CHRONIQUE SUR L’ÉTHIQUE POLITIQUE
De quels repères éthiques les élus doivent-ils disposer pour exercer, chacun à titre personnel, leur propre discernement politique ? Nicolas BROUWET propose d’aborder cette question sous l’angle de la liberté de conscience, en posant trois interrogations :
- Comment fonctionne la conscience morale ?
- Est-t-il légitime que la conscience d’un homme politique se laisse illuminer par sa foi ?
- Quelle est la pertinence de la question morale dans l’administration de la cité.
« Nous avons certainement tous fait cette expérience, au départ assez inattendue, que plus on a de responsabilités, plus on a de décisions à prendre – des décisions parfois lourdes, complexes – plus on a de mal à en cerner soit les enjeux,soit les conséquences. On a beau demander conseil, prendre des informations, regarder ce que d’autres ont fait, se laisser le temps de prendre du recul… et immanquablement, on se retrouve bien seul devant des choix à faire. Et c’est d’ailleurs le propre de celui qui porte une responsabilité, en fin de compte, que de devoir se décider et d’aller de l’avant. Il y a parfois des décisions que l’on aimerait ne pas avoir à prendre… »
DÉNONCER LES PRESSIONS POLITIQUES
Nicolas BROUWET a rencontré des élus pour essayer de comprendre comment ils se posent le problème du discernement face aux multiples décisions qu’ils ont à prendre. Ils lui ont expliqué quels étaient, selon eux, les obstacles qui empêchent la vraie liberté de décision.
Les pressions qui viennent de l’extérieur :
- l’appartenance à un parti. Un parti devrait être un lieu de libre débat, de formation, de communication, un moyen de peser politiquement. Mais bien souvent, il se relève soit inexistant, soit comme un appareil qui dicte – sans le moindre état d’âme – une manière de penser et de voter, et dont les consignes doivent être suivies « par souci de carrière »,
- le conformisme, qui fait que la ligne tracée par d’autres est suivie en silence,
- les revendications particulières : les lobbys, les associations de quartiers, de riverains, les associations de défense d’intérêt particuliers… qui font agir non par raison, mais par calcul, par intérêt, par lâcheté,
- la pression des modes, de ce que tout le monde pense, dit et fait, forme de prêt-à-penser dont on n’ose pas sortir, et qu’il serait dangereux de s’affranchir,
- les medias, dont on se demande comment ils vont réagir à une initiative, à une prise de position , ce qu’ils vont retransmettre de ce qu’on leur a dit,
- les désaccords qui surgissent dans une équipe, dans un conseil municipal, au sein d’un groupe politique,
- la fidélité (ou l’infidélité) aux réseaux, aux amis, en particulier à ceux qui nous ont rendus service (et que l’on a oublié) et ceux à qui on a rendu service (dans un but intéressé),
- les formes de chantage, de marchés, de donnant-donnant, de tractations, bref de stratégies auxquelles nous nous sommes prêtés, qui peuvent servir parfois nos intérêts mais aussi nous museler,
- le temps qui passe avec son tourbillon d’activités, de réunions, d’échéances, de rendez-vous, au point qu’on en arrive à se demander s’il nous restera du temps pour travailler et réfléchir,
- la pression du calendrier électoral : on voudrait engager des programmes ou des réformes de structures sur 5 ou 10 ans, mais la prochaine élection est dans trois ans, alors on ne fait rien, ou bien on fait ce qui va assurer une réélection tranquille.
Les pressions qui viennent « du dedans de soi » :
- l’ambition de réussir en éliminant les adversaires,
- le désir d’être soutenu sans réserve, d’être obéi, d’être admiré,
- l’attrait du succès médiatique, le désir d’être connu et célébré,
- la tentation de vouloir séduire, d’être élu pour soi-même et non plus d’abord pour servir,
- l’angoisse de la réélection avec le risque d’une gestion sans ambition, sans autre objectif que de pouvoir rester en place.
Tout cela apparaît comme des restrictions majeures à la capacité à délibérer en toute liberté et en toute vérité.
Pourtant il y a toujours un espace de liberté, toujours une possibilité de s’abstraire, d’une manière ou d’une autre, des entraves à une réflexion personnelle.
- Personne n’est – jamais – totalement prisonnier d’enjeux qui le dépassent. Il existe toujours une voie pour reprendre la main.
- Le discernement moral n’est pas un luxe : c’est une obligation.
Un acte libre est toujours incarné dans une histoire.
Nicolas BROUWET fait la réflexion suivante : « Le pouvoir de la liberté humaine est de jaillir au milieu d’une histoire, des influences reçues, de situations que l’on a pas choisies, et de donner du sens aux actes posés. La liberté humaine peut ainsi dépasser tous les conditionnements et les intégrer à une décision vraiment personnelle. »
Intéressant, non ?
Bernard MÉRIGOT
RÉFÉRENCES
BROUWET Nicolas, « Des repères éthiques pour un discernement politique », Lourdes, 17 avril 2009. Nicolas BROUWET est évêque auxiliaire de Nanterre.