LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°191, lundi 11 avril 2016
Les décisions publiques locales, prises par les assemblées délibérantes, sont-elles directement intelligibles pour les citoyens ? Où bien nécessitent-elles un décryptage ? Telle est la question que l’on doit se poser face à la complexité croissante du paysage institutionnel actuel des collectivités territoriales. C’est à cette question même qu’a répondu François DUROVRAY, président du conseil départemental de l’Essonne, en proposant aux médias un point presse consacré au « décryptage » des délibérations présentées le lundi 11 avril 2016 en séance publique de l’assemblée départementale. (1)
François DUROVRAY, Président du conseil départemental de l’Essonne (à droite)
Caroline PARÂTRE, Vice-présidente déléguée à l’éducation, aux collèges et à l’accès aux savoirs (à gauche)
Point-presse du lundi 4 avril 2016, Évry, Hôtel du département
© Photo CAD / BM 2016
9 196 167 €
POUR DES RÈGLEMENTS DE CRÉANCES IMPAYÉES
Neuf délibérations inscrites à l’ordre du jour de la séance publique du lundi 11 avril 2016 du conseil départemental de l’Essonne portent sur un apurement de dettes du conseil général qui sont antérieures à 2015. Elles portent un intitulé mystérieux : « Protocoles d’accord pour paiement ordonné et soutenable des tiers détenant des créances impayées à l’égard du département de l’Essonne » et se montent, pour cette seule séance, au vote d’une enveloppe de 9 196 167 €. Des séances prochaines seront appelées à voter d’autres protocoles. Au final, ceux-ci devraient se monter à un total d’environ 27 000 000 € (27 millions d’euros). Bernard MÉRIGOT, rédacteur en chef de Territoires et démocratie numérique local a interrogé François DUROVRAY, président du conseil départemental depuis mars 2015.
Bernard MÉRIGOT. Le conseil départemental de l’Essonne est entré en ce mois d’avril dans un processus de règlement de ses impayés.
Tout le monde a entendu la mise en cause que vous avez faite de la responsabilité de l’exécutif départemental qui était en place jusqu’en mars 2015. La comptabilité publique est fondée sur deux fonctions : celle de l’ordonnateur (le président du conseil général (nouveau nom du conseil départemental) et celle du comptable public.
Comment en est-on arrivé à la situation présente de cette masse d’impayés ? Comment expliquer les retards des paiements, les glissements continus d’un mois sur l’autre, d’une année sur l’autre ? Comment expliquer que personne ne soit intervenu ? Il y a une double responsabilité, celle des services de l’ordonnateur et celle des services du comptable.
La responsabilité de l’État, représenté par le contrôle de légalité, par le comptable public, par la Chambre régionale des Comptes n’est-elle pas infiniment plus lourde que celle de l’ordonnateur ?
François DUROVRAY. « C’est la raison pour laquelle j’ai déposé plainte auprès du Procureur de la République pour que la lumière soit faite. Lorsque j’en discute avec le préfet ou avec le président de la Chambre régionale des comptes, ils me disent que c’était difficilement détectable puisque qu’ils n’étaient pas saisis de relances et que les factures finissaient par être payées… de plus en plus tard.
Le président de la Chambre régionale des comptes, c’est tout juste s’il ne dit pas qu’on ne s’est pas rencontré. Il a sorti des tableaux que je n’ai jamais vus. Il dit « On aurait dû se rendre compte qu’il y avait des problèmes chez vous ».
Toutes les collectivités publiques en France ont des trésoreries larges en début d’année et plutôt tendues en fin d’année. Or chez nous, au Conseil général de l’Essonne, c’était l’inverse : la trésorerie était tendues en début d’année et larges en fin d’année. On aurait du être alertés par cette situation.
Maintenant je ne suis pas à la place de la Chambre régionale des comptes. Je ne suis pas juge, ni même censeur. Je laisse au Procureur de la République le soin de donner la suite qu’il souhaite à la plainte que j’ai déposée au nom du département ».
LA FIN DES RETARDS DE PAYEMENT ?
Une telle situation peut-elle se renouveler ? François DUROVRAY indique qu’à l’ordre du jour de la séance publique du 11 avril 2016 figure une délibération permettant au Conseil départemental de l’Essonne d’être candidat à une procédure de certification des comptes. « Je me suis engagé pour que la situation ne se renouvelle pas. La certification des comptes n’est pas obligatoire pour les collectivités territoriales. Elle est ouverte par la loi « NOTRe » (Loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, JO du 8 août 2015), et je propose de nous engager dans ce processus ».
RENDRE PLUS CLAIRE LA CHOSE POLITIQUE
La fonction sur laquelle nous nous interrogeons ici n’est pas imaginaire. Elle est concrète, et identifiée comme étant celle du politiste. Nicolas ROUILLOT définit le politiste comme un individu qui se spécialise dans l’étude des sciences politiques. « Ce n’est ni un moraliste, ni un philosophe mais un analyste qui cherche à rendre plus claire la chose publique ». (2)
Vaste et ambitieux projet que celui de vouloir rendre plus claire la chose politique. Il suppose que le politiste dispose des moyens d’interrogation et d’interpellation des actes et des pratiques publiques. Agathe CAGÉ fixe deux finalités à un tel projet. « Par les objets qui sont les siens (institutions, décision publique, partis politiques, élections, mouvements sociaux, etc.), le politiste, bien plus que tout autre chercheur en sciences humaines et sociales, interroge quasi quotidiennement dans son travail son choix de la réflexivité face à celui de l’action. » (3)
Aspirer à l’existence d’une République forte, ce n’est pas appeler de ses voeux un pouvoir autoritaire. C’est attendre de la puissance publique qu’elle soit rigoureuse à l’égard de tous les manquements à la loi. Il toujours singulier de prendre la mesure du silence de l’État et de son refus de jouer le rôle que le citoyen attend de lui. Le contrôle de légalité du préfet exercé sur les collectivités territoriales relève de la fiction et le fonctionnement de l’État demeure, d’une façon permanente, un sujet d’interrogation citoyenne.
« Le préfet est l’arbitre des intérêts généraux et peut estimer, dans certaines circonstances, que l’intérêt général sera mieux préservé en fermant les yeux sur une illégalité minime ou sans conséquence plutôt que de provoquer des tensions, des coûts ou des retards en recherchant une application stricte de la légalité ». (4)
RÉFÉRENCES
1. CONSEIL DÉPARTEMENTAL DE L’ESSONNE, « Point presse », lundi 4 avril 2016, Évry, Hôtel du département. Ordre du jour : « Décryptage des délibérations présentées à la prochaine assemblée départementale, le lundi 11 avril 2016».
2. ROUILLOT Nicolas, http://www.le-politiste.com/p/finances-publiques.html
3. CAGÉ Agathe, « De quoi «politiste» est-il le nom ? », Libération, 22 juillet 2013, http://www.liberation.fr/france/2013/07/22/de-quoi-politiste-est-il-le-nom_920021
4. MÉRIGOT Bernard, « Le contrôle de légalité de l’État sur les délibérations des conseils municipaux est-il une fiction ? », http://www.savigny-avenir.fr/2015/05/05/le-controle-de-legalite-de-letat-sur-les-deliberations-des-conseils-municipaux-est-il-une-fiction/
Article en ligne sur http://www.savigny-avenir.fr
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Le contrôle de légalité de l’État sur les délibérations des conseils municipaux est-il une fiction ? Posted on 5 mai 2015 by Bernard MÉRIGOT Les citoyens ont-ils raison de penser qu’il existe un contrôle de légalité exercé par le préfet de chaque département à l’égard des décisions des délibérations des conseils municipaux, des conseils communautaires, des conseils départementaux, des conseils des EPCI … ? … Continue reading → Posted in Conseil communautaire, Conseil municipal, Contrôle de légalité exercé par le préfet, Illégalité minime, Illégalité sans conséquence, Maires |
La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°191, lundi 11 avril 2016
Mention du présent article : http//www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819 BNF. Dépôt légal du numérique, 2016