QUESTIONS SUR L’ÉTAT DU DOSSIER (QSED)
Tout ce qui est durable – le développement durable, comme la ville durable – subissent ce qui tient à la nature propre de l’objet « durable » : il masque les transversalités critiques. Deux extrêmes s’attirent et se repoussent à la fois. Elles ont chacune un nom : Hégémonie et Marginalité.
Quel approche réflexive peut-on avoir sur ces deux sujets (le développement durable et la ville durable) :
- sur les appuis théoriques ?
- sur les démarches empiriques ?
- sur les exemples étudiés ?
- sur les objectifs visés ?
Quelle analyse peut-on faire des fondements des critiques, de la cohérence et des limites qu’elles rencontrent (que ces dernières soient d’ordre pratique, épistémologique, théorique ou autres).
- Comment poser les jalons d’une sociologie des approches critiques du développement et de la ville durables ?
- Comment donner une lisibilité à cette diversité critique ?
- Comment mettre en évidence les options théoriques communes ?
- Comment participer à la théorisation des fondements de la critique du développement et de la ville durables ?
Retenons quatre thémes de réflexion :
1. La croissance insoutenable,
2. La « gouvernementalisation » des conduites,
3. La démocratie technique,
4. La justification écologique.
QUESTION n°1
QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DE LA CROISSANCE INSOUTENABLE ?
Les conventions sociales qui structurent habituellement, tant les situations que les collectifs constitués, sont aujourd’hui éprouvées par un double processus contradictoire :
- de fragmentation,
- de mondialisation.
L’analyse de ce double processus, en terme de développement durable, est portée par la plupart des institutions internationales. Elle déplace l’attention des inégalités sociales vers les inégalités écologiques (par exemple, celles liées à la montée des eaux).
La nature apparaît comme un nouveau moyen de créer du bien commun.
Les inégalités écologiques sont abordées en considérant la « rareté relative » des biens environnementaux (1) puisqu’elles se préoccupent de « ce que la nature peut supporter » (2). D’ou l’inévitable concept de décroissance qui met à nu les contradictions essentielles de l’approche du développement durable (3).
Est-ce qu’une alternative radicale peut inspirer l’ensemble des entreprises critiques du développement durable ?
QUESTION n°2
QU’EST-CE QUE LA « GOUVERNEMENTALISATION » DES CONDUITES ?
Les approches de développement durable tentent de régler les conduites des populations :
- en inventant de nouvelles pratiques de responsabilité sociale,
- en pratiquant une gouvernance susceptible d’organiser une socialisation en-deça du droit (4).
L’inflation d’indicateurs, qui est caractéristique de ces approches, témoigne de l’importance grandissante des technologies de gouvernement et du changement dans cette mise en ordre des populations. C’est ce qui justifie le déploiement d’une « politique de gouvernement » en matière d’environnement au sens large, en opposition avec la construction libérale dominante qui s’y oppose.
Cette « politique de gouvernement » est-elle en mesure de donner des instruments susceptibles de provoquer son propre dépassement ?
QUESTION n°3
QUELLES SONT LES LIMITES DE LA DÉMOCRATIE TECHNIQUE ?
Les politiques de la nature, abordée à travers la problématique d’une démocratie technique, consiste essentiellement à savoir « comment faire entrer les sciences en démocratie » (5). Le sens du développement durable repose sur le caractère performant des outils qu’il se donne pour répondre aux enjeux qu’il soulève.
Les concepts portés par ce courant de recherche (« forums hybrides » (6), « balistique » (7)) reposent sur un principe de symétrie qui conduit à s’intéresser aux processus de construction des controverses environnementales (OGM, tracés de ligne TGV…).
La dimension procédurale de ces objets ne repose-t-elle pas sur une confiance excessive dans les potentialités critiques des dispositifs ?
QUESTION n°4
QUELLES JUSTIFICATIONS ÉCOLOGIQUES SONT ACCEPTABLES ?
Partant le plus souvent d’une approche en termes « d’arènes d’engagement public » (8), la sociologie de la justification qui s’est intéressée à l’environnement s’est d’abord attachée à rendre compte :
- des stratégies,
- des intérêts,
- des légitimations,
qui interviennent lors des conflits d’aménagement. À cette occasion, les acteurs travaillent dans une « grandeur verte » (9) qui est susceptible :
- d’intégrer la nature dans des ordres de justification existants,
- de conduire à l’élaboration d’un nouvel ordre,
- de remettre en cause profondément la matrice commune à ces ordres et l’assise qu’elle offre aux entreprises critiques.
Promu par les institutions, le « développement durable » s’appuie sur la croyance en une remise en cause profonde des ordres existants pour inverser le sens du monde, en modifiant nombre de comportements majoritairement acceptés et transmis.
Est-ce que l’on tient compte du fait que les populations (les consommateurs, les habitants, les usagers, les citoyens, les patients…) sont les premiers à mettre à l’épreuve, au quotidien, les différents dispositifs qui leur sont prescrits ? Tout dépend de leur réappropriation et de leur réinvention.
Le développement durable ne serait-il pas un modèle qui, aujourd’hui, sature aussi bien les modes de légitimation des institutions que les cadres de l’expérience que celles-ci tentent de mettre en œuvre ?
Bernard MÉRIGOT
RÉFÉRENCES
1. RAWLS J. (1987), Théories de la justice, Paris, Seuil.
2. JONAS H. (1990), Le principe de responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Paris, éditions du Cerf.
3. LATOUCHE S. (2003), « L’imposture du développement durable ou les habits neufs du développement », Mondes en développement, Vol.31-2003/1, n°121.
4. GAUTIER C. (1996), « A propos du « gouvernement des conduites » chez Foucault : quelques pistes de lecture », La Gouvernabilité, Paris, Presses Universitaires de France.
5. LATOUR B. (1999), Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie ?, Paris, La Découverte.
6. CALLON M., LASCOUMES P., BARTHE Y. (2001), Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil.
7. CHATEAURAYNAUD F. (2010), Argumenter dans un champ de forces. Essai de balistique sociologique, Paris, Petra.
8. CEFAÏ D., TROM D. (dir.) (2001), Les formes de l’action collective. Mobilisations dans des arènes publiques, Paris, Editions de l’EHESS, Collection « Raisons pratiques ».
9. THÉVENOT L., LAFAYE C. (1993), « Une justification écologique? Conflits dans l’aménagement de la nature », Revue française de Sociologie, 34 (4), p. 495-524.
N.B. Un colloque « Sociologie des approches critiques du développement et de la ville durables » est organisé à Paris, les 1er et 2 février 2012, par Jérôme BOISSONNADE Le Comité scientifique est présidé par Catherine LARRERE (Université de Paris I) et Francis CHATEAURAYNAUD (EHESS).