppléants respectifs MM. Siffredi et Leroy. Ces derniers étaient suppléants de sénateurs.
Cependant l’article L.O. 134 du code électoral interdit à un remplaçant d’un sénateur ou d’un député d’être remplaçant d’un candidat à l’Assemblée nationale.
Constatant le non-respect de cette disposition, le Conseil a procédé à l’annulation des opérations électorales dans les deux circonscriptions.
Il a préalablement écarté une question prioritaire de constitutionnalité posée par MM. Devedjian et Plagnol qui soutenaient que l’article L.O. 134 était contraire à la Constitution. Le Conseil constitutionnel avait, en effet, déjà jugé cet article conforme à la Constitution par une décision du 10 juillet 1985.
Par ailleurs il a relevé qu’aucun texte ne permet de renoncer à la qualité de suppléant de parlementaire ce qui rendait sans incidence sur l’application de l’article L.O. 134 du code électoral la circonstance que M. Siffredi avait entendu démissionner de cette qualité en mai 2012.
À la suite de l’annulation de ces deux élections, il appartient au Gouvernement, dans les conditions fixées par le code électoral, d’organiser de nouvelles élections dans la 13ème circonscription des Hauts-de-Seine et dans la 1ère circonscription du Val-de-Marne.
Le Conseil constitutionnel demeure saisi de 9 requêtes sans grief financier dirigées contre des opérations électorales dans 8 circonscriptions. Il les jugera avant la fin du mois d’octobre.
Par ailleurs, il pourra statuer à partir de la mi-novembre, à la suite des décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, sur les 31 dernières contestations relatives à 29 circonscriptions législatives. »
DOCUMENT
« Décision n° 2012-4563/4600 AN du 18 octobre 2012
Assemblée nationale, Hauts de Seine, 13e circonscription
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu 1°, la requête n° 2012-4563 présentée pour M. Julien LANDFRIED, demeurant à Paris, par Me Philippe Bluteau, avocat au barreau de Paris, enregistrée le 20 juin 2012 au secrétariat général du Conseil constitutionnel et tendant à l’annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé les 10 et 17 juin 2012, dans la 13ème circonscription des Hauts-de-Seine pour la désignation d’un député à l’Assemblée nationale ;
Vu 2°, la requête n° 2012-4600 présentée par M. Michel VOLPARI demeurant à Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine) enregistrée comme ci-dessus le 27 juin 2012 et tendant aux mêmes fins ;
Vu les mémoires en défense présentés pour M. Patrick DEVEDJIAN, député, par Me Olivier Schnerb, avocat au barreau de Paris, enregistrés comme ci-dessus les 27 juillet et 12 septembre 2012 ;
Vu les observations présentées par le ministre de l’intérieur, enregistrées comme ci-dessus les 27 et 30 juillet 2012 ;
Vu le mémoire en défense présenté pour M. Georges SIFFREDI, suppléant de M. DEVEDJIAN, par Me Emmanuel Vital-Durand, avocat au barreau de Paris, enregistré comme ci-dessus le 20 août 2012 ;
Vu le mémoire présenté par M. VOLPARI, enregistré comme ci-dessus le 24 août 2012 ;
Vu les mémoires et observations présentés pour M. LANDFRIED, enregistrés comme ci-dessus les 29 août et 10 septembre 2012 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées comme ci-dessus le 30 août 2012 ;
Vu les autres pièces produites et jointes aux dossiers ;
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu l’ordonnance n° 58-998 du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux conditions d’éligibilité et aux incompatibilités parlementaires ;
Vu l’ordonnance n° 59-224 du 4 février 1959 complétant et modifiant l’ordonnance n° 58-998 du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux conditions d’éligibilité et aux incompatibilités parlementaires ;
Vu la loi organique n° 85-689 du 10 juillet 1985 relative à l’élection des députés des territoires d’outre-mer, de la collectivité territoriale de Mayotte et de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, et la décision du Conseil constitutionnel n° 85-194 DC du même jour ;
Vu le décret n° 64-1086 du 27 octobre 1964 portant révision du code électoral ;
Vu le code électoral ;
Vu le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs ;
Me Schnerb pour M. DEVEDJIAN et Me Bluteau pour M. LANDFRIED ayant été entendus à l’audience du 9 octobre 2012 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre la même élection ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
2. Considérant qu’à l’appui de sa requête dirigée contre les opérations électorales organisées les 10 et 17 juin 2012 dans la 13ème circonscription des Hauts-de-Seine, M. LANDFRIED soutient que M. SIFFREDI, suppléant de M. DEVEDJIAN, a la qualité de remplaçant d’un sénateur et était, par suite, inéligible, en application des dispositions de l’article L.O. 134 du code électoral ; que M. DEVEDJIAN soutient en défense que cet article porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ;
SUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ :
3. Considérant qu’aux termes de l’article L.O. 134 du code électoral : « Un député, un sénateur ou le remplaçant d’un membre d’une assemblée parlementaire ne peut être remplaçant d’un candidat à l’Assemblée nationale » ;
4. Considérant que, selon les auteurs de la question prioritaire de constitutionnalité, ces dispositions méconnaissent l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’article 3 de la Constitution ;
5. Considérant que les dispositions de l’article L.O. 134 du code électoral sont issues de l’article 6 de l’ordonnance du 24 octobre 1958 susvisée, dans la rédaction que lui a donnée l’article 1er de l’ordonnance du 4 février 1959 susvisée ; que ces dispositions ont été codifiées par le décret du 27 octobre 1964 susvisé ; qu’aux termes de l’article 5 de la loi organique du 10 juillet 1985 susvisée, ont « force de loi » les dispositions de l’ordonnance du 24 octobre 1958 « contenues dans le code électoral (partie législative) telles que modifiées et complétées par les textes subséquents » ; que le Conseil constitutionnel a déclaré la loi organique du 10 juillet 1985 conforme à la Constitution au considérant 2 et à l’article premier de sa décision du 10 juillet 1985 susvisée ;
6. Considérant que les dispositions contestées ont été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ; qu’en l’absence de changement des circonstances, il n’y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, d’examiner la question prioritaire de constitutionnalité susvisée ;
SUR L’APPLICATION DES DISPOSITIONS DE L’ARTICLE L.O. 134 DU CODE ÉLECTORAL :
7. Considérant que M. SIFFREDI figurait sur une liste de candidats aux élections sénatoriales qui se sont déroulées dans le département des Hauts-de-Seine le 25 septembre 2011, immédiatement après Mme Isabelle DEBRÉ, candidate proclamée élue ; qu’en application des dispositions de l’article L.O. 320 du code électoral, M. SIFFREDI avait ainsi la qualité de remplaçant d’un sénateur au sens de l’article L.O. 134 du même code ;
8. Considérant que la qualité de remplaçant d’un parlementaire ne confère pas à ce remplaçant une fonction dont il pourrait se démettre ; qu’aucun texte ne lui permet de renoncer, par avance, à exercer son mandat dans l’hypothèse où le siège deviendrait vacant ; que, dès lors, si M. SIFFREDI a adressé au président du Sénat, au président du Conseil constitutionnel et au préfet des Hauts-de-Seine, le 7 mai 2012, une lettre par laquelle il informait ces autorités de sa décision de « démissionner » de sa qualité de remplaçant, cette circonstance est sans incidence sur l’application de l’article L.O. 134 du code électoral ;
9. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. SIFFREDI ne pouvait être remplaçant de M. DEVEDJIAN, candidat dans la 13ème circonscription des Hauts-de-Seine lors des élections législatives des 10 et 17 juin 2012 ;
10. Considérant que, selon l’article L.O. 189 du code électoral, le Conseil constitutionnel, « statue sur la régularité de l’élection tant du titulaire que du remplaçant » ; qu’il y a lieu, en raison de l’inéligibilité de M. SIFFREDI, d’annuler l’élection de M. DEVEDJIAN ;
11. Considérant qu’il n’y a pas lieu, par suite, de statuer sur la requête de M. VOLPARI,
D É C I D E :
Article 1er.- Il n’y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité présentée par M. Patrick DEVEDJIAN.
Article 2.- Les opérations électorales qui ont eu lieu les 10 et 17 juin 2012 dans la 13ème circonscription des Hauts-de-Seine sont annulées.
Article 3.- Il n’y a pas lieu de statuer sur la requête de M. Michel VOLPARI.
Article 4.- La présente décision sera notifiée au président de l’Assemblée nationale et publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 octobre 2012, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ. » (3)
Note du 12 décembre 2012
Samuel BAROUKH nous fait savoir qu’il ne figurait pas «immédiatement» après un candidat élu et qu’il ne pouvait donc pas être considéré comme remplaçant d’un sénateur au sens de l’article L.O. 320 du Code électoral. Selon lui, aucune inéligibilité ne le menaçait, pas davantage que Françoise BRIAND.
Cela démontre le bien fondé de nos réflexions : le Code électoral doit être complété pour :
- 1. limiter le cumul des mandats,
- 2. limiter le cumul des suppléances.
C’est à la loi d’exclure cette notion incompréhensible selon laquelle un suppléant qui ne suit pas «immédiatement» un élu «ne doit pas être considéré comme étant un remplaçant» !
La théorie selon laquelle la «non-immédiateté» annulerait l’effet du cumul est fausse. On peut le démontrer facilement par ce simple syllogisme :
- I. Les élus sont mortels.
- II. Leurs suppléants sont mortels.
- III. Donc, tous les suppléants peuvent un jour devenir élus !
Le législateur doit réformer le Code électoral. Vite !
Bernard MÉRIGOT
RÉFÉRENCES
1. « Samuel Baroukh a-t-il enfreint le code électoral ? », www.savigny-avenir.info, 14 juillet 2012.
2. CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision n° 2012-4563/4600 AN du 18 octobre 2012.
3. CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Communiqué de presse, 18 octobre 2012.